Les recherches scientifiques et la pédagogie, thème du dernier numéro d'ANAE
Paru dans Scolaire le vendredi 18 février 2022.
"Le but des recherches scientifques est non seulement d'évaluer scientfiquement les effets (des techniques élaborées par la pédagogie) mais aussi de comprendre, expliquer comment ces techniques peuvent fonctionner alors que le but de la pédagogie est d'élaborer des techniques qui fonctionnent", écrit Edouard Gentaz dans l'avant-propos du numéro de l'ANAE consacré aux "apports et limites" des "recherches et applications pédagogiques". Pour le rédacteur en chef de la revue (U. de Genève et CNRS) "la standardisaton des gestes professionnels n'est ni possible, ni souhaitable" : "il est nécessaire de ne pas considérer les enseignants comme des 'techniciens' (...) mais plutôt comme des 'ingénieurs' et ainsi reconnaître leurs expertises et leurs savoirs."
Il met d'ailleurs en cause les raisonnements de type hypothético-déductif dans le domaine scolaire, "compte tenu de la complexité du système éducatif et de son inscription dans le champ social et culturel" et il note qu'aux USA, moins de 10 % des "recherches interventionnelles" (des méthodes pédagogiques implantées dans des classes et ayant donné lieu à une évaluation randomisée, avec un groupe témoin comme en médecine, ndlr) ont produit des "effets positifs". Quant au programme PARLER (la méthode de lecture mise au point par l'équipe du Dr Zorman, ndlr) "l'intervention n'a pas permis de faire davantage progresser en lecture les enfants du groupe "test" que ceux du groupe "témoin".
Edouard Gentaz revient, avec Liliane Sprenger-Charolles, sur la question des méthodes de lecture. Ils évoquent dans un article consacré à "l'acquisition de la littéracie par les jeunes élèves" et aux "méthodes d'enseignement de la lecture", le rapport entre "la facilité de la mise en place du décodage" et la régularité des correspondances graphème-phonème (CGPh) dans la langue dans laquelle l’enfant apprend à lire. "Alors qu’un enfant finlandais maitrise le décodage avant la fin de la 1re primaire, un enfant anglais a besoin de plus d’une année pour y parvenir." Ils estiment que "la mise en route du décodage nécessite d’abord un apprentissage systématique et précoce des CGPh les plus fréquentes et les plus régulières". Après quoi l’enfant peut apprendre par lui-même à décoder de nouveaux mots". Pour les deux auteurs, compréhension et décodage ne s'opposent pas, c'est en effet "la capacité de décodage" qui explique le mieux "des résultats en compréhension de l’écrit".
Ils passent en revue la littérature anglophone sur le sujet, qui montre que les effets bien supérieurs "d’une méthode appelée en anglais phonics, dans laquelle cet enseignement, qui est systématique, s’appuie sur les CGPh mais aussi sur d’autres unités phonologiques, en particulier les rimes des mots, par rapport à d’autres méthodes : les méthodes mixtes, qui enseignent les relations entre code écrit et oral mais de façon non systématique, et les méthodes whole word ou whole language (méthode globale, ndlr)."Certes, Jeffrey Bowers a contesté ces conclusions, mais ses arguments ont été à leur tour contestés. Une étude belge confirme d'ailleurs l'importance du B. A. BA dans le domaine francophone et montre des effets positifs "après 6 ans de scolarisation". Pour les auteurs "L’enseignement du sens et celui du code, qui sont complémentaires, doivent être distingués au début de cet apprentissage. Durant la première moitié de l’année scolaire, un fort accent doit être mis sur le code (...). Ce n’est qu’à partir du moment où les enfants maitrisent, au moins en partie, les correspondances graphème-phonème qu’il devient possible d’aborder explicitement avec eux les problèmes spécifiques posés par la compréhension écrite."
A noter encore dans ce numéro d'ANAE, un article de K. Mazens (U. de Grenoble Alpes), sur les premiers apprentissages mathématiques. Pour lui "la représentation de la quantité est centrale pour donner du sens aux nombes symboliques". A noter également un article de S. Richard (HEP du Valais) sur "le rôle central joué par les compétences sociales et émotionnelles". Pour lui, "le jeu de faire semblant représente un outil pédagogique essentiel".
ANAE (approches neuropsychologiques des apprentissages chez l'enfant), n° 176, février 2022.