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Prostitution des mineur.e.s : un phénomène en pleine expansion (rapport)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Justice le vendredi 16 juillet 2021.

“La prostitution des mineurs est en augmentation régulière depuis cinq ans“ constatent à l'unisson les professionnels auditionnés par le groupe de travail auteur d'un rapport remis par la procureure générale près de la Cour d’Appel de Paris Catherine Champrenault au secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles cette semaine.

Tandis que le secteur associatif évalue approximativement, et sans certitude, le nombre de mineurs prostitués “dans une fourchette entre 7000 et 10 000“, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure précise que 400 mineurs auraient été victimes de proxénétisme en 2020 contre 116 en 2016, soit une progression de +70% en cinq ans. Ce phénomène se retrouve d'ailleurs dans un “état des lieux du proxénétisme des mineurs en Essonne“ établi entre 2019 et 2020 par le parquet d'Evry, pour qui la tendance observée était celle “d'une recrudescence du phénomène de proxénétisme de cité avec en majorité, des prostituées mineures et des proxénètes jeunes majeurs“.

En mars 2021, le "Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée" a publié une étude sur ce thème. Phénomène exclusivement français, apparu en 2015, le proxénétisme de cité y est défini comme “l'exploitation sexuelle de jeunes femmes mineures ou majeures désocialisées (...) par des délinquants originaires de cité“. La note précise qu' “il a rapidement pris son essor dans les grandes agglomérations du territoire“, et que la crise sanitaire de la COVID 19 a encore aggravé le phénomène. Le secteur associatif confirmerait cette évolution, avec pour exemple l'Amicale du Nid 92, (Paris-Hauts de Seine), qui a “rencontré très marginalement des situations de mineurs prostitués jusque dans les années 2005-2006 et à partir de 2013-2014, elle a constaté la dimension inquiétante que prenait le phénomène“.

Ainsi, selon le rapport, il est question, très majoritairement, de jeunes filles de 15 à 17 ans en moyenne, vulnérables, provenant de tous les milieux sociaux et qui ont des difficultés à prendre conscience de leur statut de victimes. Le groupe de travail souligne “incontestablement une attention particulière à porter aux très jeunes (14 ans et moins) qui, s'ils ne sont pas majoritaires parmi les mineurs prostitués, apparaissent néanmoins dans des proportions non négligeables dans les études“. En outre, “beaucoup de ces mineurs sont en situation de rupture familiale. Le décrochage scolaire, de même que le rapport conflictuel et difficile avec l'école et la faible estime de soi sont également signalés“, explique le document qui ajoute qu' “entre 40% et 49% des mineurs disent avoir subi des violences pendant leur enfance, principalement intrafamiliales et/ou sexuelles avant d'entrer dans le système prostitutionnel".

Le portrait dressé montre “beaucoup d'adolescentes (qui) disent avoir fait le choix de la prostitution et ne pas le subir. Elles emploient d'ailleurs souvent pour en parler les termes de michetonnage ou d'escorting qui, pour elles, ont une valeur plus positive. Elles exposent leur activité en utilisant le vocabulaire du monde du travail (bosser, contrat, recrutement, entretien d'embauche...).“ De la même manière, “les professionnels de l’accompagnement social et éducatif ne sont pas exempts de ces dérives sémantiques et en employant les termes de lover boys, escort-girls, sugar daddy, sugar baby, michetonneuse, tendent à évacuer la résonnance péjorative du mot prostitution et contribuent à accroître la banalisation des conduites prostitutionnelles.“ Le rapport insiste sur l'importance de “nommer les choses avec exactitude pour éviter que la réalité de la prostitution soit occultée“.

Est ensuite redonné le chiffre de travaux parlementaires selon lesquels 99% des clients de prostituées majeures sont des hommes, ainsi que leur profil, “des hommes ordinaires, souvent mariés ou en couple, avec des enfants, et qui considèrent normal de pouvoir ainsi satisfaire leurs besoins sexuels, sans encourir de problèmes conjugaux“. Quant aux proxénètes, le rapport en propose deux types, le délinquant qui organise (le patron, qui gère l'activité) et celui qui assure la logistique et le contrôle (le tuteur, assistant du patron). Il ajoute que “les services d'enquête relèvent que de plus en plus de jeunes délinquants investissent la prostitution. Cela ne leur demande pratiquement aucune mise de fonds au départ et l'activité s'avère très vite lucrative, avec des gains journaliers de 300€ à 1500€, et des possibilités assez faciles de blanchiment.“

Poursuivant leurs panorama, les auteurs décrivent ensuite l'organisation de la prostitution. Ainsi “la prostitution sur la voie publique n'a pas disparu même si, sous l'effet cumulé du développement des mises en relation sur les réseaux sociaux et sur les sites d'annonces ainsi que des périodes de confinement liées à la pandémie de la COVID 19 en 2020 et 2021, elle est en constant recul.“, elle serait devenue minoritaire dans les années 2014-2015 et représenterait actuellement un peu moins du tiers de l'activité prostitutionnelle.

De plus, “il est apparu que les usages et mésusages d’internet avaient joué une place importante dans le développement de nouvelles formes de prostitution“ ajoute le rapport qui poursuit: “les réseaux sociaux constituent un amplificateur du système prostitutionnel. L’utilisation des outils numériques peut augmenter certains risques, notamment le chantage après détention de 'nudes'.... Proxénètes et clients ont su investir les réseaux sociaux pour recruter des personnes, mineures comme majeures, vulnérables, et organiser le marché de la prostitution. Ils contribuent à véhiculer sans filtre et à grande échelle des discours de banalisation et de "glamourisation" de la prostitution, ainsi que les représentations sexistes qui la sous-tendent. Le contrôle des femmes et des filles, de leur corps, de leur sexualité s’exerce dans l’espace numérique, avec des situations de cyberviolences qui sont le prolongement des violences sexistes et sexuelles existant dans l’espace physique, qu’il soit public ou privé.“

Au niveau institutionnel, le groupe de travail explique que “la lutte contre la prostitution des mineurs est prise en compte dans plusieurs politiques publiques : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, lutte contre la traite des êtres humains ou encore protection de l’enfance, égalité femmes - hommes pour ne citer que les principales“, précisant toutefois son principal écueil : “Elle ne fait pas l’objet d’une politique définie et coordonnée à l’échelle nationale et fait encore trop peu l’objet d’une coordination sur le plan local.“

“Le groupe de travail a mis en évidence le fait que les acteurs intervenants dans la lutte contre la prostitution des mineurs étaient insuffisamment formés. Actuellement, on peut constater qu’en dehors des grandes villes, il est difficile de mobiliser les professionnels sur la question de la prostitution des mineurs“, constatent enfin les auteurs du rapport.

Ils concluent en préconisant d'agir de concert sur la définition d'un cadre de gouvernance national et territorial, à l'échelle du département, sur le déploiement d'une politique de prévention primaire ambitieuse en direction des enfants, des adolescents et de leurs familles, sur l'amélioration du repérage des situations d'exploitation sexuelle des mineurs, sur l'amélioration du traitement judiciaire et de l'accompagnement éducatif des mineurs, sur la mise en oeuvre d'une politique de formation interdisciplinaire et à l'attention de tous les professionnels, ainsi que sur le renforcement de la protection des mineurs sur internet et les réseaux sociaux.

Le rapport ici

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