Médiation à l'école : face au harcèlement, une culture de la négociation trop peu développée ?
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 17 novembre 2021.
“Dans mon école beaucoup d'élèves se chamaillaient, tout le temps, à toutes les récrés. Moi ce qui me plaisait c'était le calme“, raconte avec sérieux et malice Fatma, 12 ans. Selon l'association France Médiation, ils sont depuis 2012 plus de 10 000 élèves, à avoir revêtu comme elle le brassard, la chasuble ou le badge qui identifie les pair-médiateurs.rices dans leur école. Des élèves qui, jugeant gratifiant de pouvoir aider les autres et n'aimant pas la violence, ont décidé de participer au dispositif national de médiation sociale en milieu scolaire.
Ce projet est porté par 13 associations et compte 161 médiateurs adultes présents dans 317 établissements scolaires, tous REP et REP+. A l'occasion d'une table-ronde organisée ce 17 novembre, à la veille de la journée nationale de mobilisation contre le harcèlement à l’école, Jimmy Fakourou, chef du service de médiation sociale et familiale à Saint-Quentin explique que “la médiation par les pairs est un processus éducatif innovant, fonctionnant avec des techniques de résolution des micro-conflits et où les élèves sont acteurs d'un projet majeur dans les établissements scolaires“.
Le processus de mise en place d'un projet est décrit par Gaëlle, médiatrice dans une école de Rennes : il importe de bien communiquer auprès des équipes enseignantes et périscolaires. Pour donner envie aux élèves d'y prendre part, les médiateurs -adultes- s'adonnent à une “présentation dans les classes“. S'ensuivent l'écriture de lettres de motivation et une fois les élèves choisis, leur formation (avec accord des parents sur 4 ou 5 demi-journées).
Pour Mathieu, médiateur lui-aussi, “parfois les professeurs, les parents ont peur parce qu'ils pensent que les élèves vont louper des cours, perdre des compétences pendant la formation“. Il explique ne pas prendre que des bons élèves, mais ajoute que “parfois ça marche et parfois ça ne marche pas“. Les différents témoignages de médiateurs révèlent que la formation permet de faire comprendre aux enfants le rôle du médiateur, le code de déontologie, l'impartialité à avoir tout comme le respect de la vie privée. Les émotions sont abordées, un travail sur l'interprétation, la rumeur, le “comment aller vers“ ou sur la notion de besoin est réalisé, souvent sous forme de jeu.
De plus, Godefroy “fixe une journée de suivi pour savoir si les élèves rencontrent des difficultés dans la gestion des conflits, si ils ont repéré des choses“ et leur propose de venir assister à une de ses médiations. D'ailleurs, ajoute Awa, “il faut faire comprendre dès le début aux enfants que c'est une responsabilité, quel impact ça va avoir sur eux“.
Enfin, Arnaud précise que le rôle du médiateur est d'être dans la continuité du travail que font les enseignements, d'approfondir et il remarque qu' “à la récréation, ça permet de décharger un petit peu les professeurs“. Il se souvient de l'année 2011 où une directrice lui parle d'une baisse de 200 à 40 conflits dans son établissement en une année grâce aux médiateurs. Et d'ailleurs selon ses dires, “le vrai danger c'est de l'arrêter“.
L'association France médiation estime que l'évaluation du dispositif en 2014 par le LIEPP (laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques - Sciences po) “a démontré son utilité et son efficacité“, particulièrement chez les garçons de sixième avec une nette baisse de l'absentéisme (31 %), du nombre de parents sans aucun contact avec l'école, ainsi que du harcèlement (réduction de moitié du taux) et du cyberharcèlement. Laurent Giraud, le directeur de France Médiation, explique que l'action des médiateurs s'inscrit dans la stratégie française de lutte contre le harcèlement à l'école. Ceux-ci ont "une mission de prévention en sensibilisant au harcèlement“, ils “détectent des situations de harcèlement via un lien de proximité avec les différents acteurs et leur présence active sur le territoire, dans et aux abords des établissements“, et sont un relai de tout cas avéré.
Il indique de plus que l'intervention repose sur l'écoute, le médiateur optant pour une “posture de tiers impartial“. Mais quels sont les freins à l'élargissement ou la systématisation d'un tel dispositif ? Pourquoi n'ont-ils pas été adossés à tous les projets de cités éducatives ? Selon Laurent Giraud, “il faudrait un médiateur dans chaque établissement REP/REP+ de France“. Il note qu'un manque de notoriété pourrait être un frein à leur expansion, tout comme le sous-développement d'une culture de la négociation dans le pays, mais aussi le coût du dispositif. La mesure coûte 6,4 millions d'euros pour 161 médiateurs, soit 40 000 euros par poste.
La conférence de presse, intitulée “les réussites de la médiation à l'école“ et construite autour de la question : Comment développer la culture de l'apaisement et de la prévention pour lutter contre le harcèlement à l'école ? a été l'occasion de présenter un livret des réussites de la médiation à l'école, “outil au service des établissements et des élèves pour apporter des solutions de prévention au harcèlement scolaire“.
Le site de l'association France Médiation ici