Exposer les enfants aux symboles de la nation, à la devise républicaine ne suffit pas à en faire des Français républicains (Sebastian Roché)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 17 février 2022.
“Loin de faciliter la cohésion sociale, les fonctionnements actuels de l'école et de la police creusent le sentiment de rejet et amplifient le malaise“, estime Sebastian Roché dans son dernier ouvrage, ajoutant que “la fabrique de la démocratie repose pour une large part sur la socialisation des enfants et l'éducation“.
Car une nation vivante, estime le sociologue, est traversée de divergences d'intérêts et de convictions. "La conflictualité lui est inhérente“, mais elle sait les résoudre. Il considère que la reproduction de la nation est un processus permanent qui passe par la socialisation politique de la jeunesse, mais se demande comment (“comme par magie“), “la jeunesse deviendrait nationale et démocrate par simple exposition aux symboles de la république“ ?
“Croire que le gouvernement n'impose pas suffisamment, par la violence si nécessaire, sa définition du peuple d' ‘Etat‘, vouloir faire apprendre les valeurs comme des leçons, dessine en creux un modèle autoritaire, et non pas une démocratie libérale avancée“, assure l'auteur.
Le sociologue cherche à comprendre l'interprétation de la nation par la jeunesse, la fabrique critique de son affiliation. Il explique que les résultats de travaux sur les effets de la participation des élèves aux activités menées au sein de l'établissement scolaire ou en périscolaire “indiquent que les cours d'éducation civique ex cathedra (imposés solennellement, ndlr) ne sont pas la bonne porte d'entrée pour former une culture participative et d'engagement“, mais au contraire “que ce sont les modalités de l'éducation à l'école, la manière de faire la classe et d'impliquer des élèves dans des projets de groupe et dans la vie de l'école qui font vivre les attitudes civiques".
Aujourd'hui, la fabrique de la nation est ainsi “avant tout comprise comme une exposition des enfants aux symboles de la République, assortie d'une sacralisation desdits emblèmes. Le second volet est constitué de l'éducation civique à l'école. L'idée directrice est d'exposer les enfants aux symboles de la nation, à la devise républicaine et à l'idée de l'Etat bienveillant, afin qu'ils soient inconsciemment assimilés.“
Plus concrètement, plus quotidiennement, Sebastian Roché pense qu'école et police “assignent une place dans la société“ et confèrent des statuts opérant une influence sur la culture politique. Il défend “l'idée que l'expérience concrète de ses droits et de sa valeur à l'école et face à la police est à la racine de l'adhésion à la culture politique nationale". Dans leur expérience, “les jeunes peuvent vérifier l'existence de l'égalité promise en droit. Ou son caractère mythique.“
Car, “pris ensemble, policiers et enseignants sont les agents qui incarnent les principes de la République dans leurs actions : la manière dont les agents traitent les jeunes les informe sur ce qu'ils valent.“
Même si il concède la difficulté d'isoler le rôle de l'école, “lieu de transmission par excellence“, dans l'action de socialisation, ajoutant que le cadre familial et le cadre scolaire influent tous deux, le sociologue souligne que “la relation aux professeurs, aux notes et à la ségrégation scolaire dans les enquêtes souligne leur rôle dans l'attachement à l'école, bien sûr, mais aussi à l'affiliation nationale". Ainsi, “une expérience favorable à l'école se révèle être un facteur robuste d'appartenance nationale et civique“.
L'auteur constate notamment que le système éducatif français est fracturé par une puissante ségrégation scolaire (dès le collège), ce qui se retrouve par exemple “dans les quartiers favorisés, (où l') on fait beaucoup de prévention à l'école, et dans les défavorisés, presque deux fois moins : 40 % des élèves ont vu un policier dans les premiers, et 23 % dans les seconds.“
Mais l'expérience de l'inégalité “ne s'arrête pas à l'école“ et “une autre administration de première ligne est rencontrée par les jeunes, moins fréquemment certes, mais avec un effet symbolique tout aussi puissant : la police.“
Aussi, “l'affiliation nationale est nettement affectée par l'exposition des collégiens et lycéens aux contrôles répétés par la police. Plus les adolescents cumulent de types de contrôle, moins ils se sentent français, et plus ils choisiraient une autre nationalité s'ils le pouvaient. La banalisation des contrôles arbitraires matérialise les frontières du peuple d'Etat, et indique aux adolescents ciblés qu'ils n'y ont pas leur place.“
Sebastian Roché, La nation inachevée, Grasset, 400p, 22,50€.