Répondre aux défis éducatifs de l'après crise passe aussi par une réflexion sur le bien-être des enseignants (Regards sur l'éducation 2021, OCDE)
Paru dans Scolaire le jeudi 16 septembre 2021.
Défis importants, grands enjeux, c'est ce qui attend encore la France après 18 mois de pandémie et de crise, selon l'analyste de l'éducation à l'OCDE, Éric Charbonnier. Et ces défis passent notamment par "une réforme en profondeur du métier pour améliorer le bien-être des enseignants" et leur "offrir les meilleures possibilités d'évolution de carrière", au-delà de la revalorisation des salaires. Éric Charbonnier livrait cette analyse, ce jeudi 16 septembre 2021, lors d'une conférence de presse donnée à l'occasion de la publication de la dernière édition des Regards sur l'éducation de l'OCDE. Ce recueil annuel de statistiques internationales mesure l'état de l'éducation dans le monde et porte cette année plus particulièrement sur l'égalité des chances sur les plans de l'accès, de la participation et de la progression, est accompagné cette année d'une "nouveauté" : la publication d'un rapport consacré aux conséquences de la crise liée au COVID-19 dans l'éducation. Pour cette brochure, les données ont été collectées en collaboration avec l'UNESCO, l'UNICEF et la Banque Mondiale.
L'attractivité du métier d'enseignant est en effet, selon Éric Charbonnier, un des premiers défis sur lequel la France doit travailler. Si celui-ci a souligné que ce travail avait démarré avec une revalorisation salariale des enseignants (de l'élémentaire et des débutants), alors que le salaire statutaire des enseignants du primaire et du secondaire après dix ou quinze ans d'ancienneté est au moins 15 % inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE et que le salaire d'un enseignant du primaire correspond en 2020 à 0,8 de celui d'un actif ayant un diplôme équivalent, cet aspect ne constitue qu'un élément de cette réforme à mener. Pour l'analyste, il faut certes revoir les salaires, mais aussi les objectifs de formation, permettre du tutorat en début de carrière et répondre aussi à "un besoin de mobilité et d'évolution durant la carrière", en offrant "davantage de possibilités de faire autre chose au bout d'un certain nombre d'années" comme dans tout autre métier. Des enjeux qui sont d'ailleurs "sur la table", selon lui, depuis le Grenelle de l'éducation.
Répondre à un besoin de mobilité et d'évolution de carrières
Éric Charbonnier cite à ce titre des bonnes pratiques, comme les politiques mises en place au Brésil, où l'on attire les meilleurs enseignants dans les milieux défavorisés avec des salaires plus élevés que dans des villes "classiques". Celui-ci a aussi donné l'exemple "à suivre" de la Finlande, où le métier connaît moins de problèmes d'attractivité - pour un poste d'enseignant, il y a dix candidats - parce que "le métier est valorisé par la société" et parce qu'il y a "plein de d'opportunités d'évolution des compétences".
Parmi les autres défis principaux identifiés par Éric Charbonnier figure l'investissement dans les premiers niveaux d'éducation. Or, en France, les dépenses par élève sont inférieures de 8 % à la moyenne de l'OCDE dans l'enseignement élémentaire mais supérieures de 30 % à la moyenne de l'OCDE au niveau du lycée. Éric Charbonnier estime néanmoins positive la mesure de dédoublement des CP et CE1 dans les REP et REP+, dont "les résultats sont encourageants même s'ils ne sont pas aussi bons que ce qui était attendu". L'analyste juge d'ailleurs également positif que "pour la première fois" une mesure fasse l'objet d'une évaluation régulière pour apprécier s'il y a progression ou non. Cette évaluation doit néanmoins permettre aussi d'identifier les facteurs qualitatifs qui ont permis des progressions, en comparant les mises en œuvres dans les écoles.
Développer les programmes de remédiation pour les élèves les plus en difficulté
Parmi les autres défis, figurent le développement de programmes de remédiation pour les élèves les plus en difficulté - plus de 60 % des pays de l'OCDE en ont d'ailleurs mis en place pendant la crise et ils devraient être "systématisés" -, le développement des programmes de seconde chance, qui existent "de manière limitée en France", mais ont des "effets positifs", ainsi que la valorisation des filières professionnelles où s'observe une surreprésentation des élèves défavorisés, en permettant notamment la poursuite d'études.
Enfin, la lutte contre les inégalités passe également par "un combat collectif", à l'instar de ce qui se fait au Portugal, indique l'analyste, où se mène une "politique inclusive" des municipalités en collaboration avec les parents. Pour lui, "il est important que ce combat soit mené aussi hors de l'école".
L'OCDE salue la "performance" de la France qui a laissé le plus longtemps les écoles ouvertes pendant la pandémie
En introduction de la conférence de presse, le secrétaire général de l'OCDE, Mathias Cormann, a salué "la performance de la France qui a limité au maximum les enseignements en distanciel" pendant la pandémie. En France, les élèves durant cette période ont en effet perdu entre 34 et 49 jours en présentiel, soit deux fois moins que la moyenne des pays de l'OCDE. Pour autant, la pandémie a aggravé l'écart entre les élèves les plus défavorisés et les autres, même si le rattrapage des pertes d'apprentissage à la réouverture des établissements a également été salué par Éric Charbonnier.
Mathias Cormann a invité la France à prolonger les réformes engagées afin de "rendre le système plus solide et plus résilient face aux crises à venir", la crise ayant amené à la prise de conscience "du besoin impérieux d'une refondation en profondeur du système". Avec Éric Charbonnier, il a aussi appelé à faire "perdurer" les bonnes pratiques développées durant cette période (augmentation des usages autour des outils numériques, de la collaboration entre enseignants et innovation pédagogique) et à ce qu'on ne "revienne pas aux mauvaises habitudes d'avant". L'analyste a également souligné l'importance de poursuivre le rapprochement école-parents.
Sont étudiés dans ces rapports les systèmes éducatifs des 38 pays membres de l'OCDE, auxquels s'ajoutent l'Afrique du Sud, l'Arabie saoudite, l'Argentine, le Brésil, la Chine, la Fédération de Russie, l'Inde et l'Indonésie. La publication contient également d'autres indicateurs, portant notamment sur les dépenses publiques et les dépenses privées consacrées à l'éducation - en 2018, la France a consacré 5, 2% de son produit intérieur brut (PIB) aux établissements d'enseignement du primaire au supérieur -, sur l’avantage salarial procuré par l'instruction, sur les admissions dans l'enseignement supérieur, sur les effectifs des chefs d’établissement, sur la taille des classes, sur le temps d'instruction...
Les deux rapports (en anglais) ici
Camille Pons