Comment apprendront les enfants demain? (publication)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le lundi 21 juin 2010.
L'Education Nationale ne serait-elle pas en train de "se cristalliser dans une vision dépassée de l'acte d'apprendre, des nouveaux besoins qui émergent et des ressources qui les accompagnent"? Dans un ouvrage paru chez Dunod, Sandra Enlart (Paris-X Nanterre) et Olivier Charbonnier (Consultants sans Frontières), interrogent la notion de l'apprendre, dans un contexte en devenir où se mêlent "réseaux sociaux, innovations en perpértuel renouvellement, marchés officiels du savoir, marchands de données en devenir ou clandestins sur fond de créativité sans limite, découvertes scientifiques majeures".
Internet, téléphones mobiles, télévision, radio...Les flux continus d'information auraient quatre conséquences sur l'apprentissage: Le cerveau ne flânerait plus, mais traiterait, jetterait, rangerait quotidiennement des "milliars d'octets", rendant obsolète la vision d'un apprentissage "linéaire, structuré, maitrisé". Des difficultés de concentration sans précédent se poseraient aux individus en situation d'apprentissage, "habitués à passer d'une information à une autre". La troisième conséquence tiendrait à la profusion de liens hypertextes, à l'ergonomie de la navigation: "Nous ne réfléchirons plus jamais comme avant". La dernière conséquence relevrait de l'idée d'immédiateté: Pourquoi retenir l'information sur le long terme quand celle-ci est instantanément accessible? "Que deviendra alors notre mémoire?"
"C'est en traitant en même temps plusieurs messages, qui plus est de facture (image, texte, son...) et de nature (publicité, news, message...) différentes, que mon cerveau établit des connexions génératrices d'apprentissage", posent les auteurs, pour lesquels la capacité à gérer différentes donnés simultanément constituerait le nouveau rapport au savoir. "A partir du moment où nous avons tous accès à ces informations "à plat", d'un clic, sans la médiation d'un pédagogue, d'un parent, d'un professionnel, notre capacité à les resituer dans une carte mentale pour leur donner sens devient un enjeu majeur".
"Nous aurons besoin de structures cognitives de base pour gérer cet éclatement". Face à la fragmentation des savoirs, une pensée critique semblerait indispensable, "pour être capable de repérer les incohérences non pas du discours mais du fond". Il s'agirait d'apprendre à explorer, en s'appuyant sur certains fondamentaux, un corpus de valeurs: "Autant de modalités qui imposent de repenser les contenus et les modalités pédagogiques du système éducatif", estiment les auteurs, pour lesquels l'idée d'apprendre à apprendre, "qui n'est pas nouvelle", prendrait aujourd'hui "une nouvelle acuité", avec à la clef un renouvellement de la posture de l'enseignant: "les professeurs n'ont aucun intérêt à se positionner éternellement comme les "sachants" à partir du moment où leurs élèves pourront glaner bien plus d'informations qu'ils n'en détiennent (...). Les qualités pédagogiques deviennent centrales et déterminantes (...). Le rôle des enseignants a donc de larges perspectives, mais plus dans le registre de l'accompagnement que dans la transmission des savoirs".
Qui définirait les savoirs de base? Pour les auteurs, il ne pourrait s'agir que d'une "co-construction" entre l'école, les chercheurs, mais aussi les internautes eux-mêmes: "Peut-être reviendrons-nous à l'idée fort ancienne d'un certificat des temps futurs? Reste à trouver le processus pertinent, à la fois socialement et sur le fond."
Faut-il encore apprendre? Sandra Enlart et Olivier Charbonnier, Dunod, 2010.