L'oral s'apprend, oui, mais comment ? (Revue internationale d'éducation de Sèvres)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 26 mai 2021.
"L'oratie", la compétence à écouter et parler devrait faire partie des fondamentaux, au même titre que lire, écrire, compter, et dans de nombreux pays "existe un mouvement irrépressible" en faveur de la prise en compte de l’oral à l’école. Mais "l’oral – et plus encore, au sein de l’oral, la compétence à 'écouter' – apparaît un peu comme le parent pauvre des efforts d’une école qui privilégie classiquement l’écrit". D'ailleurs, faut-il vraiment en faire un objet d'apprentissage ? C'est la question posée par le dernier numéro de la Revue internationale d'éducation de Sèvres. Daniel Coste (ENS Lyon) et Roger-François Gauthier qui ont coordonné ce dossier constatent que l'oral peut faire peur, aux enseignants qui craignent de perdre le contrôle de leur classe et aux élèves pour qui "répondre à une question de l’enseignant, passer au tableau, réciter un poème devant les autres" peut être source de malaise.
Le rôle de l'oral est d'ailleurs souvent minoré. En Inde, bien que la civilisation soit “fondée sur des savoirs développés à travers les traditions orales", le rôle de l'oral à l'école ne se limite qu'"à l'apprentissage par coeur des tables de multiplication (...) et à l'apprentissage de poèmes (...). Tout le reste passe par l'écrit."
L'oral d'ailleurs ne se résume pas à savoir parler et écouter, "c’est une voix, un timbre, une intonation et un rythme, mais aussi des gestes, des mimiques, une certaine tenue de l’ensemble du corps, une distance ou une proximité physique, le tout s’inscrivant à la fois dans un jeu de codes sociaux et culturels variables suivant les contextes". D'où ce néologisme, "oracy" en anglais, "oratie" en français, qui vient après "littératie" et "numératie" placer l’oral "à hauteur de l’écrit et de la capacité mathématique".
Il est donc clair que "l’oral s’apprend et doit s’enseigner", que "ne pas le faire, c’est contribuer au maintien ou pire, au renforcement des inégalités entre les élèves", c'est ne pas les préparer à toutes les circonstances où leur compétence à parler et à écouter sera déterminante, par exemple un entretien d'embauche. Mais les conditions de cet enseignement posent question. Est-ce aux enseignants de langue qu'en revient prioritairement la responsabilité ? Et sinon, dans quelle langue attend-on que les élèves parlent ? En Italie où les dialectes ont longtemps été "la langue maternelle de la plupart des Italiens" et où "il n'est pas rare que des enfants ou des adolescents alternent l'utilisation de l'italien, de dialectes, de langues étrangères et de variétés mixtes". La question se pose aussi en Tunisie, où l'arabe classique, l'arabe dialectal et le français co-habitent, en Côte d'Ivoire...
Et pour que cet enseignement puisse prendre toute sa place, il faut que que les enseignants soient formés à cette pédagogie, mais il faut aussi veiller à ce qu'il ne vienne pas renforcer les inégalités entre les élèves qui sont à l'aise avec les codes sociaux et ceux qui le sont moins. L'évaluation de l'oratie ne doit pas tomber dans un formalisme excessif, mais elle doit également éviter le "n'importe quoi". Dans le cadre de la classe, les conditions matérielles sont rarement idéales pour l'expression orale. Et il faut surtout que cette "oratie" soit inscrite dans la logique curriculaire des élèves.
"L'oral dans l'éducation", numéro 86 de la Revue internationale d'éducation de Sèvres, 184 pages, 17€