Reprise sous Covid, un jour sans fin... (Propos d'élèves, de parents, d'enseignants, d'un chef d'établissement)
Paru dans Scolaire le vendredi 07 mai 2021.
Les élèves du primaire ont repris le chemin des écoles le 26 avril. Le 3 mai, c'était au tour des collégiens et des lycéens de reprendre les cours en "hybride" Une année après le premier confienement, rien ne semble changer et sur le terrain, le moral des élèves n'est guère au beau fixe. Celui des parents, enseignants, chefs d'établissements, IEN... non plus. "C'est encore une année, dit Fabien, enseignant de philosophie, qui a mal commencé, qui s'est très mal déroulée et qui se termine claudicante, si l'on peut dire. Je fais des efforts herculéens pour m’intéresser à mon métier, pour me lever le matin et aller au travail. A mon âge, tout juste 26 ans, ce n'est pas normal. Quand je pense à mes élèves, cela n'arrange pas les choses. J'ai mal à leur place. Je pense à Kant. Une malignité diabolique ?" Corentin, élèves de Terminal et élu au CVL (Conseil des délégués pour la vie lycéenne), trouve que ses camarades sont, justement, "au bord du gouffre". Il constate : "Dans mon lycée, nous ne savons plus où nous en sommes. Il y a une sorte d'abattement qui pèse sur nous, quotidiennement. Il y a quand même une élève qui a voulu se donner la mort ! Elle prend des médocs pour essayer de tenir le coup. Cela perturbe ce qui en reste de notre concentration, déjà bousculé de toute part."
Mounir, élève de Première GT, abonde dans le même sens et ajoute : "Je ne pense pas avoir le niveau d'un élève de Première. J'ai déjà raté ma seconde. L'année prochaine, je serai en terminale. Il vaut mieux rire de cette situation... Ou plutôt, non, il m'est insupportable de penser que mes années de lycée sont passées à la trappe. Et j'ai peur que la rancœur, que j'ai en ce moment contre l'école, ne perdure. Moi qui ai toujours voulu faire Sciences Po... Même mes parents disent que c'est râpé." Son amie et camarade Noémie, après avoir tenté de lui remonter le moral, finit par consentir à ce constat d'échec. "En vrai, confie-t-elle, je suis dans la même situation. Les seuls souvenirs, concrètement, qui me restent, sont ceux du collège. Je veux parler des cours. Je ne jette la faute sur... surtout pas sur mes profs. Depuis l'année dernière, ils se sont incontestablement investis dans leurs tâches. Je ne sais pas à qui j'en veux. A moi-même, sans doute, ou au ministre ?... Je ne sais pas. En tout cas, cela me soulage un peu, quand je sais que partout en France, il y a des jeunes comme moi, souvent dans la détresse, qui bloquent les bahuts."
Le mot est lâché : la détresse. Ce que vit Enzo, élève dans un lycée professionnel. "J'aurais peut-être mon bac. Mais je n'y crois pas vraiment. Je dis ça pour l'espoir. Ce qui me reste comme seul, j'allais dire espoir... Parfois, je déteste le monde, au moment où je dois l'aimer. Mais j'essaie de tenir bon. Le choix que j'ai fait, le lycée pro, était bien réfléchi. J'aurais pu aller dans le général, j'avais de bonnes notes... Aujourd'hui, je me trouve dans une impasse. Honnêtement, je sais que je ne suis pas formé. Mon dernier stage me l'a bien fait comprendre. Je suis nul et cette idée ne m'avait jamais traversé l'esprit, jamais..." Tom, lui, en dépit d'une mauvaise passe qu'il traverse depuis deux ans – et, en ce moment, il s'absente à la moindre contrariété –, essaie de chasser "les idées noires de [son] esprit". "J'ai passé, dit-il, la plupart des épreuves de CAP... Mais je ne suis pas sûr du résultat. Les profs gardent le silence sur les notes. Ils disent qu'ils n'ont pas le droit de nous les transmettre. Et cela m’angoisse, horriblement. Certes, je n'ai jamais été scolaire, mais, maintenant, je comprends qu'avoir un diplôme pourrait m'aider dans ma vie... Maman me rassure, quand elle dit que le ministre demande aux profs d'être bienveillants ».
Des parents, chefs d'établissement et IEN soucieux.
Josiane, mère de Tom, est, de prime abord, rassérénée. En ce qui la concerne, elle fait confiance aux enseignants de son fils. Elle tient à croire que "la crise sanitaire, depuis un an, et ses conséquences sur le moral des gens, appelleront à la conscience et au bon sens de M. Blanquer, notamment". Elle nuance, cependant : "Mon fils, m'inquiète, même si je reste discrète par rapport à lui." Agnès, mère d'une élève de Terminale, n'a "aucun espoir, s'agissant de la formation de sa fille". Elle ne croit pas non plus "à la bienveillance que le ministre nous assène, sans relâche". Elle renchérit : "Je suis médecin. Je m'intéresse à ce que font mes enfants à l'école. Je suis au courant de ce que M. Blanquer tente de nous enseigner, et je mets cela entre parenthèse. Il a la belle parole. Une belle place, sans doute, ou pas. Mais, moi, je vis avec une adolescente qui ne demande qu'à s'épanouir, à grandir, à réussir... D'autres moyens auraient pu être employés pour cette génération Covid."
Denis, chef d'établissement dans un lycée polyvalent, fait la somme d'une année "amère et chaotique". Pour lui, "le ministre fait de la politique et il réforme... Il veut tenir bon. Cela lui demande de la résistance, coûte que coûte. C'est difficile pour lui. En sus, plus il est attaqué, plus il résiste. Cela le concerne, bien entendu. Je ne dirai rien contre lui. Nous, dans les établissements, nous vivons autre chose. Les personnes avec qui je travaille sont éreintées, parfois violentes que cela soit dans le silence ou par les mots. Les élèves, n'en parlons pas. Ils sont dans une situation de précarité mentale, dans une souffrance qui cause et causera des dégâts. Certains d'entre eux souffrent de fatigue et de troubles dépressifs." Brigitte, IEN (Inspectrice de l’Éducation nationale), n'a aucun doute : "Les professeurs, les élèves, les chefs d'établissement... moi-même sommes incapables de réactions. Il nous faut attendre, sans cesse, la publication des textes qui doivent accompagner les annonces du ministre pour rassurer ou informer les collègues, donc les élèves, qui sont éprouvé-e-s, qui ravalent souvent leur fiel. Une épée de Damoclès, vous comprendrez..."
Propos recueillis par Rabah Aït Oufella