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Alexis Kauffmann : “L'ère des logiciels libres est, j'espère, venue“ (Direction du numérique éducatif, interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le mardi 28 juin 2022.

Le ministère de l'Education nationale a récemment ouvert un compte twitter intitulé “@LeLibreEdu“ (voir ici). Ce fil, régulièrement alimenté en ressources et logiciels “libres“, indique par exemple que #Minetest (modélisation d'un environnement à partir de cubes) devrait être intégré à l'ENT "lycée connecté" de la région à Nouvelle-Aquitaine à la rentrée prochaine.

Dans un vidéo diffusée lors du lancement de ce fil twitter, Audran le Baron, directeur du numérique pour l'éducation, expliquait ainsi la volonté du ministère “de développer un numérique souverain, qui ne nous lie pas à tel ou tel éditeur ‘non-européen‘, un numérique responsable notamment au sens du respect des données, du RGPD*“.

Une approche qui passe par la mise à disposition de communs numériques (à l'instar d'un wikipédia), qui sont des ressources, comme des logiciels ou des applications, non rivales et non exclusives. Elles sont produites et partagées par des communautés, par exemple des enseignants, qui s'organisent collectivement pour en garantir l'ouverture, les faire grandir au profit de tous et les administrer au moyen d'une gouvernance partagée.

ToutEduc a interrogé Alexis Kauffmann, chef de projet en charge des logiciels et ressources éducatives libres dans les filières du numérique, recruté en septembre 2021 dans l'optique de développer cette offre.

 

ToutEduc : Pouvez-vous nous décrire votre arrivée au sein de la direction du numérique (DNE) au ministère de l'éducation nationale ?

Alexis Kauffmann : A la suite du premier confinement ont eu lieu les Etats généraux du numérique pour l'éducation, et a été constaté que de nombreuses interventions d'enseignants et d’agents mettaient en avant le souhait de l’ouverture, du partage et de la collaboration.

Sur les 40 propositions qui ont émergé, la numéro 38 porte d'ailleurs là-dessus (“encourager l'utilisation de logiciels et de ressources éducatives libres“). C'est dans le cadre de la mise en action de ces propositions que j'ai été recruté à la DNE.

D'ailleurs c'est la première fois qu'il y a un poste ainsi fléché et qui distingue dans son titre “logiciels et ressources éducatives libres“. Le ministère le fait depuis longtemps mais souvent de façon éparse, pas forcément structurée ou valorisée. Là il y a une volonté de fédérer, d'avoir un plan d'action global, de s'arrimer à la DNE qui est en train de concevoir la stratégie du numérique éducatif pour la période 2022-2027 (qui sera dévoilée à la rentrée prochaine, ndlr).

On m'a invité à rejoindre le ministère d’abord parce que je suis professeur (en mathématiques, ndlr), donc de la maison, mais aussi par rapport à ma vie associative antérieure. Je suis à l'initiative de Framasoft, projet né il y a 20 ans dans un collège de Bobigny et qui compte toujours beaucoup d'enseignants dans la communauté.

Le travail de Framasoft consistait à l'origine à proposer des alternatives à Microsoft, aux logiciels propriétaires en installant des logiciels libres sur ses ordinateurs. Puis les préoccupations se sont déplacées sur la problématique des données personnelles lorsque l'avènement du cloud est arrivé et avec lui la centralisation des services chez les GAFAM.

Pendant longtemps nous avons frappé à la porte du ministère avec l'idée que le logiciel libre et l'éducation vont très bien ensemble, et même si on nous a reçus, nous n'étions pas forcément considérés, la porte restait close, peut-être que culturellement le ministère n'était pas prêt à l’époque à entendre et accepter un discours légèrement différent. Là il semble que ça a changé.

Le discours sur les logiciels libres a été de plus en plus présent dans la société et a fini par atteindre l'Education nationale, c'est désormais une préoccupation au niveau du politique. L'open source est considérée comme un des leviers pour reconquérir la souveraineté numérique.

ToutEduc : Quels sont ces ressources, ces logiciels libres et qu'apportent-ils de nouveau ?

A. K : Ce qui est nouveau, et je suis très content d'arriver à ce moment là, c'est l'utilisation mais aussi la contribution aux logiciels libres, dont l'ère est je pense j’espère venue. Il y a par exemple Peertube, l'alternative à Youtube, ou BigBlueButton qui est un logiciel libre sur le modèle de Zoom. Les classes virtuelles du CNED devraient passer à cette solution à la rentrée.

Il y a encore Apps.education, un environnement collaboratif de travail qui offre entre autres aux 800 000 enseignants (et agents de l'EN) un espace de stockage personnel, de partage de ressources éducatives, de collaboration directement à l'échelle nationale et non plus seulement académique. Il faut noter aussi “l'espace de blog“ où les enseignants peuvent publier tout de suite, on leur fait confiance et éventuellement on modère, mais seulement a posteriori.

Question fonctionnement, le ministère se met en relation avec la gouvernance du logiciel libre, ce qui n'est pas évident car chacun possède sa propre communauté, sa propre manière de travailler ou de s'organiser, et on finance des fonctionnalités en fonction des de nos propres besoins. Et le code de ces fonctionnalités est ensuite reversé au code général du logiciel libre, c’est-à-dire à tout le monde.

Le fait de co-construire entraîne aussi une montée en compétence numérique, parce que le numérique apporte une facilité de mise en relation de personnes qui veulent travailler ensemble à une échelle qui sort de celle de l'établissement scolaire.

ToutEduc : Comment se retrouver dans ce foisonnement de ressources, n'y a-t-il pas un maquis de logiciels, de solutions ? Quelle stratégie développez-vous pour le libre éducatif ?

A. K : Oui, il y a un effectivement un éparpillement et parfois un manque de visibilité. Le souci, c'est qu'il y a d'un côté des sites académiques où il faut la validation de l’institution, et ça donne des ressources d’excellente qualité mais rares et peu connues, et de l'autre il y a l'anarchie des réseaux sociaux où les profs partagent au fil de l’eau notamment dans leur google drive et ou sur leur groupe facebook.

Ici il s'agit de mutualiser et pérenniser, de proposer des services et de partager de la ressources pédagogique à l'échelle nationale, facilitant alors le travail d'indexation et de curation.

La question de la qualité des ressources est importante. On ne réinvente pas la roue, on identifie des logiciels libres qui fonctionnent, comme la plateforme Moodle pour les enseignants. Les services sont hébergés en France et souvent sont opérés par le ministère de l'EN, donc il y a une confiance, une pérennité, une sécurisation, mais ce n'est pas pour autant que cela favorise le travailler ensemble qui n'est pas forcément naturel. On estime que c'est important de sortir les professeurs d'un certain isolement, parce qu'enseigner ça reste encore trop souvent un travail assez individuel culturellement.

Il faudrait donc valoriser les enseignants qui collaborent, qui partagent, par exemple avec de la décharge ou dans les entretiens de carrière. C'est quelque chose que j'aborde et que j'aimerais pousser.

ToutEduc : Le libre éducatif ne s'adresse-t-il pas à une niche d'enseignants bien éclairés ? Qu'en est-il des environnements numériques de travail (ENT) ?

A. K : Depuis la crise sanitaire le nombre d'enseignants ayant un certain nombre de compétences numériques a fortement augmenté. Par souci éthique, de valeurs, de souveraineté, la France a choisi pour les ENT de ne pas adopter les GAFAM dans l'Education nationale, alors que par exemple l'Italie a décidé de plonger sur Google et Microsoft en deux ans dans toutes les écoles. Cependant on a perdu beaucoup de temps, et techniquement on est encore un peu en retard. Les services existent mais ne sont pas toujours au même niveau d'efficacité que ceux des GAFAM, quand bien même ils répondent aux besoins.

Je suis positionné “pédagogie“, et sur les pratiques éducatives, se pose donc la question de comment sont fabriquées ces services et ressources. Je pense que les freins sont presque aujourd'hui “plus“ chez les enseignants qu'à la centrale. Il va falloir convaincre les professeurs et leur faire accepter que les logiciels libres sont différents même si parfois un peu moins intégrés, à l'expérience utilisateur encore perfectible. Mais que c'est aussi une question politique et éthique, on sait où sont les données des élèves, elles sont protégées. Alors que chez les GAFAM de nombreuses zones d'ombre subsistent, sans parler d'éventuels brusques changements de prix.

ToutEduc : Quels sont vos objectifs, vos axes de travail ?

A. K : A la rentrée nous allons publier notre stratégie du numérique pour l'éducation 2022-2027. Sans rien dévoiler, une attention particulière devrait être apportée au développement des communs numériques et au soutien des communautés d'enseignants qui créent et partagent ces communs.

Logiciels et ressources éducatives libres ont en commun les libertés d'accès, d'usage, d'étude, de modification et de partage. Ces libertés sont tout aussi fondamentales lorsqu'il s'agit de transmettre savoirs et connaissances. Quand les enseignants font communauté, adopter du libre vient naturellement parce que cela répond à leur objectifs. Il est plus facile de collaborer et partager sur de "l'ouvert" que sur du "fermé".

C'est important de faire ensemble, aussi parce que si un enseignant a accès aux ressources pédagogiques des autres, ça lui permet de gagner du temps, un temps qu’il peut alors consacrer aux élèves, dans l'accompagnement individuel, la personnalisation ou la différenciation, domaines où l’on sait que le numérique apporte beaucoup.

Il y a la question de l'efficacité, mais il y a aussi la question de la confiance. Le libre éducatif est un environnement qui donne confiance car personne ne va se l'approprier et cela crée de l'horizontalité entre professeurs. Selon moi la confiance reste encore à consolider dans l'Education nationale, et le libre éducatif y participe.

*RGPD : règlement général sur la protection des données

Propos recueillis par E. Fontaine, relus par A. Kauffmann

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