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Crise sanitaire : les personnels territoriaux sont "les oubliés" alors qu'ils la subissent comme les enseignants (interviews du RFVE et de l'ANDEV)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 07 janvier 2022.

"Les écoles sont ouvertes, mais dans des conditions dégradées", estime Emilie Kuchel, adjointe au maire de Brest et présidente du Réseau français des villes éducatrices. Pour sa part Jean-Pierre Bellier, adjoint au maire de Nanterre et inspecteur général honoraire, regrette que la gestion de la crise épidémique par l’Etat fasse si peu cas des obligations qui pèsent sur les collectivités locales. Cécile Duportail, DGA à Arcueil, et porte parole à l'occasion de cette interview de l'ANDEV (l'association des cadres de l'éducation des collectivités) estime que les agents communaux sont les "oubliés de la crise".

ToutEduc : Une proportion importante des personnels territoriaux (par exemple ATSEM, agents d'entretien, etc..), variable selon les régions, est touchée par l'épidémie, cas contacts ou contaminés. Comment faites-vous pour les remplacer ?

Emilie Kuchel : Ce n'est pas facile. Pour l'instant, A Brest, nous sommes théoriquement moins touchés que dans d'autres régions mais nous devons rester vigilants. Lors de crises précédentes, nous avons pu demander par exemple à des maîtres-nageurs de venir en renfort dans les écoles tandis que des ATSEM donnaient un coup de main dans les Ehpad... Mais ces redéploiements ont des limites. Les différents ateliers vont se transformer en garderie. Dans les cuisines, pour ne prendre qu'un exemple, l'allumage des fours demande tout un protocole, et n'importe qui ne peut pas remplacer des agents qui ont reçu une formation spécifique...Certains métiers techniques sont difficilement remplaçables. Nous devons être prêts à servir des repas froids si nous voulons que les enfants aient à manger.

Jean-Pierre Bellier : A titre d’illustration, s’agissant des “invisibles“ tels que sont souvent considérés les agents chargés de l’entretien des écoles, plus d’un quart d’entre eux étaient absents hier soit parce que souffrants, cas contacts ou en autorisation spéciale d’absence (ASA). Mais pour permettre à l’éducation nationale de maintenir toutes les écoles ouvertes, nous réajustons chaque jour leurs affectations en fonction du nombre de classes fermées dans chaque école, quitte à demander à chacun.e d'aller un jour dans l'une, le lendemain dans une autre, parfois de 6h à 7h dans l'une et de 7h à 8h dans une autre. C'est un jeu de chaises musicales épuisant pour ces agents qui sont d’un dévouement exemplaire et, encore une fois (voir ToutEduc ici), je veux leur rendre un hommage appuyé et sincère.

Cécile Duportail : L'ANDEV a réuni son bureau, en visio bien sûr, ce matin, et nous sommes tous.tes d'accord, les personnels communaux sont les oubliés de la crise. On parle des absences des enseignant.e.s et des difficultés auxquelles iels sont confronté.e.s, mais bien peu des agents qui doivent faire plusieurs passages pour l'entretien et la désinfection des locaux, des animateurs des activités péri et extrascolaires, de la pause méridienne et des dispositifs à mettre en place pour éviter les brassages, il est important d’évoquer aussi les Atsems, qui sont en classe avec les enseignant.e.s dans les écoles maternelles....

L'une des difficultés auxquelles nous sommes confronté.e.s, c'est la gestion des stocks pour la cantine. Nous ne savons jamais combien d'enfants vont rester déjeuner. On pense rarement à nous communiquer le nombre d'enfants qui seront absents le lendemain, ou qui, dans la matinée, doivent aller faire un test. Résultat, un gaspillage énorme, une perte financière importante pour les communes, qui ne peuvent pas, dans ces conditions, facturer le repas, et beaucoup de stress pour les agents.

Et trouver des remplaçants pour les malades, les cas contacts, ceux et, plus souvent, celles qui doivent garder les enfants est aussi difficile pour nous que pour l'Education nationale de trouver des enseignants. Ce sont des métiers peu qualifiés, donc peu payés. Qui a envie d'aller faire le ménage dans une école dans ces conditions ? Je peux vous dire que nos personnels sont très mobilisés ... et épuisés !

ToutEduc : Les enseignants et les élèves sont là ?

Emilie Kuchel : Oui, mais il suffit d'un cas contact pour que les autres élèves doivent se faire tester et comme les familles ont beaucoup de mal à trouver des tests, la classe est fermée, pour un jour, deux jours, donc on n'a pas le temps de mettre en place un enseignement en distanciel. Puis la classe rouvre, mais les élèves doivent à nouveau se faire tester, ce qui peut créer de nouvelles difficultés et de nouvelles fermetures. Ajoutons que, qu'il s'agisse des enseignants ou des personnels communaux, ce sont des métiers très féminisés, et ce sont, même si on peut le déplorer, plus souvent les femmes qui restent à la maison pour garder les enfants quand ils sont malades...

Jean-Pierre Bellier : Je partage ce qui est dit par ma collègue mais je tiens à souligner que ce n'est pas la mairie qui décide d’ouvrir ou de fermer une école. Les villes font le maximum pour que toutes puissent ouvrir, que l’entretien et la désinfection corresponde aux exigences d’un protocole sanitaire - auquel il faut chaque jour s’adapter - mais il revient au directeur, en accord avec son IEN de circonscription, de décider d'une éventuelle fermeture, au vu des conditions matérielles et du nombre d'enseignants absents. La communication à cet égard doit être exempte de toute ambiguité, les collectivités ont déjà suffisamment de responsabilités à assumer dans ces périodes de crise pour ne pas leur en rajouter une !

Cécile Duportail : C'est exact ... sur le papier. Mais quand un service municipal constate qu'il n'est pas en mesure d'assurer l'entretien d'une école selon les normes du protocole sanitaire, et qu'il appelle le DASEN, il (ou elle) renvoie sur la préfecture, qui renvoie sur l'Education nationale. Finalement, c'est le maire qui, au nom de ses pouvoirs de police, prend la décision et la commune, élus et personnels, qui se prend de plein fouet la colère des enseignants et des familles.

J'ajoute qu'une grève est annoncée pour jeudi prochain. Nous ne pourrons pas assurer le SMA (service minimum d'accueil) puisque le protocole interdit le brassage et qu'il faudrait un animateur par classe, souvent deux ou trois enfants.

ToutEduc : Avez-vous des détecteurs de CO2 ?

Emilie Kuchel : En nombre très insuffisant. Rien que dans les écoles publiques, Brest compte 350 classes et un détecteur coûte 200€ ! Mais l’éventualité d’un déploiement massif et les coûts que cela induirait sont en cours d’analyse.

Jean-Pierre Bellier : Nous avons très rapidement installé des détecteurs fixes dans tous les espaces où des élèves sont en plus grand nombre, les cantines notamment, et chaque école peut disposer d'un ou deux détecteurs mobiles, utilisés à la demande. Nous avons également confié aux directeurs d’écoles qui le demandaient des "carrés", ces clés qui permettent d'ouvrir les fenêtres des salles de classe qui sont normalement réservés aux agents d'entretien.

Cécile Duportail : A Arcueil, nous avons un détecteur par école, et nous attendons de savoir comment ils sont utilisés avant d'en acheter d'autres.

ToutEduc. Le ministère a annoncé une enveloppe pour venir en aide aux communes...

Emilie Kuchel : Effectivement, mais pas pour les détecteurs dans les cantines, là où ils seraient le plus utiles. De plus, il faut que les commandes aient été passées après que cette aide a été annoncée. Beaucoup de communes se retrouvent ainsi exclues de ce financement.

Jean-Pierre Bellier : Si nous avions anticipé pour un équipement « de base » par école, nous avons encore de gros besoins avec nos quelques 530 salles de classes et de ce fait nous sommes en train d’établir une demande de subvention à ce titre !

ToutEduc : Vous êtes présidente du Réseau français des villes éducatrices, ou élu local ou porte parole des cadres de l'éducation,  Quelle est l'utilité d'appartenir à un réseau quand chacun est confronté à des difficultés propres à sa ville ?

Emilie Kuchel : C'est l'inverse, en temps de crise, on ne peut pas rester replié sur son territoire. Moi, j'ai la chance d'avoir des équipes de techniciens qui m’accompagnent mais dans de nombreuses villes petites ou moyennes, les élus sont submergés, et quand l'information arrive du jour pour le lendemain, qu'elle est difficile à décrypter, ils ont besoin d'échanger avec leurs pairs. Le RFVE organise de nombreux webinaires, nous avons une boucle whatsapp, nous partageons nos expériences et nos interrogations, nous travaillons avec France urbaine...

Cécile Duportail : C'est très important. Nous échangeons nos informations puisque le plus souvent, le temps que nous apprenions qu'il y a un nouveau protocole, il est déjà obsolète, nous partageons nos expériences, "tiens, iel a trouvé telle solution, je pourrais essayer", ou bien "les autres sont comme moi, et c'est rassurant", "tiens, la solution que j'ai trouvée n'est pas si mauvaise"... On se sent moins seul.e., d'autant que notre association est très sympathique.

Jean-Pierre Bellier : La Ville et ses cadres sont très impliqués dans les réseaux, RFVE et ANDEV, dont elle est d'ailleurs co-fondatrice. Si nous consacrons du temps aux échanges, il est aussi vrai que nous sommes "dans le juste à temps", et souvent "en circuit court". Au point que lorsque des cadres du service éducation sont cas contact ou positifs, nous, les élus, sommes amenés à intervenir en prise directe avec la gestion.

ToutEduc : Et avec le ministère ?

Emilie Kuchel : Nous avons très peu d'informations. Ceux de mes collègues, élus en charge de l'éducation avant 2017 me disent qu'ils avaient beaucoup plus d'échanges avec le cabinet du ministre. Maintenant, nous avons des consignes, mais aucune réponse à nos interrogations sur le "comment mettre en place", ni aucune reconnaissance de notre expertise. C’est regrettable surtout dans une situation difficile telle que nous la vivons depuis le début de cette crise sanitaire.

Jean-Pierre Bellier : Compte tenu de mon parcours professionnel, j'ai de nombreux contacts 'off' avec les cabinets et les services centraux et déconcentrés du ministère, mais j’évite de les rentabiliser au titre de mes fonctions d’élu. Pour vivre heureux, vivons cachés ! L’enjeu pour un élu local est avant tout de construire de bonnes relations avec les directeurs d’écoles, les inspecteurs de circonscription voire le ou la DASEN. A Nanterre, nous avons constitué entre les IEN et les services de la Ville une "cellule de crise" qui se réunit en visio tous les jours à 14h pour échanger nos informations et programmer la mobilisation des ressources pour le lendemain. Paradoxalement, cette crise constitue l'occasion de se découvrir autrement, de s’apercevoir que ces personnels d’encadrement sont “aussi“ des gens "formidables" pour reprendre le mot d'un chef de service de la Ville... C'est une occasion de travailler différemment, avec le souci commun de maintenir coûte que coûte un service public d'éducation de qualité au bénéfice de la population.

Cécile Duportail : Nous avons surtout un problème de cohérence. Dans le Val-de-Marne, le DASEN nous a répondu "on n'annule pas les classes de découverte" alors que nos collègues de Seine-Saint-Denis ont reçu la consigne inverse. Tout dépend des académies, des départements, de la qualité des relations interpersonnelles, et c'est ensuite nous qui sommes en première ligne face aux familles et aux enseignant.e.s.

Propos recueillis par P. Bouchard et relus par Emilie Kuchel, Jean-Pierre Bellier et Cécile Duportail

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