Les mythes pour apprendre à philosopher à l'école (ouvrage)
Paru dans Scolaire le mercredi 29 décembre 2021.
- Marcel : “L'animal ne ressent la souffrance que si on la lui fait à lui tandis que les hommes peuvent comprendre la souffrance des autres.“
- Nawelle : “C'est pour ça que les hommes peuvent réfléchir avant d'agir.“
- Nadia : “Pour mieux connaître le Bien et le mal, il faut tout le temps se mettre à la place des autres.“
- Le maître : “Au début de notre conversation, nous nous demandions si le Mal était le propre de l'homme. Est-ce que vous pensez que maintenant nous avons une idée plus précise de cette question ?“
- Nawelle : “Le Mal, c'est quand les hommes font le Mal par plaisir. Les animaux le font par nécessité.“
Voici un extrait d'une discussion à visée philosophique (DVP) autour du mythe de l'anneau de Gygès (Platon, 2ème livre de La République) par une classe de CM2 et qui porte sur le rapport de l'homme au pouvoir et au bien.
Ce travail de débat sur les mythes a été impulsé par les nouveaux programmes de 2000-2001 qui ont mis en avant l'organisation de débats argumentés, et plus précisément de débats d'interprétation en français. Des travaux du Groupe d'élaboration de ressources (GER) sur l'oral réflexif ont conduit à la rédaction d'un ouvrage qui s'appuie sur la valeur formatrice des débats d'interprétation en français, “mais en encrant la pensée des élèves dans de grands textes issus de la tradition philosophique occidentale“.
Pour Sylvie Queval, maîtresse de conférences en Sciences de l'éducation Lille 3) qui en signe la préface, “le mythe ne parle pas de lui-même, il suggère, oriente l'attention, éveille l'intérêt. Elle ajoute qu 'il “importe que le maître ait clairement identifié, pour lui-même, son projet lorsqu'il décide d'introduire la lecture de mythes dans sa classe. C'est comme supports de la pensée qu'un atelier philosophique convoquera les mythes.“
Ce livre collectif, écrit sous la coordination de Michel Tozzi, professeur en Sciences de l'éducation (Montpellier 3) propose ainsi des éléments de compréhension des mythes, des suggestions de dispositifs et outils, des idées pour se former, ou encore des commentaires à destination des enseignants ou formateurs qui sont la base de la discussion réflexive ici mise en relief.
Celle-ci promeut le développement d'un échange entre participants sous la conduite d'un animateur, d'une “interaction sociale verbale sur laquelle les participants vont réfléchir, exercer leur raison pour s'enrichir mutuellement de leur cheminement intellectuel“, avec l'idée que le mythe a une portée transhistorique.
Martine, enseignante, raconte ses difficultés dans l'exercice : “Mes élèves sont petits en âge et ont du mal à prendre du recul par rapport à la parole de l'adulte. Il leur est aussi difficile de sortir de l'immédiateté.“ Mais pour Sylvain, “tout enfant est en mesure de produire une pensée qui vient de lui, à condition qu'on le lui permette. De plus, dans le cadre d'une classe coopérative, ces discussions ne peuvent qu'enrichir ce qui se construit déjà, notamment en ce qui concerne l'idée du vrai. Pour moi, philosopher, c'est l'art du doute, ce qui ne peut que contribuer à créer dans un esprit de classe la relativité des opinions.“
Exercices préparatoires à la compréhension d'un mythe (par exemple sur le rapport de l'homme à la vérité avec l'allégorie de la caverne), lire ensemble, débat d'interprétation (discussion à visée démocratique, philosophique), formulation de questions... plusieurs méthodes sont décrites avec pour objectifs la maîtrise du langage oral, le développement de la pensée, ou l'éducation à la citoyenneté.. Selon les auteurs, avoir de telles discussions repose sur trois processus de pensée du “philosopher“ (problématiser, conceptualiser, argumenter). Ils ont choisi, là où l'école sert à la création d'une culture commune partagée, de se baser sur des mythes “à cause de ce qu'ils nous disent d'universel sur la condition humaine“ et en particulier avec Platon car ils sont chez lui un “moyen privilégié de faire réfléchir“.
Interrogée sur son expérience, Mireille, enseignante également, considère d'ailleurs qu' “il s'agit de mettre à disposition des enfants un espace de parole, d'échanges et de réflexion sur les grands problèmes de la vie.“ Elle espère d'ailleurs “que ces activités aident les enfants à réfléchir par eux-mêmes, développent leur esprit critique par l'intermédiaire d'un rapport non-dogmatique au savoir, les conduisent à mieux entendre la parole de l'autre et contribuent à en faire des personnes citoyennes, responsables de leurs actes, et non toujours soumises aux dernières influences.“
De plus, “les enfants aiment bien qu'on leur raconte des histoires“ mais souvent les adultes se contentent de les lire. Comme décrit par Bruno Bettelheim dans “Psychanalyse des contes de fées“, la sensibilité et l'imagination opèrent un lent mais fondamental travail de signification par projection.
Ici, décrivent les auteurs de cet ouvrage, “notre parti pris pédagogique est d'accompagner la lecture de mots et d'interactions qui vont verbaliser, conscientiser cette signification, la thématiser, pour en faire un sujet et un objet de discussion et d'échanges autour des questions que les enfants se posent à son propos.“
Sofiane, 6 ans, considère qu' “avec des questions tu peux creuser encore plus parce qu'y en a y vident toutes les idées qui zont dans la tête, y'en a des fois y posent une question et on creuse encore plus“, tandis qu'Anissa, 7 ans “pense qu'une DVP c'est bien, qu'on partage toutes les idées des autres, on se met dans un sujet, c'est bien, on partage tout, les idées, on les cache pas.“
Débattre à partir des mythes (2ème édition revue), coordination Michel Tozzi, Chronique Sociale Editions, 208p., 14€