Livre vert de la jeunesse: Un an après, quel bilan critique?
Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 31 mai 2010.
Le Livre vert de Martin Hirsch définit-il des dispositifs suffisants pour favoriser l'insertion des jeunes français sur le marché de l'emploi? Donne t-il par ailleurs les clefs véritables d'une fabrique du "citoyen", telle que posée dans ses intentions? Un an après la publication du Livre vert sur les politiques de la jeunesse, le département de sociologie de l'ENS de Paris proposait, vendredi 28 mai, une relecture critique de ces orientations. En matière d'insertion, les propositions du Livre vert se sont traduites par l'ouverture du RSA, destiné aux jeunes actifs, et du développement, sous le titre "Mesure jeunes actifs" de l'alternance et de l'apprentissage.
Anne-Marie Guillemard (université Paris Descartes) regrette la manière spécifiquement française de réguler les parcours de vie: "La France est un pays dans lequel les politiques publiques sont segmentées par l'âge. Les jeunes se forment, les adultes travaillent, les vieux ont un repos mérité. L'âge reste la pierre d'achoppement de toutes les actions publiques." Elle précise qu'au niveau européen, les politiques vont dans le sens d'une fluidification des temps sociaux. "L'heure est à la complémentarité des âges au travail. Les politiques publiques françaises doivent offrir aussi différentes passerelles." Les jeunes ne vivraient pas une exclusion du travail comparable à celle vécue par les séniors, nuance Florence Lefresne (Institut de Recherches Economique et Sociales). "Leur positionnement s'accommode d'entrée et sorties du travail en turn over. Les jeunes expérimentent des nouvelles formes d'emploi qui s'étendent au fur et à mesure que la génération avance en âge. C'est la préfiguration des changements sociétaux à venir en matière de travail."
Florence Lefresne critique des contrats de professionnalisation "majoritairement investis par les jeunes qui ont déjà une formation". Une vraie politique de la jeunesse supposerait d' "entrer dans une négociation avec les employeurs, de façon à ce que les jeunes les plus vulnérables aient accès à ces dispositifs, et construisent une trajectoire ascendante". Concernant l'alternance, la grande question, a t-elle estimé, "devrait être de lutter contre les abandons massifs dans ces formations, plutôt que de multiplier le nombre de contrats proposés". Les contrats lui apparaissent "trop dépendants du carnets de commande des employeurs". La chercheuse regrette les "conditions restrictives" d'accès au RSA, "quand on connaît l'ampleur de la précarité des jeunes", avec pour effet majeur: "la tenue à l'écart de jeunes en besoin, mais qui ne remplissent pas parfaitement les conditions".
Léa Lima (CNAM) estime pour sa part que le Livre vert venait renforcer des modèles: celui de l'alternance, c'est à dire d'une perception du "rôle de l'entreprise comme facteur d'acculturation à l'emploi", ainsi que celui d'une extension du référentiel de l'accompagnement. "Les jeunes ne bénéficient pas de droits sociaux directs. Ce sont des professionnels qui deviennent les gestionnaires de leurs trajectoires." La nouveauté du Livre vert tiendrait dans la conception d'une orientation synonyme d'"éducation au choix", suivant un courant plutôt anglo-saxon. "L'analyse de l'exclusion scolaire remplace, pour les politiques, celui de l'échec scolaire. L'exclusion scolaire peut être analysée par le biais de la rationalité: le décrochage est ainsi perçu comme le produit d'un mauvais choix, issu d'une rationalité de l'individu biaisée. Aussi l'individu doit-il être corrigé, nourri d'informations sur les formations." Pour la chercheuse, cette version "plus responsabilisante, moins avilissante" redonne à l'individu son autonomie, mais définit les contours d'un sujet qu'il faudrait "aider à mûrir ses choix".
Le débat organisé par l'ENS abordait l'enjeu de la fabrique du "citoyen". Valérie Becquet (université de Cergy-Pontoise) a rappelé les inflexions du Livre vert: faire des jeunes des citoyens autonomes, solidaires, responsables et engagés. Elle s'interroge néanmoins sur l'absence totale de réflexion sur le "rôle de l'école dans la formation des citoyens". Un constat également dressé par Anne Muxel (CNRS): "Rien n'est dit sur les apprentissages scolaires, alors même que les études montrent que les jeunes délégués de classe participent mieux une fois adultes à la vie citoyenne". Anne Muxel constate une mutation du comportement politique chez les jeunes: l'exigence démocratique s'accompagnerait d'un autre phénomène, la transformation du temps politique: "Si les jeunes s'engagent ou votent, ils le font dans une temporalité resserrée, se décidant souvent le jour même de l'élection. La politique suppose du temps long, quand les citoyens interviennent dans un temps de plus en plus court."