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Comment les enfants réussissent ou échouent à apprendre (1) : Comment savoir si on enseigne de façon efficace ? (Edouard Gentaz - Laurent Lescouarch)

Paru dans Scolaire le mardi 29 mars 2022.

L’école fait l’objet de disputes, de débats qui ne tiennent pas forcément compte des résultats de la recherche… Et de toute façon, ces résultats irriguent très peu les salles de classe. Ce n’est guère satisfaisant pour les chercheurs, pour les enseignants, et in fine –surtout !- pour les élèves. Edouard Gentaz et Laurent Lescouarch s’intéressent à la question de la preuve en éducation et aux pratiques les plus favorables aux apprentissages.

S’inspirer de la médecine pour éviter de reproduire des erreurs dans le domaine de l’éducation. C’est ce que suggère Edouard Gentaz. Ce professeur en psychologie du développement sensori-moteur à Genève décrit le concept EBM (pour Evidence-Based Medicine) dont l’objectif consiste à donner les meilleurs soins possibles selon les meilleures données scientifiques. La démarche EBM se décline en quatre phase : identifier le problème médical, rechercher les articles pertinents, évaluer leur pertinence, intégrer les résultats retenus pour le patient. A noter qu’aujourd’hui, une décision efficace intègre la prise en compte non seulement de ces niveaux de preuves mais aussi de l’environnement et le contexte du patient avec ses préférences et ses valeurs.

"Toutes les preuves ne se valent pas, la pratique clinique doit se fonder sur les meilleures preuves disponibles, et il existe d’autres preuves que des études randomisées» résume Edouard Gentaz. Transposé à l’éducation, cet axiome suggère que les bonnes pratiques pédagogiques doivent se fonder sur des preuves fiables, mais aussi sur l’expertise et les savoirs acquis par les professionnels. "Ceux-ci devraient se saisir de ce débat crucial sur les liens entre les résultats de recherche, les recommandations pédagogiques, et leurs pratiques". Comme un écho à Gaston Mialaret qui préconisait déjà de faire dialoguer les deux champs, ce que dit la recherche et et ce que dit le terrain. Celui qui a contribué à fonder les "sciences de l’éducation" il y a un demi-siècle s’interrogeait déjà sur la notion de preuve.

Trois leviers

Pour discerner et tester la fiabilité de ces preuves, Edouard Gentaz propose trois leviers. Le premier concerne l’état de la recherche à communiquer aux enseignants. Ceci devrait faire l’objet d’un consensus clairement établi par une expertise collective regroupant l’ensemble des disciplines scientifiques appliquées à l’école. Sans exclure l’expertise des professionnels, le chercheur estime que ces informations issues de la recherche ne devraient pas se fonder sur des études isolées, d’autant plus que la course aux publications peut amener des biais. Elles devraient au contraire privilégier des méta-analyses, à l’instar des rapports d’expertise produits par l’Inserm. Il insiste aussi sur la nécessité de transparence. "Il faudrait des données claires et qui renseignent sur le degré de certitude accordé à l’efficacité de telle ou telle pratique". Comme en médecine, afficher les conflits d’intérêt potentiels ou réels des auteurs de manuels ou d’études permettrait peut-être d’éliminer certaines préconisations infondées scientifiquement, et/ou présentées sans précautions. Il vise alors, notamment, le "guide orange" (pour enseigner la lecture et l’écriture au CP) publié par le ministère sans précisions sur les auteurs.

"C’est très important qu’il y ait une confiance entre le monde de la recherche et celui de l’enseignement" souligne Edouard Gentaz. Un second levier consisterait à nécessairement tester la possibilité de mettre en œuvre ces recommandations sur le terrain. Ceci en impliquant dès le départ des groupes d’enseignants. Le troisième levier consisterait à suivre la mise en œuvre de ces recommandations, à les accompagner par des recherches.

Si Edouard Gentaz insiste sur la nécessité de rendre plus fiables les références scientifiques, Laurent Lescouarch plaide pour la prise en compte des entretiens qualitatifs et de la parole des praticiens. Au fond, pas d’opposition, le professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université de Caen cherche aussi à rendre plus fiables les recommandations faites aux enseignants. Ceci en centrant son propos sur son cheval de bataille, les pédagogies nouvelles notamment l’ICEM-pédagogie Freinet.

Comment évaluer l’efficacité des pédagogies alternatives

Avant de parler du thermomètre, il est crucial de savoir ce qu’on veut mesurer, prévient Laurent Lescouarch. "Il y a une distinction à faire entre ajuster le modèle de l’école traditionnelle ou alors le bousculer." Certaines alternatives pédagogiques touchent simplement au format des pratiques – c’est le cas du numérique- , d’autres rompent avec des pratiques traditionnelles, proposant un autre projet, en quelque sorte une autre école. C’est un préambule important dans la mesure où "l’évaluation ne peut pas faire l’économie du projet". Chez les pédagogues de la rupture, c’est en général un projet de socialisation démocratique.

Or, il existe peu d’enquêtes longitudinales ou transversales cherchant à mesurer les effets des pédagogies différentes. Et leur efficacité a été questionnée au regard de la réussite scolaire, rappelle aussi l’universitaire. Ainsi, on sait que la progression des élèves sur le plan scolaire est au moins égale à celle des classes traditionnelles. On a entendu que chez les enseignants, cela développe des compétences collectives, des aptitudes à travailler à plusieurs. En 2018, une enquête à Liège montre que les élèves du 3e cycle Freinet sont systématiquement plus positifs que la moyenne sur ce qui concerne leur environnement socio éducatif. Une autre étude, réalisée par Paris 8 est plus critique. Elle souligne que les pédagogies nouvelles n’ont pas l’habitude d’être explicites, et met notamment en avant le risque de glisser du processus "apprendre" vers le processus "former avec des savoirs"…

En revanche, du point de vue des neurosciences, c’est plus positif. Tâtonnement, engagement dans les apprentissages, chez Freinet, résonnent avec les enjeux de compétences et de disponibilité au apprentissages, avec les dimensions psychoaffectives sur lesquelles les neurosciences déplacent le débat. Il y a une forme de convergence entre les conclusions de nombreux travaux des sciences cognitives et les intuitions des fondateurs des "pédagogies différentes". Attention toutefois à ne pas confondre, prévient Laurent Lescouarch : "Les neurosciences valident plusieurs principes fondateurs des pédagogies nouvelles, mais elles ne les testent pas."

Encore faut-il savoir de quoi on parle

Alors, comment savoir ce qui fonctionne bien, ce qui sera le plus favorable aux apprentissages ? Entre le tout collectif et le tout individuel, ces approches alternatives pourraient-elles apporter une réponse aux problématiques de difficulté scolaire ? Il faudrait déjà mieux définir et reconnaître les techniques éducatives qu’elles proposent pour entrer dans les apprentissages. Actuellement, relève Laurent Lescouarch, de nombreux enseignants déclarent pratiquer telle ou telle pédagogie alternative, voire plusieurs, sans forcément que cela soit le cas. "On mélange des choses différentes. Montessori est une pédagogie très guidante, qui n’a pas grand-chose à voir avec Freinet par exemple. Les professionnels empruntent sans doute des outils à l’une et l’autre, et font leur propre outillage."

Il y a la difficulté méthodologique à évaluer de manière randomisée l’effet de ces pédagogies compte tenu de la diversité des élèves et des contextes. Il y a ce qu’on veut mesurer (compétences ou résultats), il y a la " militance" forte autour de ces pratiques… Pour s’y retrouver, pour percevoir avec justesse ce qui se passe en classe et ce que cela produit, Laurent Lescouarch préconise une approche fine, celle de la recherche qualitative, qui "vise à entrer dans la complexité des pratiques par des techniques d’enquêtes ouvertes, des entretiens avec les enseignants. Cette recherche me semble valide".

 

Muriel Florin

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