Réflexions sociologiques sur “les jeunes au volant“ (ouvrage)
Paru dans Périscolaire le lundi 07 mars 2022.
Les jeunes conducteurs s'attribuent en majorité une “bonne note“, et reproduisent “clairement“ le schéma des parents qui estiment bien conduire, indique une enquête qualitative menée sous la direction de David Le Breton (U. Strasbourg).
Pourtant, un “constat douloureux“ veut qu'en France les 18-24 ans composent 8 % de la population, mais comptent pour 16 % des morts sur les routes en raison de la consommation d'alcool ou de stupéfiants, de la vitesse, de la fatigue, de l'usage du téléphone.
Au travers d'un ouvrage consacré à la conduite des jeunes, le professeur de sociologie et d'anthropologie mène une réflexion sur la façon dont les jeunes, “peu nombreux à déprécier l'usage de la voiture“, apprennent à conduire et se représentent la circulation routière, leur relation aux autres, aux piétons et cyclistes, à leur voiture, au Code de la route, à la vitesse ou encore aux outils numériques.
Le permis est considéré par beaucoup comme une norme sociale, “un brevet de bonne citoyenneté“, et la voiture est désignée tel “un signe majeur d'affranchissement“, une fierté pour nombre de jeunes, et même “une preuve que le cordon ombilical est coupé“. Elle est également “au cœur de la sociabilité juvénile“ même si elle “l'était davantage dans les années 80 à une époque de moindre urbanisation". Dans ces années d'ailleurs, “les jeunes de milieu populaire notamment, s'investissaient dans la mécanique, essayaient de comprendre les moteurs pour mieux les réparer. Aujourd'hui, les jeunes automobilistes sont radicalement démunis en cas de panne. Malgré tout leur voiture occupe une place essentielle dans leur existence.“
C'est d'ailleurs “toujours le sentiment de choisir et de maîtriser le temps et l'espace de la mobilité qui fortifie chez les jeunes automobilistes une certaine sensation de liberté. Il s'agit de favoriser l'illusion de s'approprier le monde extérieur qui devient subitement accessible et disponible grâce à la voiture.“ De plus, si la voiture est “toujours partie prenante de logiques de distinction sociale, celles-ci semblent être l'expression moins d'une appartenance de classe que d'une volonté de manifester une singularité individuelle irréductible à une identité sociale de classe.“
Il est en outre question du “compagnon omniprésent“ qu'est le smartphone : “la tentation de consulter son téléphone pour lire un message reçu et même pour répondre à une personne importante à leurs yeux compte parfois au nombre des justifications les autorisant à prendre un risque qu'ils reconnaissent explicitement.“
“Ca fait une présence, c'est vrai que sans la radio c'est plus silencieux donc ça peut être plus angoissant. C'est plus joyeux d'avoir de la musique qui t'accompagne.“ Pour Christophe, 25 ans, c'est la radio qui dans la voiture comble une certaine hantise de la solitude et du silence.
Car selon cet ouvrage, au-delà des prises de risque sur la route qui pour certains jeunes induisent une certaine “figure éminente de la virilité“, et davantage qu'un simple objet matériel, l'automobile “s'apparente à bien des égards à un contenant et à un soutien de soi et du soi“, elle est appréhendée comme un moyen de déplacement et un habitat : “la voiture permet de réfléchir à soi, de prendre ses distances par rapport au travail, à l'incertitude de ce qui est à venir, elle est aussi un lieu privilégié au sein duquel la personne jeune au volant peut être elle-même.“
A noter que l'enquête menée par David Le Breton a été financée par la fondation Vinci Autoroutes.
Les jeunes au volant, sous la direction de David Le Breton, éditions Eres, 266p., 25 €