AESH : des démissions en nombre, des personnels en souffrance
Paru dans Scolaire le mercredi 27 octobre 2021.
“J'en ai pleuré, et les enfants aussi“." Vendredi 22 octobre, Noémie* a démissionné de son poste d'AESH qu'elle occupait depuis à peine neuf mois. L'accompagnante d'élèves en situation de handicap raconte à ToutEduc être partie “la boule au ventre“, déçue malgré des conditions de travail très agréables avec une équipe et une ambiance très positives. Seulement, avec 19h30 de travail par semaine pour 659€ par mois, elle ne s'y retrouve pas financièrement : “C'est le salaire qui est complètement indécent“ explique-t-elle. Elle ajoute s'être manifestée pour avoir plus d'heures mais que l'administration lui a répondu ne pas pouvoir modifier son contrat.
Comme Noémie, environ 117 000 AESH sont comptabilisées en France en 2020. Une filière composée à 90 % de femmes. Contractuelles de l'Etat, elles possèdent un CDD d’une durée de trois ans renouvelable une seule fois avant d’avoir la possibilité d’obtenir un CDI. Le temps de travail des AESH suit le rythme d'une journée de l'enfant, c'est pourquoi il est majoritairement de 24h par semaine. On parle d'une quotité de travail moyenne de 62% (par rapport aux 35 heures légales), ce qui équivaut à une rémunération de 781€ net par mois.
La rémunération constitue l'une des revendications majeures des AESH qui ont de nouveau manifesté le 19 octobre dernier partout en France. ToutEduc croise à Paris Sarah*, AESH dans le département de Seine-Saint-Denis depuis 6 ans, qui donne de la voix et exhibe son panneau flanqué de ses revendications. Elle se mobilise “pour que notre métier soit reconnu, avec respect et considération, et surtout un vrai salaire“ et pour exprimer sa grande colère.
Pourtant, le ministère de l'Education nationale a instauré cet été une grille de rémunération à avancement automatique (voir ici) et Jean-Michel Blanquer indiquait encore mardi à l'assemblée nationale, comme lors de sa conférence de presse de rentrée : "nous devons aller sur un chemin de revalorisation des AESH", ajoutant que cela a déjà été commencé (voir ici).
Mais ces efforts paraissent maigres pour les syndicats représentants de la profession (FSU, Sud Education, SNALC, FO, CGT Educ'action, SNLC), rassemblés en intersyndicale lors des mouvements de contestation. Ceux-ci revendiquent un statut de fonctionnaire à part entière pour les AESH mais également de recevoir la prime Rep+ (prime allouée aux salariés qui travaillent dans des zones d’éducation prioritaires, ndlr), ce qui a aussi été refusé par le ministre à l'assemblée nationale.
Ces situations précaires créent une nécessité pour beaucoup d'AESH de compléter leur emploi. C'est le cas de Jeanne*, qui passera bientôt en CDI mais avec 21h10 de travail hebdomadaires imposées pour 650€ net par mois. De midi à 13h15, tous les jours, fini l'accompagnement spécialisé, Jeanne s'occupe de la cantine de son établissement. “On est nombreuses à le faire, indique-t-elle. On accompagne tous les enfants. J'ai d'autres collègues qui font les TAP.“ Elle ajoute ainsi 150€ par mois à son salaire. Malgré cette faible rémunération, Jeanne souhaite continuer, se battre pour que les autres AESH sortent un jour de la précarité, mais confie “Quand mes garçons seront plus grands, pourquoi ne pas arrêter pour avoir plus à la fin du mois ?“
Stéphane Lajaumont, membre du syndicat SNES-FSU (second degré) traduit cette situation comme “une précarité qui vise les femmes“. Résultat, selon les chiffres que ToutEduc a pu obtenir, dans les bouches-du-Rhône, il y aurait eu 240 démissions d'AESH au cours de cet été. Selon nos sources, sont également recensées 300 démissions à Paris, 67 dans le Finistère, 150 dans le Rhône.. Dans l'Hérault, selon SUD Education 70 AESH auraient démissionné la première semaine de septembre. Et en Haute-Garonne, elles seraient 17 à avoir jeté l'éponge depuis la rentrée.
D'ailleurs pour Stéphane Lajaumont, certains établissements ont “énormément de mal à recruter des AESH“. Des chiffres sur lequel le ministère et les académies ne communiquent pas, mais ce fait redondant a été signalé à ToutEduc par de nombreux interlocuteurs de terrain. Il revient à penser que le nombre d'AESH et d'heures d'accompagnement proposées dans les établissements scolaires ne correspond aux besoins réels des enfants porteurs de handicap.
“Il y a un problème de vivier“ commente Bruno Bobkiewich, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l’Éducation qui évoque “des postes vacants“. Se pose également selon lui la question du nombre de notifications MDPH (les maisons départementales pour les personnes handicapées définissent les aides à la scolarisation qui peuvent être mises en place pour les élèves, ndlr) qui a conséquemment augmenté lors des dix dernières années dans le second degré : “ce qui est évident c'est qu'il y a un écart important entre les notifications et les moyens attribués aux établissements“. Des moyens qui ne sont pas à la hauteur du besoin, avec par exemple 180 heures de notifications pour 120 heures d'AESH attribuées.
Pour le secrétaire national du SNPDEN, l'accompagnement des élèves à besoin particulier est un sujet qui prend de plus en plus de temps aux personnels de direction. Il demande que soit fait un “bilan sérieux“ des PIAL, que la question soit ré-interrogée, alors qu'une forte responsabilité est imputée aux directeurs sans contrepartie.
Les PIAL, ou pôles inclusifs d’accompagnement localisés, ont été mis en place en 2019 et doivent être généralisés en 2022. Selon le site du ministère de l'Education, ils “favorisent la coordination des ressources au plus près des élèves en situation de handicap (les aides humaines, pédagogiques, éducatives, et, à terme, thérapeutiques) pour une meilleure prise en compte de leurs besoins.“ Cette “coordination des ressources“ permet d'affecter des AESH non plus à un ou plusieurs élèves mais à une zone géographique. Pour les AESH et les syndicats qui contestent les PIAL, l'accompagnement mutualisé des élèves porteurs de handicap deviendrait la norme, au détriment de l'accompagnement individualisé, empêchant une multiplication nécessaire des postes, et nuisant de ce fait à la qualité des conditions de travail.
“On est avec des êtres humains, pas des machines“. Ainsi Noémie, qui vient de démissionner, se désole car elle était “pleinement investie dans quelque chose qui n'est pas reconnu“. Comme de nombreuses AESH croisées lors de la manifestation parisienne du 19 octobre, elle souhaite l'abandon des PIAL, mais jauge la difficulté de ce qu'elle propose : “Il y aurait peut-être moyen de s'organiser autrement. Il faudrait une AESH par classe, mais tous les enseignants ne sont pas prêts à l'accepter.“
*Les prénoms ont été modifiés.