Scandale "Avenir lycéen" : l'inspection générale dresse un bilan sévère de la gestion des subventions par le ministère et par les associations
Paru dans Scolaire le lundi 06 décembre 2021.
"La question de l’opportunité du maintien de subventions à l’intention de ces associations (lycéennes) se trouve posée", estiment les inspecteurs généraux auteurs d'un rapport sur "le contrôle des associations lycéennes et de parents d’élèves recevant des subventions du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports". Le rapport, qui date du mois de juillet mais qui vient d'être mis en ligne, répond à la commande du ministre. Jean-Michel Blanquer, après la révélation de dépenses somptuaires par "Avenir lycéen", une association soupçonnée d'avoir été créée pour faire pièce à d'autres associations, traditionnellement proches de la gauche et très critiques à son égard, avait demandé à son administration que l'enquête portant sur "Avenir lycéen" et le détournement d'argent public soit étendue à toutes les organisations lycéennes qui ont reçu des subventions de l'Etat depuis 10 ans. Les inspecteurs généraux en comptent huit, auxquelles s'ajoutent les deux fédérations de parents d'élèves de l'enseignement public.
Les noms des associations et fédérations sont systématiquement occultés et les annexes ne sont pas publiées, au titre de l'article L.311-6 du CRPA (code des relations entre le public et l'administration), ce qui rend la lecture du rapport délicate.
S'agissant de la FCPE et de la PEEP, les inspecteurs généraux notent surtout que leur modèle économique se détériore. Mais leurs dossiers sont "relativement bien tenus et permettent de justifier au moins globalement l’usage des subventions reçues". Mais, outre des difficultés liées à leur histoire, notamment pour l'une d'elle "l’expérience malheureuse de création d’une structure d’assurance scolaire" et à des dissensions internes, le rapport souligne l'importance de conflits, par exemple sur la "façon d’approcher la laïcité au sein de l’école qui fait débat“ et note une détérioration de la situation financière, liée à une diminution du nombre d'adhérents et donc des cotisations (entre 2016 et 2019, de 1,279 M€ à 996 000 € pour l'une et de 1,902 M€ à 1,524 M€ pour l'autre. S'y ajoute "une baisse continue du chiffre d’affaires (abonnement aux revues, ventes de publications,
intermédiation de l’assurance scolaire, etc.) divisé par deux en 10 ans pour l'une (de 1,258 M€ en 2010 à 626 000 €) et "presque par trois" pour l'autre ((passant de 441 000 à 167 000 €). "Les réserves faites antérieurement par chacune des deux fédérations permettent, pour l’instant, d’éviter une situation délicate au niveau de la trésorerie" et elles "ont pris conscience de la nécessité de transformer leur modèle pour mieux répondre aux attentes des parents d’élèves tout en réduisant les coûts".
Il n'en va pas de même pour les organisations lycéennes dont les situations sont "toutes marquées par d’importantes carences de gestion. "Les résultats des contrôles financiers réalisés sont accablants." Cinq de ces associations sont "très fragiles", "les conflits internes y sont fréquents", ce sont "des nébuleuses dont le nombre d’adhérents est difficile à cerner et qui échappent au contrôle des lycéens en raison de la place qu’y occupent des étudiants de l’enseignement supérieur". Deux d'entre elles "ont reçu des subventions importantes sur la période examinée (respectivement 573 000 € et 710 000 €) mais (...) sont depuis plusieurs années l’une et l’autre dans une situation financière désastreuse". Pour d'autres, "les éléments recueillis conduisent au constat que ces associations ont été utilisées par leurs dirigeants pour favoriser leurs trajectoires personnelles et financer des dépenses personnelles". La mission confirme "l’opportunité de l’enquête judiciaire" ou recommande "une saisine du procureur de la République" pour deux associations anonymées, l'une des deux étant identifiable comme Avenir lycéen, pour laquelle, sans la nommer, "la mission confirme l’existence de dépenses abusives, voire délictueuses". Mais pour une autre, elle évoque "des retraits d’espèces et des virements sur des comptes personnels, réalisés entre avril 2017 et septembre 2020" et qui "représentent un montant cumulé de 40 477,36 €".
La mission souligne que, "malgré cinq mois d’échanges avec les associations de lycéens concernée, aucune
d’entre elle n’a été en mesure de produire, ni même n’a tenté d’établir (...) un compte d’emploi des subventions" qu'elles avaient reçues. Quant à leur représentativité, elle pose question aux inspecteurs généraux qui ont constaté leur incapacité "à apporter la preuve du nombre de leurs membres" qu'ils estiment au total à moins de deux mille adhérents, le nombre des abonnés aux divers réseaux sociaux étant de quelque 18 000 (soit 0,8 % de la population lycéenne). De même ont-ils été surpris "de constater à quel point ces organisations fonctionnent en petit cercle : leurs équipes se connaissent, se surveillent, s’allient ou se combattent." Et sont-elles même lycéennes ? La mission "a constaté la présence d’une majorité d’étudiants non scolarisés en STS ou CPGE parmi les représentants entendus en entretien".
Elle fait en revanche crédit à la Fédération nationale des Maisons des lycéens "qui ne regroupe pas des individus mais uniquement des associations locales de lycéens et assume effectivement des missions d’intérêt général". Elle "connaît certaines difficultés", mais "elle s’attache à les résoudre " et "la mission recommande la poursuite de son subventionnement assorti d’un accompagnement".
Mais elle est sévère lorsqu'elle dénonce l'absence de rigueur dans la gestion des subventions par l'administration. "Les deux bureaux de la DGESCO intervenant dans la procédure de gestion des subventions développent chacun leurs propres fichiers de travail, élaborés à partir de sources différentes (...). D'autre part, l’analyse des dossiers démontre que l’existence de demandes de financements ou de financements avérés en provenance d’autres contributeurs publics n’est pas prise en considération dans l’examen des dossiers et que peu de démarches de concertation sont initiées, aux fins de partager les informations sur la réalité et la plus-value de l’activité de l’association concernée."
Les inspecteurs généraux estiment que le ministère pourrait financer "toutes les associations remplissant certains critères objectifs "sur la base d’un forfait d’un montant raisonnable de 5 000 à 10 000 €" qui leur permettrait "de réunir leurs instances nationales et notamment leur congrès (...). Les autres charges de fonctionnement sont réduites : les associations disposent rarement de locaux spécifiques", tandis que l’utilisation de moyens de communication numérique fait disparaître les frais d'impression. Quant aux postes de salariés, leur financement "pourrait être autofinancé ou bien inscrit dans des dispositifs ad hoc comme le Fonds de coopération pour la jeunesse et l’éducation populaire (FONJEP)". Les critères objectifs seraient un minimum de trois ans d’existence, le caractère "lycéen" de l’association, "le nombre de sièges obtenus lors des élections aux diverses instances pour lesquels les lycéens désignent des représentants".
Elle recommande de suspendre tout versement de subvention à deux associations, et pour l'une des deux, de diligenter une enquête "sur la subvention de La France s’engage" (une fondation créée par F. Hollande, ndlr). Elle recommande aussi de "revoir les modalités de conventionnement des fédérations de parents d’élèves".
Le rapport ici