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Le Conseil d'Etat confirme la suppression du CAP comme diplôme intermédiaire, mais pas tout de suite (A. Legrand)

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 20 février 2022.

Le plus difficile, pour un gouvernement, n’est pas de définir une politique publique : c’est de la mettre en œuvre. En matière éducative diverses décisions de réforme ont généré des conséquences inattendues et des effets pervers, aggravés par la culture résolument jacobine de l’administration du ministère qui n’entend voir aucune tête dépasser et privilégie constamment la méthode de la prescription sur celle du contrôle et de l’évaluation de sa propre politique, souvent initiée par des injonctions directement venues du palais présidentiel.

Le thème des restrictions budgétaires est un des marronniers qui ponctuent la vie du système éducatif. Et, pour répondre à l’injonction de Nicolas Sarkozy, Xavier Darcos avait eu recours à quelques solutions de facilité, dont la réduction de la durée de certaines formations, en particulier en généralisant le passage de celles conduisant au baccalauréat professionnel de quatre à trois ans, en supprimant l’exigence de la préparation d’un diplôme intermédiaire et en fragilisant la sécurisation du parcours liée à son organisation par étapes. 

Quelques années plus tard, le décret n° 2020-1217 du 20 octobre 2020 fait disparaître le BEP, qui avait perdu une bonne partie de son importance avec la généralisation de la scolarité en trois ans ; et il supprime la possibilité de se présenter au CAP, tant pour les élèves sous statut scolaire que pour les jeunes apprentis candidats au bac pro. Ne peuvent plus se présenter à ce diplôme les candidats sous statut scolaire ou les apprentis l’ayant spécifiquement préparé, ceux qui ont suivi une formation spécifique en formation continue, dans un établissement privé hors contrat ou par enseignement à distance ou les candidats majeurs ne justifiant pas avoir suivi une formation.

L’objectif n’est plus de récupérer des postes : il est celui, louable, de diminuer le poids des examens dans le fonctionnement du système. Mais la mesure a là aussi été appliquée brutalement : sans nuances, elle est applicable à toutes les spécialités professionnelles ; et sans états d’âme, sans aucune interrogation sur la question de l’employabilité et celle de savoir si les compétences consacrées par le bac pro sont ou non  équivalentes à celles qu’apporte le CAP.

Trois organisations professionnelles des métiers de l’esthétique n’acceptant pas cette interdiction – l’union des professionnels de la beauté et du bien-être (UPB), la fédération internationale des écoles professionnelles de la parfumerie, de l’esthétique et de la cosmétique (FIEPPEC) et la confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA) - ont attaqué ce décret devant le Conseil d’Etat : celui-ci admet en partie leur recours dans un arrêt du 4 février 2022, éclairé par les conclusions de Raphaël Chambon publiées sur ArianeWeb.

Les organisations requérantes soutenaient que les nouvelles dispositions modifiaient gravement les conditions d’accès à la profession d’esthéticien(ne). Celui-ci était réglementé et réservé aux personnes de plus de 18 ans "qualifiées professionnellement", c’est-à-dire, disaient les textes antérieurs, titulaires d’un CAP, d’un BEP, d’un brevet professionnel, d’un bac pro ou d’un BTS. Les candidats au bac pro "esthétique cosmétique parfumerie" se présentaient aussi au CAP et, note le rapporteur public, "pour le tiers d’élèves ne décrochant pas in fine le bac pro, qu’ils aient abandonné en cours de cursus ou échoué à l’examen, disposer néanmoins du CAP leur ouvrait les voies de la profession et leur permettait en outre de bifurquer  vers l’apprentissage en préparant en deux ans d’alternance un brevet professionnel (…). Les organisations professionnelles soutiennent que la disposition qu’elles critiquent va fortement limiter le vivier des salariés du secteur de l’esthétique, alors que de nombreuses offres d’emplois ne sont pas pourvues."

Elles voyaient donc dans cette privation de l’accès aux métiers de l’esthétique une erreur manifeste d’appréciation. Le Conseil d’Etat rejette l’argument : "il ressort des pièces du dossier, dit-il, qu’un élève ayant renoncé ou échoué à l’examen du bac pro peut soit se présenter à nouveau à cet examen (…), soit préparer le CAP, soit se présenter directement au CAP en qualité de candidat libre s’il est âgé de plus de 18 ans." Certes, "ces dispositions ont pour conséquence de contraindre les élèves âgés de moins de 18 ans ayant renoncé à présenter l’examen du bac pro, à suivre une préparation spécifique d’une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au CAP, il n’en résulte pas qu’eu égard aux objectifs poursuivis, qui visent notamment à revaloriser le CAP, ces mesures soient à ce titre entachées d’une erreur manifeste d’appréciation." Comme l’indique le rapporteur public, on peut nourrir des doutes sur l’opportunité de la réforme, mais l’erreur dont elle pourrait être éventuellement entachée ne présente pas le caractère grossier et flagrant nécessaire pour la rendre "manifeste".

Il n’y a pas non plus de rupture de l’égalité de traitement entre les élèves scolarisés dans les établissements publics et privés sous contrat et ceux des établissements hors contrat : certes, pour les premiers une partie de la délivrance du bac pro résulte d’un contrôle continu, alors qu’il est entièrement terminal pr les seconds. Mais cette différence de traitement est justifiée par la différence des situations. 

En revanche, le dernier argument des organisations requérantes retient l’attention du juge. Le ministère s’est montré trop pressé d’appliquer sa réforme. Il a décidé qu’elle entrerait en vigueur le 1er janvier 2021, autrement dit qu’elle concernerait des élèves en cours de scolarité. Après s’être engagés dans le cursus du bac pro en ayant la promesse de pouvoir passer le CAP durant leur scolarité, ces élèves se sont entendu dire que ce n’est finalement pas possible. Pour les 26 spécialités ayant pour diplôme intermédiaire du bac pro le CAP (sur 105), et une partie des 13% d’élèves concernés, cela a remis en cause la sécurisation dont ils jouissaient, contredit le principe de sécurité juridique et entraîné des conséquences graves, en les privant de la possibilité d’obtenir un diplôme intermédiaire leur permettant d’exercer une profession réglementée. Le juge fait donc application de l’article L. 221-5 du code des relations entre l’administration et le public, qui impose à l’administration d’édicter des mesures transitoires lorsque l’application d’une nouvelle réglementation "entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause". 

Il annule l’article 2 du décret sur ce point, en tant qu’il "en tant qu’il n’a pas reporté au 1er septembre 2022 son entrée en vigueur" et qu’il s’applique "aux élèves de classes de seconde et première professionnelles scolarisés au titre de l’année scolaire 2020-2021 dans un établissement public local d’enseignement ou dans un établissement privé sous contrat, ou pour les élèves en formation en vue de préparer un baccalauréat professionnel par la voie de l’apprentissage en 2020-2021".

Au grand dam de l’administration qui a fortement souligné les difficultés auxquelles cette annulation la confrontait. Pour citer le rapporteur public cela l’oblige à "organiser dans un délai bref une nouvelle session d’examen, pour permettre aux élèves inscrits cette année en première professionnelle ou en terminale professionnelle désireux de le faire de passer un CAP, ce qui posera des difficultés, a fortiori dans le contexte sanitaire actuel. (Le ministre) insiste en particulier, s’agissant des épreuves du CAP qui donnaient lieu jusqu’alors à des contrôles en cours de formation s’étalant sur trois semestres plutôt qu’à des épreuves ponctuelles, sur la difficulté de mettre en œuvre de tels contrôles sur une durée sensiblement réduite et alors surtout que les programmes des épreuves générales du CAP ne sont désormais plus enseignés en seconde et en première professionnelles."

Le Conseil d’Etat refuse cependant, refusant d’appliquer la jurisprudence A.C. de 2004, selon laquelle il appartient au juge de veiller à ce que la disparition rétroactive des dispositions annulées n’entraîne pas "des conséquences manifestement excessives, eu égard aux intérêts en présence et aux inconvénients qu’elle présenterait". Conformément aux conclusions du rapporteur public, il décide que l’annulation de l’article 2 du décret s’appliquera immédiatement. Il appartient donc à l’administration de reprendre son texte sur ce point et, en attendant d’organiser d’urgence une session exceptionnelle du CAP. Sachant qu’elle reste libre, pour parer le plus possible aux difficultés, de modifier et de simplifier les conditions de son organisation, par exemple en supprimant tout contrôle continu.

 

 

André Legrand

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