Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Comment l'Ecole répond à la demande sociale de privatisation et de marchandisation (dossier de l'IFE)

Paru dans Scolaire le mardi 01 juin 2021.

"La privatisation et la marchandisation des systèmes éducatifs progressent partout dans le monde", mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. "À composition sociale égale, les charter schools aux États-Unis, l’enseignement privé en France ou dans les pays de l’OCDE ne font pas mieux réussir leurs élèves que les écoles publiques." C'est ce qui ressort d'une revue de la littérature scientifique menée par Anne-Françoise Gibert et que vient de publier l'IFÉ. L'auteure distingue "des formes de privatisation endogènes, internes au systèmes éducatifs et d'autres, exogènes, "caractérisées par une entrée du secteur privé dans l’éducation". Elle y ajoute "la notion de marchandisation" qui désigne "la tendance à tirer un profit mercantile d’une activité non marchande", donc "au sein de l’enseignement public".

L'auteure met surtout en évidence une évolution de la réponse à une demande sociale mouvante, d’efficacité mais aussi de valeurs “douces”, de développement personnel, d'estime de soi, etc., "qui sont en grande partie des outils au service de la gestion des ressources humaines". Dans ce contexte "l'accroissement de la demande de services éducatifs" a "créé des marchés pratiquement illimités. Les investisseurs privés et les banques commerciales sont donc prêts à financer ces activités d’éducation promettant d’importants profits."

Mais les mises en concurrence ont des effets négatifs. "Les inégalités entre les filières, les sections, les classes, et, de plus en plus, entre les établissements, contribuent à opérer à l’intérieur des systèmes éducatifs massifiés une sélection sociale redoutable", selon les chercheurs qui montrent comment "les logiques néolibérales travaillent les interstices du système républicain, entre autres par le biais de la constitution de classes protégées dans les collèges sensibles". Ils notent ainsi que "le public se privatise". Certains établissements "rentiers" se reposent sur leur réputation pour attirer des élèves et d'autres, qualifiés de "conquérants" développent un "management des apparences", par exemple lors de journées portes ouvertes. Mais, toujours selon la recherche, "dans ces établissements, il n’y a pas de recherche d’amélioration, pas de réflexion sur l’organisation des classes, l’encadrement des disciplines, les rythmes scolaires ou les pratiques pédagogiques". 

Ces établissements sont également en concurrence avec le privé sous-contrat : "En réaction aux échos médiatiques portant sur des difficultés scolaires dans les banlieues populaires (...), de nombreux parents confient leur(s) enfant(s) à l’enseignement privé catholique", les pères étant surtout "sensibles aux exigences académiques, et les mères (...) au fait que l’enseignement catholique communique sur la prise en compte de leur enfant dans son individualité".

Quant aux élèves, le seul objectif d’une grande partie d'entre eux "est d’obtenir un diplôme garantissant un bon métier (...). Il s’agit d’obtenir un bien rare et relatif, c’est à dire un diplôme valorisable sur un marché du travail marqué par la concurrence". C'est ainsi que la vente de tests est devenue "l’une des branches les plus lucratives de l’industrie de l’éducation", qu'il s'agisse de tests privés de langues ou de tests standardisés "achetés à des entreprises par les Etats". La mesure de l'efficacité des apprentissages s'est imposée "comme un outil stratégique décisif dans le monde entier" et "ce renforcement de la quantification s’accompagne d'un appauvrissement des critères de notation et une concentration sur des fondamentaux plus aisés à mesurer", aux dépens de l’éducation à des "valeurs et des attitudes allant dans le sens de la démocratie, de la protection des droits de l’Homme, du respect de la diversité culturelle, d’une citoyenneté active et responsable et de la viabilité de l’environnement".

Le dossier porte également sur un autre phénomène en réponse à la demande sociale, "une multiplication des filières" : "Pour être attractifs, les établissements développent des classes internationales, des programmes d’immersion linguistique, d’enseignement renforcé des langues anciennes, des sciences ou des mathématiques. L’implantation de telles filières sélectives au cœur des établissements publics peut être considérée comme un type de privatisation à destination d’une minorité privilégiée." L'auteure évoque encore le développement de "toute une gamme de services complémentaires à destination des élèves et de leurs familles" et "destinées à augmenter les chances de succès des élèves", qu'il s'agisse de soutien ou de coaching, mais aussi le développement d'écoles "différentes" qui "mobilisent une rhétorique de l’épanouissement de l’enfant".

Les écoles publiques "différentes" sont, dans le premier degré, "majoritairement rattachées au mouvement Freinet qui déploie une approche politique de la société" et elles suscitent une "méfiance systématique de l’Éducation nationale envers les innovations qui se revendiquent des pédagogies actives et du courant de l’Éducation nouvelle". Dans le privé, "la croissance exponentielle des écoles Montessori dans le monde s’explique par l’accent mis sur des exigences contradictoires, entre bons résultats scolaires précoces et assurance de bien être : une double demande des familles qui s’ancre dans un contexte de défiance vis à vis de l’institution scolaire et d’accroissement du consumérisme et du souci de soi." Anne-Françoise Gibert reprend à ce sujet une analyse du dispositif expérimental mis en place par Céline Alvarez en maternelle, inspiré de la méthode Montessori (et qui avait été soutenu par J-M Blanquer quand celui-ci était recteur de Créteil, ndlr). Cette enseignante a fait la promotion "des valeurs d’adaptabilité, de flexibilité, de productivité et de performance, permettant de former un individu compétitif entrepreneur de lui-même qui puisse répondre aux besoins du marché".

D'autres écoles hors contrat répondent à "des motivations très diverses", celles des "déçus du système scolaire public", des enfants "qui peinent à s’adapter au système classique", des parents "qui cherchent l’excellence, ceux qui préfèrent les pédagogies 'à l’ancienne', ceux qui veulent concilier convictions religieuses et scolarité, ceux qui souhaitent donner à leurs enfants un cadre scolaire perçu comme plus respectueux du développement de l’enfant, de ses besoins physiologiques et psychologiques, etc."

Mais "l’éducation n’est pas seulement un bien privé, c’est aussi un bien collectif dont les conséquences sociales sont multiples au plan économique comme au plan social et démographique". Et l'auteure demande s'il est "possible de repenser le principe d’éducation comme bien commun", un bien essentiel qui ne relève pas des catégories du public ou du privé puisqu'il "ne s’agit rien de moins que d’apprendre à vivre ensemble".

Le dossier "Privatisée, marchandisée : l’École archipel", d'Anne-Françoise Gibert, service Veille et Analyses de l’Institut français de l’Éducation (IFÉ) est téléchargeable ici

 



« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →