Quelles réponses au pessimisme généralisé sur l'avenir de l'Ecole ? (Agora de l'éducation, Sénat)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 27 janvier 2022.
“Pire que l'inégalité, le manque d'espérance." C'est par ces mots d'Erik Orsenna que s'entamait, hier 26 janvier, "l'Agora de l'éducation" organisée par le Sénat. Entouré de sénateurs et de professionnels de l'éducation, l'académicien s'inquiète de voir une perte de confiance dans le savoir, une assignation à la résignation sociale ou encore un rejet de toutes les sciences prendre le pas sur la curiosité.
Et c'est bien pour répondre aux “enjeux multiples (qui) pèsent sur l'école de la République“ que le Sénat s'est intéressé à la perception et aux attentes des français et des enseignants vis à vis du système scolaire.
“Aujourd'hui vous avez un regard mitigé des parents et du grand public sur le fonctionnement de l'école“ détaille Julie Gaillot de l'institut CSA, qui poursuit, “et chez les enseignants, le regard est extrêmement sévère". Ils sont en effet respectivement 53 % et 76 % à trouver que l'école fonctionne mal. Seul niveau d'enseignement jugé positivement, le primaire, tandis que seuls 25 % des enseignants considèrent que le collège fonctionne bien, d'où le “constat d'un système qui est grippé“.
Elle évoque également “un regard assez sombre sur l'avenir de l'école“ de la part des différents sondés, avec uniquement 31 % des parents et 23 % des enseignants qui estiment que l'école est efficace pour résorber les inégalités sociales et territoriales. Parents et enseignants se rejoignent également sur la maîtrise des fondamentaux comme priorité (87 et 94 %).
Amour du métier. Sous cet item se retrouvent les 67 % enseignants qui se disent épanouis dans le poste qu'ils occupent, un chiffre qui paraît important mais, se demande Julie Gaillot, “est-ce que c'est assez ? Finalement ce chiffre, on l'observe aussi dans le secteur privé.“ Elle ajoute qu' "il se noue quelque chose au niveau de la hiérarchie qui semble ne pas être totalement satisfaisant pour les enseignants“.
Le dédoublement des classes est la mesure la plus connue des réformes menées récemment (61 % du grand public et 88 % des enseignants). Mais Julie Gaillot évoque une “notoriété mitigée chez le grand public et les parents d'élèves, à peine 6 sur 10 voient de quoi on parle, et je ne parle pas des cordées de la réussite".
Chacune des mesures bénéficie plutôt d'un a priori favorable, mais une seule fait réellement consensus, l'interdiction d'affecter des enseignants débutants dans des zones difficiles.
Les élus locaux ont également été consultés sur l'organisation du système scolaire. 57 % d'entre eux pensent que les mesures prises durant le quinquennat ont permis de réduire les inégalités au primaire. Ils sont 51 % à le croire pour le secondaire. Près d'un élu sur deux considère que l'établissement de la carte scolaire reste une source de tension avec l'Education nationale. 63 % des élus interrogés indiquent avoir été informés de cas de violence à l'école.
Face à ces données, il a été question de la formation des enseignants que Cédric Villani souhaite voir refondée, en même temps qu'il souhaite davantage de recrutements. Pour Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes, l'école s'efforce de réduire les inégalités “dans un contexte général où l'amour de la science, la recherche du savoir ne sont plus une priorité“. Elle parle de la perte de sens du savoir “confondu avec une opinion“, de sa transmission “confondue avec la communication d'informations“. Elle regrette “l'éparpillement des missions de l'école“ et évoque enfin “le développement de pédagogie constructivistes“ dans lesquelles on ne parle non plus d'élèves mais d'apprenants qui construisent eux-mêmes les objets de leurs savoirs.
“En France on est très très dur sur notre système d'éducation“, estime pour sa part Eric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation de l'OCDE. Il explique que le classement PISA “dit qu'on est dans la moyenne des pays de l'OCDE“ mais que le niveau des inégalités est très fort depuis 20 ans, alors que “la France est un des pays où sortir sans diplôme a le plus d'impact sur employabilité“. Il considère enfin que “les inégalités sont très fortes, à tous les niveaux d'éducation“ et qu'il “faudrait faire mieux dans nos filières professionnelles".
Ont été abordés le rôle de la vie scolaire “qui participe à la transmission de l'éducation morale et civique“, ou encore l'importance de la maîtrise de la langue, “une faille qu'on a en partie ignorée“, témoigne un professeur de philosophie de Créteil.
Le sénateur Max Brisson (LR) rappelle que “2 % des décisions sont réellement prises en autonomie par les établissements“, mais pour Bruno Bobkiewicz (SNPDEN, syndicat des personnels de direction, ndlr) l'autonomie est un “mot valise utilisé comme la solution à toutes les difficultés de l'école“, une notion agitée mais dont finalement personne ne veut, alors que “globalement au quotidien tous les freins mis sont en œuvre pour qu'elle ne s'applique pas effectivement".
A noter enfin la perception de temps périscolaires “ratés“ et “vécus comme une façon pour l'EN de se décharger“, qui sont “à réhabiliter“ avec la possibilité d'encadrer les enfants plus longuement. Autre idée, il serait “souhaitable que les établissements aient les moyens de stabiliser leurs équipes“.
La vidéo d'annonce de l'agora ici