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“Je n'allais pas assez en cours pour eux“ : plusieurs paradigmes pour étudier les décrochages scolaires en termes de parcours (Revue française de pédagogie)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 04 octobre 2021.

“Les jeunes décrocheurs qui ont quitté prématurément le système scolaire avant l'obtention d'un diplôme constituent une population spécifique. Ils arrivent plus jeunes et désavantagés sur le marché du travail car sans reconnaissance formelle de leurs compétences. De plus, leurs origines sociales sont plus modestes que pour l'ensemble des autres jeunes, leur taux de redoublement au collège est massif, ils ont souvent connu des événements personnels difficiles comme des problèmes de santé, des divorces et des séparations, le décès ou un accident grave d'un parent. L'ensemble de ces éléments ne sont pas de nature à faciliter leur insertion sociale et professionnelle et les rendent plus vulnérables que d'autres jeunes à la sortie du système scolaire.“ Ce propos liminaire, écrit par Agnès Checcaglini et Patrice Caro, est extrait d'une des quatre études du dossier sur le décrochage scolaire en tant que “parcours“ et non plus comme situations figées, publié par la revue française de pédagogie.

Ainsi “Métropolisation, mobilités et décrochage scolaire chez les jeunes“ propose une approche du décrochage par l'espace. Il y aurait deux fois plus de jeunes de 16-24 non scolarisés ayant changé de domicile que dans l'ensemble de la population. Les auteurs notent un risque que la mobilité des décrocheurs ne les rende potentiellement encore plus vulnérables, en raison d'une prise en charge par les pouvoirs publics plus difficile. De plus, pour les jeunes femmes, le décrochage scolaire et la mobilité qui l'accompagne accélèrent le processus de transition sociale (décohabitation et mise en couple).

Les filles se retrouvent également dans l'étude “Expériences et motifs de décrochage scolaire : entre rejet de l'école et quête du travail rémunéré“, menée par Pierre-Yves Bernard et Christophe Michaut. A l'inverse des garçons qui font preuve “d'un désengagement scolaire plus fréquent“, elles sont “davantage dans la catégorie des jeunes en situation de ‘décrochage discret‘ et manifestent un moindre rejet du travail et des normes scolaires. Elle rencontrent également plus de problèmes personnels qui sont liés notamment à un environnement social plus précaire.“

Dans cette enquête sur près de 3000 individus, l'on apprend que le décrochage scolaire est fréquemment vécu “comme la continuité d'une expérience scolaire négative, plutôt que comme une rupture accidentelle de parcours“, et que la recherche sur les facteurs de décrochage scolaire “montre notamment le caractère déterminant des difficultés d'apprentissage“. Mais si les motifs donnés par les jeunes peuvent se rapporter à l'expérience scolaire, d'autres expériences de vie peuvent être déterminantes.

Le décrochage peut être vêcu comme une disqualification personnelle, quand le jeune l'explique scolaire par une incapacité. Il peut aussi être l'aboutissement d'une opposition à l'ordre scolaire. Les auteurs constatent d'ailleurs une “quasi-absence de la terminologie du décrochage dans le discours des jeunes quand ils expliquent leur arrêt de scolarité“. Ils notent une lassitude générale de l'école (utilisation répétitive du terme “marre“), des discours négatifs fréquents, et un registre de la “disqualification“ avec un fort ressentiment envers l'institution scolaire qui n'aurait pas répondu à leurs attentes : “ça ne me plaisait pas, les cours surtout ça m'ennuyait“ ; “je ne sais pas, je ne savais pas ce que je voulais faire“ ; “je n'allais pas assez en cours pour eux“.

Pour beaucoup de jeunes, le monde du travail rémunéré est vu comme une alternative positive à l'école, expliquent également les auteurs quant à l'envie de liberté qui pourrait sous-tendre une partie de l'expérience du décrochage.

A l'opposé, James Masy et Nadège Tenailleau signent l'enquête “Entre décrochage et décohabitation précoce, l'expérience d'une jeunesse déviante“. Selon les chercheurs, “pour ces jeunes, c'est avant tout une forme de résistance à la forme scolaire qui fonde le décrochage“. Une typologie en découle avec d'un côté les rebelles, plus défavorisés ou dans des situations familiales précaires : “c'est à travers des absences répétées, mêlées à des renvois, qu'ils vont investir le groupe de pairs que la rue leur offre.“ De l'autre se trouvent les désengagés, un groupe hétérogène, doté d'un faible investissement à l'école. Leur opposition ne se fait pas envers les enseignants mais contre le système, avec des absences perlées qui augmentent au fur et à mesure. Ils sont également caractérisés par une difficulté d'intégration, des envies de liberté, et une distinction entre les sociabilités intra et extra-scolaires. Les auteurs expliquent que “ce qu'ils ne trouvent pas dans l'école, ils le trouvent à l'extérieur où ils nouent des relations autour d'une communauté de destins, passant alors de la rue à la rue“, et comment le décrochage, puis la décohabitation, peuvent conduire à des formes de déviance par étapes, comme une carrière zonarde.

De son côté, l'orientation contrainte a-t-elle un rôle dans le décrochage scolaire ? Le risque est-il plus grand en lycée professionnel ? Lucy Bell traite de ce propos dans “Climat du lycée et risque de décrochage scolaire : le cas des élèves en orientation contrainte“. Selon l'auteure, qui étudie plusieurs fonctions caractéristiques de l'orientation (idéal d'orientation, stratégie d'orientation et dimension plus ou moins guidée du choix), limiter le risque de décrochage d'élèves en orientation contrainte ne passerait “pas en priorité par les pratiques pédagogiques et relationnelles des enseignants à l'égard des élèves, ou par le sentiment de sécurité, entre autres, mais par un ensemble d'éléments permettant aux élèves de s'y sentir soutenus, encouragés et en sécurité, notamment grâce à de bonnes conditions de travail et à la rareté des sanctions“.

Pour finir, comme l'indique Pierre-Yves Bernard, “les parcours des jeunes en situation de décrochage scolaire sont peu visibles“, et qu'ils aient décroché ou pas encore, “ces parcours dépendent très fortement des ressources institutionnelles dont ils peuvent disposer, notamment en matière d'accompagnement“.

Revue française de pédagogie, N°211, 160p., 18€

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