L'amendement qui donne accès au statut virologique des élèves adopté : les termes du débat
Paru dans Scolaire le vendredi 22 octobre 2021.
L’amendement no 366 au "projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire" a été adopté en séance publique dans la nuit du mercredi 20 au jeudi 21 octobre. Déposé par le Gouvernement, il prévoit que "par dérogation à l’article L. 1110‑4 du code de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid‑19, pour la durée strictement nécessaire à cet objectif et au plus tard jusqu’à la fin de l’année scolaire 2021-2022, les directeurs des établissements d’enseignement scolaire du premier et du second degrés et les personnes qu’ils habilitent spécialement à cet effet peuvent avoir accès aux informations relatives au statut virologique des élèves, à l’existence de contacts avec des personnes contaminées ainsi qu’à leur statut vaccinal. Ils ne peuvent procéder au traitement de ces données qu’aux seules fins de faciliter l’organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d’organiser des conditions d’enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus."
Dans l'exposé sommaire, il fait valoir "les directeurs d’établissement ne peuvent légalement accéder aux informations couvertes par le secret médical" alors que "les établissements d’enseignement sont chargés d’organiser des campagnes de dépistage et des campagnes de vaccination" et qu'il mettent en œuvre un protocole sanitaire, qui implique "la fermeture de classes et la gestion du retour à l’école des élèves dans des conditions différenciées selon qu’ils ont été en contact avec une personne positive, ont des symptômes, ont été testés positif ou négatif, sont vaccinés". Le Gouvernement ajoute que "le système mis en œuvre actuellement repose sur des attestations des parents, qui ne peuvent être conservées ni faire l’objet d’aucun contrôle et dont la base juridique est fragile".
Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine) demande si les représentants de la communauté éducative ont été consultés. Jean-Michel Blanquer répond "oui".
Lamia El Aaraje (socialistes et apparentés) dénonce "une atteinte profonde au secret médical" et "une potentielle discrimination des élèves en fonction de leur statut vaccinal". Elle ajoute qu' "il ne faut pas importer dans l’enceinte de l’école un débat qu’il n’y a pas sa place, au risque d’y importer aussi des situations de tension, voire de violence, qu’on voit bien poindre."
Jennifer De Temmerman (Libertés et territoires) voit mal ses "anciens collègues (personnels de direction) accepter d’exercer une telle responsabilité". Elle ne comprend pas "pourquoi ils auraient besoin de connaître le statut vaccinal des élèves qu’ils ont en face d’eux".
Philippe Gosselin (LR) considère que "la méthode est d’autant plus à revoir que (cet amendement) arrive à la dernière minute", "qu’en réalité il n’y a eu aucune concertation, ni avec les syndicats, ni avec les chefs d’établissement, ni avec les associations de parents d’élèves". Il dénonce "une brèche impensable dans (...) un secret médical qui est gravé dans le marbre".
Émilie Cariou (non inscrite) ajoute que "les chefs d’établissement vont avoir accès au statut vaccinal des élèves mais aussi à l’existence de tous leurs contacts avec des personnes contaminées, accès qu’ils pourront déléguer à n’importe quelle personne qu’ils auront habilitée". Elle estime de plus que le Conseil d’État, s'il avait été sollicité, "n’aurait pas validé une telle mesure".
François Ruffin (LFI) dénonce un élargissement sans limite des restrictions aux libertés : "Cela commence par le petit doigt – le passe sanitaire ne sera pas obligatoire pour les actes du quotidien, nous dit-on, promis juré, il sera réservé aux grands concerts –, puis on vous bouffe le bras, et après la colonne vertébrale" et S. Jumel ajoute qu'on "impose d’une certaine manière un passe sanitaire à l’école alors qu’il n’était pas obligatoire jusqu’à présent".
A l'inverse, Catherine Daufès-Roux (LRM) "ne comprend pas pourquoi (ses collègues s'insurgent) contre le fait qu’un chef d’établissement puisse contrôler la situation vaccinale d’un élève (...) alors que son inscription à l’école nécessite de toute façon la présentation de son carnet de santé, ce qui permet au directeur de vérifier que les vaccins sont à jour".
Olivier Véran répond que cet amendement ne crée pas un cavalier législatif "puisqu’il renvoie par analogie au SI-DEP – le système d’information national de dépistage – et au SI-VAC – le système d’information Vaccin Covid". Il affirme que cette mesure "est soutenue par le ministère de l’éducation nationale et qu’elle a donné lieu à une concertation complète de l’ensemble des acteurs concernés". Il conteste qu'elle intervienne en dernière minute puisque, "en commission des lois, la semaine dernière", il a "annoncé cet amendement dans (s)on propos liminaire" et il "rappelle qu’il y a trois mois, dans cet hémicycle, (l') assemblée a voté une rédaction identique lors de l’examen du dernier texte sur l’état d’urgence sanitaire".
L’amendement no 366 est adopté, ce qui suscite un certain nombre de réactions
Pour le secrétaire national du syndicat UNSA des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN) Bruno Bobkiewicz, ce dispositif "n'apporte rien d'utile". Tout "fonctionnait bien depuis deux mois" et la mise en place du protocole sanitaire, indique-t-il au Parisien.
Contactée par l'AFP, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, estime que "jusqu'ici, il n'était pas du tout question pour le gouvernement de lever ce secret médical sur la vaccination en milieu scolaire, on est donc surpris d'apprendre que ça sort maintenant".
Les infirmières de l'Éducation nationale (SNICS) alertent sur twitter d'un potentiel “fichage du statut vaccinal des élèves“, et dénoncent “la politique du tout sécuritaire (qui) risque de stigmatiser les élèves et provoquer des tensions entre vaccinés et non vaccinés. Ils n'ont pas besoin d'être pointés du doigt mais écoutés."
"Il n'est pas question que le secret médical soit levé", assène la co-présidente de la FCPE Nageate Belahcen à Ouest France. "De deux choses l'une, ajoute-t-elle, soit le gouvernement se décide enfin à faire voter une loi qui rend obligatoire le vaccin, et la FCPE n'est ni pour ni contre, soit il reste sur sa position actuelle, et alors il n'y a aucune raison de stigmatiser des parents qui font le choix de ne pas vacciner leurs enfants".
De son côté, Guislaine David, secrétaire générale du SNUIPP-FSU, a répondu au Parisien qu' "il faut aller vite quand un enfant est positif. Or, on ne sait pas qui est positif : certains parents n'informent pas de la positivité de leur enfant". Pour elle cela simplifierait le travail des professeurs car “certes, l'Agence régionale de santé transmet le nombre de cas, mais pas le nom, et certains reviennent en classe, même s'ils sont malades“.
Pour leur part, les parents de la PEEP "ne peuvent pas entendre que n’importe qui ait accès aux données médicales des élèves", elle est opposée à ce texte "en l'état" et "souhaite que seuls les personnels médicaux de ces établissements, de l'inspection académique ou du rectorat soient en charge de collecter ces informations auprès de l’ARS si le texte est adopté".