Rentrée scolaire : Un air du temps insaissable, potentiellement annonciateur d'une explosion ?
Paru dans Scolaire le dimanche 05 septembre 2021.
Pour tenter de saisir quelque chose de l'air du temps, des sentiments qui prévalent dans les "salles des profs", notre collaborateur a recueilli quelques expressions d'enseignants et de personnels de direction, sans prétendre à la représentativité de l'échantillon choisi. Ces paroles donnent le sentiment d'une eau qui dort, et dont l'administration devrait se méfier.
La pré-rentrée de cette année scolaire 2021 "s'est déroulée...", dit Alain, proviseur d'un lycée professionnel. Il ajoute, à l'instar de ses collègues, chef(fe)s d'établissement, interrogés : "J'ai raccourci l'ordre du jour. Mon discours, le matin, s'est limité à la présentation des personnels, à l'évocation de quelques projets à mener cette année et au protocole sanitaire. L'après-midi, les enseignants se sont réunis par groupe de travail. D'habitude les questions fusent mais, cette année, le calme était à l'ordre du jour des enseignants." Sandrine, professeure de Lettres-Histoire et élue syndicale dans le même lycée, ajoute : "Effectivement, rien d'inconvenant n'est venu troubler cette pré-rentrée. En revanche, les collègues sont remontés contre tout. Ils étaient tranquilles, certes. Mais, au fond d'eux-même, c'est une bouilloire qui vient juste d'être mise sur le feu... D'ailleurs, j'ai déjà demandé à l'administration une heure syndicale. On verra ce que cela va donner."
Pour Franck, lui aussi élu syndical et professeur dans un lycée d'enseignement général, "le moral [de ses] collègues n'est pas au top" et "ce n'est pas la mine joviale du proviseur qui va arranger les choses". Il est persuadé, lui qui n'a jamais vécu une "telle convivialité" de la part de ses nombreux chef(fe)s d'établissement, "que le mot d'ordre, cette année, est d'apaiser les tensions". Ce que constate, de son côté, Hervé, professeur dans un collège. Il explique : "Cette bienveillance est-elle réellement sincère ou bien dictée par la hiérarchie ? Je me pose la question, comme se la posent les collègues. En tout état de cause, cela interpelle. Et ne nous sommes pas dupes." Mounir, professeur d'anglais dans un lycée général renchérit : "Je pense que cette rentrée scolaire est la goutte qui va faire déborder le vase. Mes collègues et moi étions, également, pendant la cérémonie de la pré-rentrée, interloqués par la jovialité de notre chef. Il y avait comme qui dirait une sorte de foutage de gueule, pour parler poliment. Car les vrais problèmes n'étaient pas abordés, comme, par exemple, le manque de profs, d'agents de service... Et notre lycée qui tombe en ruine. Et d'ailleurs, pour anecdote, à une question posée sur l'aération des classes, nous avions tous ri, car le bahut est toujours aéré, de part sa structure...".
Fabrice, IEN (Inspecteur de l’Éducation nationale en charge de l'enseignement professionnel), voit, lui aussi, "une sorte de ras-le-bol", car, en deux jours, et "c'est nouveau", il a reçu plusieurs appels téléphoniques des enseignants qui se "plaignent, notamment, des emplois du temps dont la logique a changé de camp..." Il commente : "Il y a des collègues qui me disent qu'ils sont obligés d'organiser des enseignements différents pour la même classe car elle est dédoublée et ils ne retrouvent les élèves, en groupe, qu'une fois toutes les deux semaines (un des groupes a, parfois, une heure de plus), avec un décalage que cela suppose. D'ailleurs, j'ai sous les yeux un emploi du temps d'un prof, et je n'aimerais pas être à sa place. Je ne sais pas comment il va s'organiser, du moins pour l'instant. Son proviseur adjoint lui dit qu'il va essayer d'arranger les choses, mais pas avant trois semaines. Un casse tête... Pour les élèves, surtout. J'ai l'impression que nous gérons plus l'administration et la garde des élèves que les enseignements. Ajoutez à cela les réformes qui ne passent pas, que tous les collègues voient d'un mauvais œil... Enfin, vous savez ?.. Toute cette gabegie n'annonce pas un avenir heureux. Et cela à tous les niveaux."
Effectivement, CPE, AED, DDFPT, Infirmier(e)s, secrétaires, agents d'entretien, ATSEM, élèves, parents d'élèves... interrogé(e)s, sont "excédé(e)s" par cette "rentrée scolaire qui s'ajoute aux autres, déjà anxiogènes et perturbantes". Toutes et tous s'accordent pour témoigner leur "souhait de passer à autre chose, avec moins de dégâts pour les élèves déjà bouleversé(e)s par les années de Covid et de réformes..."
Propos recueillis par Rabah Aït-Oufella