Les effets de l'interdiction du voile à l'école, mis en évidence par E. Maurin et contestés par T. Coutrot
Paru dans Scolaire le lundi 11 octobre 2021.
Consacrée à l'interdiction du port du "voile" par des adolescentes dans l'enceinte scolaire, l'une des trois "leçons" d'Eric Maurin a donné lieu à de nombreux commentaires. Celui-ci est convaincu que "les inégalités ne sont pas une fatalité du modèle républicain" et il revient sur la loi de 2004, "cet emblème du monoculturalisme républicain". Economiste et sociologue, il est prudent dans ses affirmations. "Les données disponibles" ne permettent pas d'affirmer que cette interdiction ait "contribué à accroître la distance entre l'école et les jeunes filles issues de familles musulmanes" (contrairement à ce que craignaient ses opposants, ndlr), et "la circulaire (de F. Bayrou, alors ministre de l'Education nationale) de 1994 a sans doute contribué à désamorcer certains des conflits que le port du voile suscitait au sein des familles, entre pères et filles notamment", tandis que "les effets potentiellement négatifs de l'interdiction du voile n'ont pu concerner qu'une frange tout à fait marginale d'élèves".
Economiste ("atterré"), Thomas Coutrot estime que ces conclusions ne sont pas "suffisamment étayées ni par l’appareil statistique mis en œuvre, ni par les travaux sociologiques invoqués". Ces données proviennent de l’enquête Emploi de l’Insee et "ne comportent aucune information sur le port du voile ou les conflits intrafamiliaux". Certes, "les jeunes filles du groupe musulman qui avaient moins de 14 ans en 1994 (génération 1981 et suivantes) ont une probabilité relative plus forte d’obtenir le bac que celles des générations précédentes. Mais (cette donnée) ne permet aucunement d’établir un lien direct avec les restrictions apportées au port du voile dans le cadre scolaire."
Toujours selon Thomas Coutrot, Eric Maurin estime en effet que la circulaire Bayrou a provoqué "une rupture temporelle dans l’évolution de la performance des jeunes filles du groupe musulman", mais cette rupture n'existe pas : "ces jeunes filles ont connu une amélioration continue de leurs performances scolaires pour les générations allant de 1971 à 1985". De plus E. Maurin cite deux études sociologiques, celle de Françoise Gaspard et de Farhad Khosrokhavar et celle de Camille Lacoste-Dujardin mais "aucune des deux ne traite des conflits intrafamiliaux sur le voile".
A noter que Thomas Coutrot ne remet pas en cause les deux autres "papiers" d'Eric Maurin, consacrés l'une aux effets d'une inspection sur les enseignants et leurs élèves ou sur la réalité de la méritocratie dans les classes préparatoires.
Le blog de Thomas Coutrot ici, Eric Maurin, Trois leçons sur l'école républicaine, Le Seuil, 96 p.,11,90€