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Qu'est-ce que la société attend de son école ? Personne ne semble s'en soucier (journée du CICUR)

Paru dans Scolaire le lundi 22 novembre 2021.

Aborder le problème par ce que les élèves apprennent. On s'interroge en France sur le pourcentage d'enfants d'une génération qui arrive au baccalauréat, mais bien peu sur les savoirs requis pour passer l'examen, et encore moins sur les savoirs effectivement acquis. C’est l’angle d’attaque choisi par un groupe d’enseignants, historiens, chercheurs, sociologues. Réunis sous la bannière du Comité Universitaire d’Information pédagogique (CUIP) ils forment depuis un an le collectif d’interpellation du curriculum (le CICUR). Samedi 20 novembre, cette vingtaine d’experts a organisé une journée de débats autour des savoirs. Quelque soixante personnes ont participé à ces échanges.

Les membres du CICUR partagent le même constat :  les réformes incessantes de l’Education ne rendent pas l’école plus efficace et plus juste. Dès les premières minutes de la rencontre organisée à la Bibliothèque nationale de France, Roger-François Gauthier, expert international en matière de politiques éducatives donne le ton : "Ce que nous avons à faire me semble extrêmement simple : cela résulte seulement d'une écoute attentive de la devise de la République. Et cette écoute attentive me conduit à vous dire que cette Ecole française (…) a une fonction de fait majeure qui s’oppose à la liberté aussi bien qu’à l’égalité, et sans produire la moindre fraternité : assigner en permanence les enfants et les jeunes à certains savoirs, en les excluant d’autres."

Une nouvelle entrée : les programmes

Différents intervenants rappellent, chiffres à l’appui, que la corrélation entre les inégalités de réussite et les inégalités de naissance persiste, malgré la volonté affichée d’y remédier. "Donner une chance à chaque jeune pour Sarkozy, donner toutes ses chances à la jeunesse pour Hollande, s’attaquer aux inégalités profondes pour Macron", détaille Jean-Pierre Véran, membre du laboratoire Bonheurs (Cergy Paris Université) et du CUIP/CICUR. L’institution ne se montre pas à la hauteur de l’enjeu. Des travaux et des ouvrages l’ont maintes fois dénoncé, et de nombreux débats questionnent régulièrement l’organisation du système, des classes, les outils, les formes pédagogiques …

L’originalité de la démarche du CICU consiste donc à entrer dans la problématique en interrogeant ce que l’école souhaite transmettre. Selon Roger-François Gauthier, il s’agit d’un "immense impensé" et d’un angle mort de la réflexion, malgré la démocratisation. "On a continué à copier l’existant, à proposer à tous les élèves ce qui l’était auparavant à l’élite scolaire, et, souvent, sociale." Et d’estimer que le système a même renforcé "l’assignation des enfants et des jeunes dans certains savoirs et dans la privation d'autres savoirs", ceci en créant "une infinité de cases, de filières, d'options, de zones, de sections qui prescrivent à chacun, avec l'aide bien sûr complice des conseils de classe aussi bien que des algorithmes de Parcours sup, la place ou il doit se trouver".

Tirer l’Ecole de l'ornière des injustices et du non-sens

« Nous posons la démocratisation de l’accès au savoir dans des termes inédits. Nous voulons partir de ce que les élèves vivent pour éviter les impasses dans lesquelles s’enferre le débat sur l’école », assure Jean-Pierre Véran. En posant « les vraies questions sur les savoirs, leurs finalités, leur sens, leurs liens avec tous les savoirs du monde », le collectif CICUR espère « tirer l’Ecole de l'ornière d'injustice et de non-sens ou elle est enlisée » selon les termes de Roger-François Gauthier. 

La méthode ? « C’est un chantier ouvert au public » annonce Patrick Rayou (Paris 8) puisque tout un chacun peut contribuer à l'un des cinq groupes de travail qui ont été constitués : quelle école pour faire entrer dans la culture de l’humanité ? Quels savoirs porteurs de sens pour les élèves ? Qu’évaluer chez les élèves et comment ? Quels professionnels de l’éducation imaginer et former ? Quelle pratique curriculaire pour le XXIe siècle ? En conclusion, Jean-Pierre Véran rappelle l’ambition de la démarche : « Non pas une école rafistolée, mais une école au design entièrement révisé, afin de tenir la promesse de la devise républicaine » et il promet un document de synthèse au printemps 2022.

Les futurs citoyens doivent apprendre à se défendre

Marie Dupin, journaliste à RMC, était invitée à évoquer les préoccupations de ses auditeurs : « Au quotidien, les Français nous parlent des professeurs absents, du fatalisme des chefs d’établissement (…) Je suis aussi fréquemment interpellée par des gens qui ne connaissent pas leurs droits. L’école ne pourrait-elle pas former des citoyens qui sauraient se défendre face aux désordre du monde ?

Denis Paget, ancien membre du Conseil supérieur des programmes : « Le libéralisme informationnel fait peser de lourdes menaces sur la démocratie. Cela n’aide pas les élèves qui ont du mal à discerner la loi de partage entre la vérité et les mensonges." Il ajoute : "C’est un immense déficit de réflexion qui me frappe. On ne peut continuer à faire comme si ce qu’on enseigne aux élèves était quelque chose de naturel. Ces choix doivent être explicites : soit les savoirs scolaires servent à passer des examens. Soit ils ont un sens, un lien avec des valeurs ». Patrick Rayou, sociologue de l’éducation (Paris-8) souligne l'absurdité du système de notation. "La moyenne générale est une espèce d’écrasement qui va permettre un tri au lieu de se concentrer sur les savoirs attendus."

Pour Vincent Troger, sociologue et historien de l’éducation,  « l’allongement massif de la scolarité ne s’accompagne pas d’une amélioration des résultats scolaires (...). Le système aboutit à des résultats médiocres. L’école n’arrive pas à construire des savoirs qui font sens. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de jeunes en quête d’un projet personnel." Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue de l’éducation (laboratoire Bonheurs) s'interroge : "Pourquoi pas des programmes qui aideraient les élèves à se repérer dans les complexités du monde, à penser librement ?  Ceci dans une société qui ne se contenterait pas d’instruire mais de former à être des citoyens de demain. »

Roger-François Gauthier fait remarquer que "les deux seules tentatives d'entraver l'assignation à résidence en définissant d'abord des savoirs communs ont échoué", qu'il s'agisse du socle commun de 2006 ou de celui de 2015. "Toutes les complicités se sont conjuguées pour qu'ils échouent et qu'on en reste aux assignations antérieures ! Il est malgré tout intéressant qu’à deux reprises le législateur, avec des majorités opposées, en soit venu à se préoccuper des savoirs scolaires ! Une première ! Il fallut bien tous les tapis de la rue de Grenelle pour cacher cette poussière qui résulta de l’écroulement et de l’effondrement de ces deux socles !"

Il y a urgence

A plusieurs reprises, lors de la journée organisée par le CICUR, des intervenants et des personnes de l’assistance ont évoqué la nécessité de revoir les savoirs transmis à l’aune de plusieurs urgences. D’abord l’urgence de proposer un avenir à une jeunesse qui n’a jamais été aussi en quête de projets, comme le souligne Vincent Troger. C’est en d’autres termes, la nécessité de proposer des savoirs qui ne renforcent pas les clivages, qui ne stimulent pas les tensions déjà perceptibles dans les rapports sociaux, l’urgence de ne pas désespérer encore davantage cette jeunesse incertaine quant à son avenir.

L’urgence est aussi démocratique. A l’aune de ce qui se passe dans d’autres pays, tels le Brésil ou la Turquie, dans lesquels les gouvernements veulent se saisir des contenus d’enseignement, s’interroger sur les programmes devient une question vive .

Urgence encore vis-à-vis du réchauffement climatique. Plusieurs intervenants et personnes de l’assistance ont évoqué l’angoisse vis-à-vis de l’évolution du climat. Pour eux, ces questions ne peuvent être laissées de côté.  

Le site ici

Muriel Florin

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