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Illettrisme : une question qui n'est “pas traitée assez ouvertement et avec le recul nécessaire“ par l’institution scolaire (IGESR)

Paru dans Scolaire le vendredi 20 mai 2022.

“Danger individuel, social et collectif“, l'illettrisme a longtemps été sous-estimé et relégué “aux marges de l'école“, estime l'IGESR à qui la tâche a été confiée d'appréhender le phénomène “depuis son coeur“.

Les inspecteurs généraux de l'Education nationale évoquent un mal “insidieux“ qui prospère essentiellement du fait d'une négligence et d'une méconnaissance, mais surtout un “sujet refoulé“ : “si la question est posée depuis longtemps, l’institution scolaire ne l’a sans doute pas traitée assez ouvertement et avec le recul nécessaire.“

Réalité

Le rapport mentionne plusieurs études qui montrent la réalité de l'illettrisme en France. Ainsi les évaluations menées en 2020 dans le cadre de la JDC (journée Défense et Citoyenneté) “confirment pour les jeunes gens une situation préoccupante“ avec 9,5 % des participants qui éprouvent des difficultés dans le domaine de la lecture, soit une compréhension très faible, voire nulle. 4,6 % d'entre eux peuvent être considérés en situation d’illettrisme, marqués par un “déficit important de vocabulaire et l'absence des mécanismes de base de traitement du langage écrit“ tandis que les 4,9 % restants souffrent de “difficultés sévères (niveau lexical correct, mais incapacité ou extrême difficulté à comprendre les textes écrits)“.

Si près de 50 % des personnes en situation d’illettrisme vivent dans des zones faiblement peuplées, c’est au nord de la Loire que les difficultés de lecture sont les plus fréquentes. L’académie d’Amiens est la plus touchée, avec dans l’Aisne 12,9 % des jeunes qui rencontrent des difficultés de lecture, 12,2 % dans la Somme et 11,1 % dans l’Oise. Dans les territoires ultramarins, cette proportion varie du double au quadruple.

Pilotage

Pourtant si la lutte contre l’illettrisme “mobilise sur le terrain des engagements forts“, les données d'un fléau “mieux connu“ ne conduisent pas “à la mise en œuvre d’actions concrètes et immédiates“, d'où la question du pilotage stratégique en faveur d’actions “convergentes et véritablement efficientes“.

Par exemple, note le rapport, “chaque ministère met en avant ses propres priorités, en l’absence d’instance de coordination interministérielle.“ De plus, “les propositions pédagogiques au niveau national sont encore très en dessous des défis“ avec par exemple la page consacrée à la lutte contre l’illettrisme dans Eduscol qui “mériterait une actualisation et une animation significatives“, tandis que les familles sont elles aussi “diversement informées et impliquées“ avec un kit spécifique conçu par la DGESCO à l’usage des parents mais qui reste “encore peu connu et peu utilisé".

Pour les inspecteurs généraux, “les leviers existants relèvent encore de réponses discontinues sans former un système à la hauteur de l’enjeu". Ils ajoutent qu' “un tel scénario a beau être connu, il reste de l’ordre de l’impensé pédagogique. De la maternelle jusqu’en 3e, des alertes sont ignorées, des seuils mal négociés, des apprentissages essentiels manqués, creusant d’année en année des écarts devenus irréversibles. Cet échec programmé est souvent vécu par les élèves, leurs familles et les enseignants comme une fatalité, chacun s’habituant à ce qu’une partie des élèves reste au bord du chemin.“

D'ailleurs selon les linguistes interrogés par la mission, “de nouveaux profils d’élèves en situation d’illettrisme se développent, en mobilisant des comportements inédits de ‘faux lecteurs‘, sous les yeux même des maîtres et de l’institution. Ces élèves ne parvenant pas à maintenir, page après page, l’effort de construction du sens, ils passent d’un déchiffrage maladroit à un irrespect total du texte.“

A l'école

C’est donc “dès la petite section que l’école doit s’emparer de la problématique de l’illettrisme, en développant une conscience aiguë des dangers qui guettent déjà les enfants socialement et culturellement défavorisés : le fossé s’y creuse en effet pour ces élèves qui accusent un retard de langage. Ils ont à l’entrée au CP un déficit lexical qui ne leur permet pas d’entrer avec succès dans la lecture, ‘même s’ils ont acquis des aptitudes au décodage des mots en CE2, leurs camarades sont déjà entrés dans la lecture de textes simples‘.“

Etape fondamentale, palier à franchir malgré tout, de son côté l’école maternelle “ne s’assure pas toujours que tous les élèves qui arriveront en CP auront préalablement développé un langage oral structuré et acquis un bagage lexical suffisant leur permettant d’entrer dans la lecture".

Mais le décrochage peut également s’accentuer en classe de sixième où ces élèves “ne parviennent qu’à repérer des informations ponctuelles, alors que les enfants de la même tranche d’âge sont en passe de devenir des lecteurs autonomes et polyvalents, c’est-à-dire capables de comprendre différents types de support de lecture.“

Dès lors, “les plus en difficulté d’entre eux embarrassent considérablement leurs professeurs quand c’est le décodage qui pose encore un problème : les professeurs de collège et de lycée sont naturellement démunis face à un élève qui déchiffre mal. Mais lorsque la compréhension fait défaut, le mal est plus sournois, souvent confondu avec un engagement insuffisant de l’élève dans son travail scolaire.“

Enfin, la mission constate que “l’étau se resserre en lycée professionnel“ où “certaines orientations subies d’élèves en grande difficulté se font parfois par défaut, y compris par manque de places dans les formations les plus demandées.“ Ces jeunes gens peuvent avoir accumulé des lacunes de tous ordres et ont toujours de sérieuses difficultés à lire, à structurer et à exprimer une pensée, tant à l’oral qu’à l’écrit. Ils éprouvent des difficultés en compréhension syntaxique et morphologique, ils ont du mal à comprendre des phrases et des constructions de mots plus complexes ; de la même façon, ils éprouvent des difficultés à rétablir le sens d’énoncés à partir des marqueurs de relation, des connecteurs, etc. Ils ont des difficultés à comprendre les formes de langage non littéral (ironie, demandes indirectes, inférences, etc.). Ces jeunes, qui se trouvent alors en situation d’illettrisme, éprouvent également des difficultés à l’oral, en expression et en compréhension.

La formation, inégale et fragmentée

Le défi est alors “bien lourd à relever pour des professeurs bientôt dépassés par les lacunes accumulées par ces élèves aux différents niveaux de leur scolarité, auxquelles ils doivent faire face et remédier". Pour les inspecteurs de l'IGESR, c’est souvent la formation elle-même des professeurs, inégale et fragmentée “qui peut conduire à favoriser des pratiques de lecture assez peu enclines à solliciter la relation que l’élève pourrait entretenir avec le texte".

Au final, les inspecteurs généraux de l'Education nationale considèrent que “l’école reste encore peu adaptée à la diversité des élèves et peine à s’emparer de l’hétérogénéité dans les classes pour en faire une composante de la réussite de tous les élèves. Les méthodes pédagogiques frappent parfois par leur caractère répétitif, sans souci d’une diversification des démarches susceptibles de s’adapter à tous les profils d’élèves. L’évaluation par compétence est inégalement entrée dans la culture scolaire, de même que le travail par petits groupes qui permet un autre rythme, une individualisation plus importante et une approche différente des apprentissages. Le tutorat entre pairs est également très peu développé et n’est pas formalisé, de même que les communautés professionnelles d’apprentissages (CAP) qui considèrent les difficultés scolaires des élèves comme autant de défis à résoudre en équipe.“

La mission prospective sur l'illettrisme ici

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