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Méthode de lecture Lego : quels résultats pour les chercheurs qui en ont suivi la mise en oeuvre ? (Exclusif)

Paru dans Scolaire le vendredi 18 mars 2022.

Jean-Michel Blanquer avait annoncé l'expérimentation d'une nouvelle méthode de lecture syllabique (après l'échec des méthodes Parler et Agir pour l'école) à la rentrée 2020. Celle-ci a été élaborée par une IEN (inspectrice 1er degré) parisienne avec trois conseillères pédagogiques, qui avaient déjà travaillé ensemble sur la méthodologie du choix d'une méthode, un travail remarqué par le CSEN (Conseil scientifique de l'Education nationale) et qui avaient prolongé leur collaboration avec la conception d'une méthode originale (voir ToutEduc ici et ici). Le ministère a ensuite recherché une ou deux équipes universitaires pour assurer le suivi et l'évaluation de la méthode, tout en indiquant que les conditions d'une expérimentation, au sens scientifique du terme, n'étaient pas remplies. A notre connaissance, seul le laboratoire Epsylon (U. Montpellier Paul Valéry) a répondu. Virginie Leclercq et Guillaume Broc sont interrogés par ToutEduc.

ToutEduc : Quelle était votre mission ?

V. Leclercq, G. Broc : Nous avons répondu à cet appel à manifestation d'intérêt du ministère qui souhaitait s’engager dans une démarche de mesure de l'efficacité de cette méthode de lecture. Or, les conditions, en particulier du calendrier (démarrage du projet quelques mois avant la fin de l’année scolaire 2020-2021), ne permettaient pas de répondre à un tel objectif. Nous avons donc proposé au ministère un protocole scientifique préalable visant à évaluer les freins et leviers à l'appropriation de cette nouvelle méthode. Par appropriation, terme connu en psychologie, il s’agit de donner la parole aux professionnels afin d'identifier les freins et leviers à l'utilisation d'une intervention mise en place.

ToutEduc : Combien d'enseignants avez-vous pu contacter ?

V. Leclercq, G. Broc : Nous avons eu accès à un listing de 326 enseignants. Cent seize d'entre eux se sont mobilisés et ont renseigné le questionnaire que nous leur avons adressé pour cerner les conditions d’appropriation de la méthode. Nous avons également conduit une quinzaine d'entretiens semi-directifs ainsi qu'un focus groupe confirmatoire.

ToutEduc : Pouvez-vous dire que les enseignants se sont approprié la méthode ?

V. Leclercq, G. Broc : Il est ressorti de notre étude que l’appropriation dépendait de différents facteurs. En effet, les situations sont très diverses. La méthode utilisée préalablement (Taoki, Pilotis, Ribambelle, méthode personnelle, aucune car première année en CP) pourrait impacter l’appropriation de la méthode qui est une méthode dite « syllabique ». Aussi, la connaissance des fondements théorique d’une méthode est un facteur qui peut impacter l’appropriation et une formation à ces fondements théoriques peut favoriser l’appropriation. Ainsi, les enseignants qui n’ont pas eu accès à une formation avant l’utilisation de la nouvelle méthode ont indiqué que celle-ci aurait pu être bénéfique, d’autant que certains enseignants ont reçu la méthode une semaine avant la rentrée, un temps pouvant être jugé par certains trop court pour assimiler le guide, très dense, qui l'accompagnait. Aussi, le contexte d’enseignement (certains enseignants étaient en éducation prioritaire, d'autres pas) pourrait impacter l’appropriation de la méthode. Cependant, nous n'avons pas une quantité de données suffisantes pour mesurer le degré d'appropriation pour chacune de ces catégories.

ToutEduc : La méthode a-t-elle été vraiment utilisée ?

V. Leclercq, G. Broc : Seul un quart des enseignants qui nous ont répondu ont fait un usage de la méthode sur au moins 75 % du temps consacré à l'apprentissage de la lecture. C'est normal, il faut qu'un manuel conserve une part de flexibilité, que l'enseignant puisse se l'approprier, l'intégrer à sa démarche sans la trahir. Beaucoup ont donc croisé différentes méthodes. C'est d'ailleurs un facteur connu et cette réalité des pratiques doit être considérée dans toute évaluation de l'efficacité d'une méthode, d’où l’intérêt de notre étude.

ToutEduc : Quels sont les points de consensus ?

V. Leclercq, G. Broc : Tous sont satisfaits d'avoir eu une méthode réellement syllabique, ils étaient volontaires et c'était ce qu'ils souhaitaient. La progression leur a paru claire, "on sait où on va". Mais beaucoup ont regretté l'absence d'outils pour travailler la compréhension, et un manque de ressources, par exemple des listes de mots dont les élèves, arrivés à ce point là de la méthode, connaissent toutes les relations grapho-phonétiques, de façon à pouvoir créer avec ces mots des phrases qu'ils puissent lire. Les enseignants auraient aussi aimé avoir des étiquettes pour certains mots, des images pour en illustrer d'autres, etc.

ToutEduc : Et quels sont les points qui font débat ?

V. Leclercq, G. Broc : L'absence de couleurs, la sobriété, voire l'austérité du manuel a pu limiter la distraction des élèves, contribuer à leur concentration, mais en rebuter d'autres ainsi que certains enseignants. Certains ont apprécié le guide, bien fait, très complet, mais d'autres l'ont trouvé trop lourd, et ne remplaçant pas une formation. Le vocabulaire était riche ici, trop complexe ailleurs. Les outils comme le "syllabogramme" (un tableau à double entrée, les consonnes en ordonnée et les voyelles en abscisse, ndlr) ont été utiles ou trop compliqués à l'usage. Ces éléments de consensus et de débat nous renseignent sur les facteurs qui peuvent impacter l’appropriation d’une méthode, et permettent d’établir des préconisations pour adapter son déploiement aux besoins et ressources des différents contextes, profils d’enseignants identifiés.

Un point positif, souvent souligné, est que l’expérimentation a suscité dans des écoles davantage de collaboration entre collègues, de partages de pratiques.

ToutEduc : Quelles conclusions en tirez-vous ?

V. Leclercq, G. Broc : Ce qui ressort de notre étude, et c'est vrai pour cette méthode comme pour toute autre, c’est qu’elle doit être suffisamment flexible pour s'adapter aux contextes et aux enseignants. En d’autres termes, qu’elle s’ancre dans les pratiques et laisse toute latitude à l’enseignant, qui a l’expérience de sa classe, pour exploiter la ressource de la manière qu’il juge la plus appropriée. Peut-on imaginer une méthode qui ait cette souplesse et qui puisse être déployée au niveau national ? Oui, dans la mesure où cette méthode, qui ne serait pas une prescription mais un guide, offrirait de plus un panel d’utilisations et/ou de versions (avec et sans images par exemple) permettant de satisfaire aux principaux profils d’enseignants/de classes identifiés. Et surtout, il ressort que l’appropriation d'une méthode gagnerait à être précédée d'une formation spécifique, et qu’un accompagnement des enseignants tout au long de l'année, au fur et à mesure de leur appropriation de la ressource pourrait être bénéfique.

ToutEduc : Et du point de vue de l'efficacité, même si ce n'était pas votre objet ?

V. Leclercq, G. Broc : Il est trop tôt pour le dire car notre étude ciblait les enseignants s’étant portés volontaires pour tester la méthode (ceux globalement intéressés). Pour mesurer l’efficacité et l’acceptabilité de la méthode, il faudrait mener l’expérimentation sur un échantillon représentatif de tout le corps enseignant, dans une temporalité plus longue qui permette d’observer les effets concrets sur l’apprentissage de la lecture et l’écriture par les élèves, et en pondérant par le degré d’appropriation de la méthode par les enseignants et le contexte d’utilisation de la méthode.

Virginie Leclercq, Guillaume Broc, Stéphanie Bellocchi et Nathalie Blanc, enseignants-chercheurs au laboratoire Epsylon de l’université Paul Valéry de Montpellier, ont conduit la recherche.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par Virginie Leclercq et Guillaume Broc

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