L'innovation pédagogique est détournée pour "justifier l'Institution en tant que telle" (Jean Houssaye)
Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 18 juin 2010.
"Globalement, la pédagogie traditionnelle continue à s'imposer", estime Jean Houssaye (université de Rouen), faisant état de la disparition des "collèges différents" des années 70 et de la survivance "vaille que vaille" des quatres lycées expérimentaux des années 80. "Seules les structures pour collègiens et lycéens décrocheurs ou en voie de déscolarisation persistent, mais sur les marges; les innovations pédagogiques récentes (comme les TPE) imposées d'en haut, sont en voie de relégation", écrit-il dans un travail inédit intitulé Pédagogie: Des évolutions? Quelles évolutions?. Au dépend des innovations, la pédagogie transmissive serait sacralisée du côté des enseignants, des familles et des élèves, ainsi que de l'Institution, pour différentes raisons: Les pédagogies nouvelles heurteraient les "routines familières, la nostalgie du métier disparu et l'obsession du programme" des enseignants. Les familles et les enfants redouteraient une "déstabilisation" par les pédagogies nouvelles, les élèves en échec étant même orientés de préférence vers les établissements classiques, où rien ne change. Les institutions seraient, quant à elles, partagées entre la volonté de mettre en oeuvre des innovations pédagogiques et la crainte de leur mauvais accueil par des enseignants sur lequels elles auraient peu "d'autorité pédagogique".
"De nos jours, c'est l'interactivité qui est donnée comme le gage de la qualité de l'enseignement", estime J. Houssaye, avec des défis pour l'enseignant: Plus le cours est intéractif, et plus il doit improviser. D'autre part tout objectif théorique doit être intégré progressivement par l'enseignant dans une "pratique réfléchie", faute de quoi, "les changements pédagogiques se diluent en pratiques minimales". Au final, pour le chercheur, l'enseignement interactif devient souvent un "enseignement interrogatif", "forme dominante de la pédagogie traditionnelle aujourd'hui".
Du côté des enseignants, le bon cours serait celui où les élèves participent, se montrent actifs. "L'expression des élèves se présente comme la garantie de leur motivation scolaire, et non comme l'espace de la construction des savoirs". Pour les élèves, partciper serait une manière d'adhérer à une norme scolaire, "les bons élèves posant des questions, les autres restant en dehors" et comme une tâche facultative "peu intégrée aux apprentissages". Dans ce contexte, les enseignants innovants seraient "pris au piège", fondant leurs cours sur l'interdisciplinarité, et les centres d'intérêts des élèves, quand ceux-ci marqués par leur scolarité antérieure, attendraient de "vrais cours", classiques, sérieux, chaleureux, à la bonne ambiance.
Jean Houssaye regrette en outre la mise en oeuvre d'une "pédagogie de soutien" pour gérer l'hétérogénéité des classes, quand une pédagogie différenciée lui semblerait plus indiquée. L'institution de la pédagogie de soutien signerait la mort de la pédagogie différenciée, les instituions jouant sur leur fausse proximité. Jean Houssaye redéfinit l'objectif de chacune: Pour la pédagogie de soutien, la remédiation aurait pour but "d'amener les élèves à un niveau qui leur permette de suivre l'enseignement collectif avec profit", quand pour la pédagogie différenciée, l'hétérogénéité serait "préalable, normale et pédagogique, apte à combattre l'échec scolaire".
Jean Houssaye observe enfin une instrumentalisation des pédagogies nouvelles par l'Institution: "On assiste à une véritable rationalisation de l'innovation par l'institution scolaire", les innovateurs devant s'inscrire "dans le maillage académique". L'innovation, notamment les classes de la seconde chance, seraient soutenues par le ministère, mais dans une approche de "lutte contre l'échec". La pédagogie nouvelle serait vue comme un "réparateur", et au final, le changement pédagogique, essentiellement à destination des décrocheurs, serait utilisé pour "justifier l'Institution en tant que telle".