Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Comment les enfants réussissent ou échouent à apprendre (2) : A quoi sert-il de débattre des méthodes de lecture ? (P. Bouchard)

Paru dans Scolaire le mardi 29 mars 2022.

Voici des échos de la journée scientifique organisée le 25 mars par l'APF (Association française de psychiatrie) et ToutEduc sur les liens entre pédagogie et sciences de la cognition. L’école est-elle nécessairement le champ clos de conflits idéologiques ? A l’aune du débat passionné sur les méthodes de lecture, on est tenté de répondre par l’affirmative. Pascal Bouchard (directeur de ToutEduc) décortique les faux-semblants pour en souligner les ressorts politiques.

“Toute pédagogie, avant d’être plus ou moins efficace, est l’expression d’un parti pris politique (…) Les croisades, quelles qu’elles soient, sont motivées par des projets de société cachés sous des prétextes d’efficacité fallacieux", et c'est notamment le cas du combat contre "la méthode globale", estime le journaliste, directeur de ToutEduc. Il interroge la salle : "Quelle différence y a-t-il entre l’hydroxychloriquine et une méthode de lecture ? Aucune : ce sont des objets techniques qui sont devenus des objets de débats politiques, de débats passionnés. Nous nous écharpons au sujet des méthodes de lecture, en brandissant des arguments, qui portent le plus souvent sur l’efficacité, alors que d’autres ressorts sont en jeu."

Ce débat peut-il véritablement se nourrir de divergences d’ordre technique ? Pascal Bouchard en doute. "Le consensus scientifique est en réalité assez clair. Il faut travailler simultanément toutes les dimensions de cet apprentissage, la connaissance des lettres, l’identification des phonèmes, les correspondances graphèmes-phonèmes, la compréhension, l’écriture, le vocabulaire…" Il rappelle aussi que la méthode globale de Foucambert n’est pas utilisée, que les méthodes de syllabique pure ont sombré corps et âme, et que le terme de "méthode syllabique" n’est pas forcément le plus approprié. "On devrait plutôt parler de méthodes phoniques et même de phonics puisque l’essentiel de la littérature sur le sujet est anglo-saxonne" précise-t-il.

Sur le terrain, une démarche plutôt qu’une méthode

D’autres éléments de connaissance et surtout la réalité des pratiques permettent de s’interroger sur la pertinence du débat. Ainsi, faut-il vraiment comparer le fait d’ajouter les lettres les unes aux autres pour contruire un mot (phonique synthétique) et le fait de décomposer un mot en lettres (phonique analytique) ? "Je suis perplexe" ironise Pascal Bouchard. "Un enseignant qui utiliserait seulement l’une ou l’autre des démarches me semblerait un peu limité." D’ailleurs, note-t-il également, "les enseignants ne se conforment pas aux méthodes, ne suivent pas un manuel pas à pas". Les travaux du chercheur Roland Goigoux montrent d'ailleurs des disparités importantes entre ceux qui utilisent le même manuel.

Autre bémol, la supériorité des méthodes phonics et celle du décodage est-elle aussi marquée pour les petits Français que pour les petits Anglais ? "Le raisonnement repose sur la comparaison des tables de concordance graphèmes-phonèmes (…) mais on peut aussi s’interroger sur l’entrée dans la lecture". Dans la langue anglaise, presque toutes les lettres sont sonores, ce qui n’est pas le cas du français. Il est en effet plus simple de décortiquer "I am a girl, I am six" que "je suis une fille, j’ai six ans". Compte tenu de cette moindre correspondance sonore, il très difficile de proposer en français des petites phrases qui ont du sens et dont toutes les syllabes soient connues des élèves. "Alors on utilise des artéfacts, des phrases insignifiantes ou bien dignes de la poésie surréaliste."

En résumé, il est impossible de faire du syllabique pure comme du global pur, chaque enseignant ne suit pas à la lettre telle ou telle méthode mais initie sa propre démarche avec ses élèves, les spécificités de la langue pourraient nuancer certaines affirmations. L’état de la science condamne la méthode globale pure et indique que "des moments de formalisations des correspondances graphèmes-phonèmes sont nécessaires et doivent intervenir tôt dans les apprentissages. Rien de plus." Pourtant, le débat reste passionné. Jean-Michel Blanquer lui-même (en s’appuyant sur un petit nombre de chercheurs) continue de dresser l’étendard de la méthode syllabique comme s’il s’agissait de combattre une hérésie. C’est finalement là où Pascal Bouchard voulait en venir.

Muriel Florin

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →