Comment les enfants réussissent ou échouent à apprendre (5) : "L’apprentissage se fait dans la relation" (Mario Speranza)
Paru dans Scolaire le mardi 29 mars 2022.
Voici des échos de la journée scientifique organisée le 25 mars par l'APF (Association française de psychiatrie) et ToutEduc sur les liens entre pédagogie et sciences de la cognition. Mario Speranza, professeur de psychiatrie infanto-juvénile de l’Université de Versailles, se demande comment produire les meilleures conditions d’apprentissage
Ces dernières années, les sciences cognitives ont apporté de quoi mieux comprendre les troubles des apprentissages et les stratégies éventuelles pour les prendre en charge. Mario Speranza souligne l’importance des conditions nécessaires pour apprendre, en en dégageant trois points essentiels. D’abord, et c’est une évidence, il faut disposer d’un "équipement personnel non altéré". En grande partie innées, et variables selon les individus, elles dépendent aussi des interactions avec les autres. "On sait que le développement de toutes les compétences cognitives se fait dans une matrice relationnelle (…) Il s’inscrit dans une intersubjectivité permanente."
Ensuite, la motivation à s’impliquer. Celle-ci dépend beaucoup de la réponse apportée au besoin d’être reconnu comme un "être intentionnel". Cette motivation relève à la fois du plaisir à comprendre (jubilation cognitive) et des signes valorisants que l’enfant reçoit des autres. "L’apprentissage se fait dans la relation" et le soutien apporté par l’environnement va nourrir la confiance (de l'enfant, ndlr) en ses propres ressources.'
Le sentiment de compétence est un troisième point important pour s’engager dans des situations d’apprentissage et des recherches ont montré combien compte la figure de l’attachement. "Si l’enfant n’est pas en situation de sécurité, toute nouveauté est menaçante, il aura davantage de difficultés à partir en exploration", résume Mario Speranza.
On sélectionne les informations en fonction de la source
Ce processus est issu de la nuit des temps. "A partir du moment où on a fabriqué des outils, et que le processus de fabrication est distancé de sa fonction ultime, cela a nécessité de communiquer. Les jeunes humains apprennent à sélectionner parmi toutes les informations auxquelles ils sont confrontés celles qui sont pertinentes pour le soi, celle qui sont généralisables au monde." C’est ici qu’interviennent des indices sensibles de communication tels que le regard ou une voix particulière de la maman. Ces indices font que l’autre est reconnu comme un être intentionnel.
Comment génère-t-on des conditions qui font considérer comme pertinente la source d’informations ? Mario Speranza prend pour exemple un enseignant qui dit bonjour à chacun sous forme de check individualisé. "Cet enseignant ouvre une autoroute épistémique." C’est la même notion de confiance épistémique qui explique pourquoi les adolescents sont souvent plus sensibles à ce que les autres adolescents leur apportent.
A contrario, un cercle vicieux peut s’installer à partir du moment où l’enfant n’a pas confiance en ses propres ressources ou dans l’autre. Se sentir moins compétent implique une moindre participation et donc une limitation des expériences, un moindre développement des capacités qui vont à leur tour alimenter la perception de manquer de compétences… "Au même niveau de difficultés la croyance en notre capacité de changer la donne est beaucoup plus importante que ce qui va nous être apporté par une aide extérieur", conclut le psychiatre.