Orientation : passer du "projet scélérat" à "la fabrique des possibles" (42e colloque de l’AFAE)
Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 30 septembre 2021.
"Si j’étais DGESCO aujourd’hui, je me ferais peut-être remercier au bout de quinze jours, mais je ne procéderais plus de la même façon", reconnaît Jean-Louis Nembrini qui fut DGESCO de 2007 à 2009 et qui est maintenant vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine, lors d’une table ronde organisée lors du 42e colloque de l’Association française des acteurs de l’éducation (AFAE) en mars dernier et dont les actes sont publiés ce mois-ci dans la revue de l’association.
Même si le conseil scientifique du colloque, présidé par Françoise Moulin-Civil, ancienne rectrice et ancienne présidente d’université, a choisi pour thème "Parcours, mobilités, territoires, pour une fabrique des possibles" en évitant "avec soin à ne pas utiliser le mot orientation" parce que trop connoté, il s’agissait bien de réfléchir à ce processus complexe qui implique de nombreux acteurs. Et parmi ces acteurs, on trouve les territoires que Jean-Louis Nembrini regrette de ne pas avoir suffisamment entendus lors de la création du bac pro en 3 ans et qu’il juge aujourd’hui indispensable d’impliquer dans les réformes structurelles de l’éducation notamment lorsqu’il s’agit de l’orientation.
Un pilotage centralisé
"Le système éducatif n’a jamais été avare de circulaires censées régir ce que l’on appelle communément l’orientation", souligne Françoise Moulin Civil. "Cette façon de faire, qui relève d’une vision et d’un pilotage centralisés alors même que la singularité des parcours et la dimension territoriale de l’éducation sont aujourd’hui reconnues masque dangereusement les ruptures qu’elle engendre." De l’approche adéquationniste au projet personnel de l’élève, Alain Boissinot, ancien recteur et ancien directeur de l’enseignement scolaire, revisite lui-aussi tous les textes qui se sont succédé jusqu’à la loi d’orientation de 2013 qui enjoint les élèves à "acquérir une compétence à s’orienter".
Alain Boissinot s’inquiète : "N’’y a-t-il pas quelque hypocrisie à renvoyer sur l’individu, même accompagné, la responsabilité de bâtir son projet d’orientation ? Ne risque-ton pas de faire croire que l’orientation est choisie là où elle de fait subie ? Si l’élève échoue c’est qu’il aura raté son projet d’orientation, se tromper en ce domaine, c’est un échec scolaire de plus .» Un constat partagé par François Dubet, professeur émérite de l’université de Bordeaux, qui fustige le système méritocratique où "les vainqueurs ne doivent leur succès qu’à eux-mêmes, les vaincus ne doivent aussi leurs échecs qu’à eux-mêmes". Des "vaincus de la sélection scolaire qui se sentent méprisés, perdent confiance en eux, et, parfois même se retournent contre l’école qui, de leur point de vue, les a humiliés".
Impliquer tous les acteurs
"Le moment est sans doute venu de repenser radicalement cette problématique", affirme Alain Boissinot. "La situation institutionnelle y invite en confiant à des acteurs différents les parts disjointes de ce qui fut l’orientation scolaire et professionnelle. Les régions reçoivent compétence pour tout ce qui est information sur les métiers, ce qui est cohérent avec leurs responsabilités en matière de formation". Ni" adéquationiste", ni "psychologisante", répète Alain Boissinot, l’orientation doit "développer le champ des possibilités". Il salue en ce sens la nouvelle organisation du lycée et le choix des options à condition que "l’enseignement supérieur ne pénalise pas les choix inédits". Pour ne pas considérer l’orientation comme "un projet scélérat", il reste à imaginer "une fabrique des possibles".
Revue Administration et Education, n°171, Septembre 2021.
Colette Pâris