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Décrochage scolaire: un nouveau profil mis en évidence à Paris (interview)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 26 mai 2010.

"Retards et absences sont considérés comme des fautes appelant des punitions plutôt que comme des signes d’un manque d'intérêt scolaire", considère Maryse Esterle, enseignante chercheure à l’Université d’Artois (école interne IUFM) et membre du CESDIP.  Comment faire évoluer les pratiques de lutte contre l'absentéisme et le décrochage scolaire dans les établissements, en s'éloignant d'un modèle purement coercitif et répressif? La chercheure a mené, avec Étienne Douat,  une recherche-action dans des établissements scolaires de l’Académie de Paris, plus précisément, dans neuf établissements dont six lycées professionnels, un lycée général, une cité scolaire et un collège. Les chefs d’établissement, les membres de l’équipe de direction ou conseillers principaux d’éducation (CPE)) ont participé à des entretiens et permis les réunions entre les chercheurs et les personnels scolaires et les élèves. Les propos recueillis et observations ont donné lieu à des rapports et à un ensemble de préconisations, transmis aux établissements au cours de deux réunions en mars 2009 et mars 2010. Une manière aussi de mesurer comment la recherche peut faire évoluer et mûrir les pratiques de terrain, en provoquant un  débat et une mutualisation des expériences. Le compte-rendu de la recherche-action est disponible ici.

ToutEduc:
Votre travail, sous la forme d'une recherche-action, a nécessité la collaboration des chefs d'établissements…

Maryse Esterle: Les chefs d'établissements se sont investis sur la base du volontariat. Dès l'origine du projet, ils ont donné leur accord pour nous accueillir dans leurs enceintes et pour recevoir, au terme de la recherche, un retour sur leurs pratiques. Nous avons néanmoins rencontré des difficultés pour trois établissements, sur les neuf impliqués: Tous les proviseurs ne sont pas nécessairement à l'aise avec l'idée d'une totale transparence sur leurs actions, ou avec le fait de déléguer le déroulement de l'enquête à d'autres acteurs éducatifs. Pour des questions d'emploi du temps, l'organisation des entretiens a en effet principalement relevé des CPE.

ToutEduc: Votre recherche identifie un profil d'"élèves ambivalents": ni tout à fait dans la culture scolaire, ni tout à fait décrocheurs… Comment les décrire?

Maryse Esterle: Certains élèves ne sont pas véritablement en décrochage scolaire, mais ils ne sont pas "là" non plus. Les entretiens révèlent qu'ils sont dans une logique du "demain sera un autre jour". En un mot, le présent est le présent. Etre élève requiert de maîtriser une somme de routines et rituels. Les élèves du lycée professionnel que cible l'enquête n'ont pas tous fait le lien entre la réussite à l'école et les conditions de cette réussite. Ils ne manifestent pas de révolte contre le système scolaire ou de rejet, mais plutôt une non-intégration de son fonctionnement. Ils peuvent par exemple promettre aux enseignants qu'ils vont travailler, tout en ne s'investissant dans aucune matière. Cette démission sans réel désir de tout arrêter est très déroutante pour les adultes. Dans ce lycée, certains élèves arrivent en cours sans affaires, sans carnet pour prendre des notes. Il apparaît après diaqlogue que pour ces jeunes, apprendre consiste avant tout à écouter, autrement dit, l'apprentissage est dénué de tout rapport à l'écrit. Nous avons suggéré dans ce lycée la mise en place d'un espace de méthodologie, afin d'aborder les manières dont on apprend.

ToutEduc: Votre travail met en lumière une certaine "vision administrative et coercitive" des absences dans les établissements...

Maryse Esterle: D’une manière générale, retards et absences sont considérés comme des fautes appelant des punitions plutôt que comme des signes d’un manque d'intérêt scolaire, ou du décalage entre les préoccupations adolescentes et les exigences de l'école. C’est plus la soumission des élèves au règlement qui est recherchée. Dans certains établissements, les absences sont relevées sous la forme suivante: retard à la 1ère heure = absence d’1 heure = absence d’½ journée. Ces comptabilisations constituent un point de friction entre élèves et équipes de vie scolaire. Les entretiens ont également révélé que pour les élèves, se retrouver en retard et, par conséquent, à la porte de l'établissement, est très difficile à vivre. Ils ne s'estiment pas accueillis par l'établissement. Pour autant, cette forme de désarroi ne les pousse pas à être à l'heure le lendemain. Le fait d'être noté absent à une heure de cours pour 5 minutes de retard aurait même plutôt tendance à jouer un rôle dissuasif par rapport à la présence. Autre point de tension: Le recours à l'exclusion comme sanction. Cette pratique touche ses limites avec le cas des absentéistes. On ne saurait exclure un élève déjà décrocheur. Nous avons noté que pour certaines équipes administratives, il est difficile de sortir des habitudes routinières de maintien de la discipline. Pour faire face à une certaine "mécanisation" des sanctions, il nous paraît important de réfléchir à la manière dont peuvent être reliées les notions d'apprentissage, d'assiduité et de climat scolaire. Cela sous-entend davantage d'échanges entre les enseignants, les chefs d'établissements et la vie scolaire. Or, si la vie scolaire fait de l'absentéisme un enjeu, certains enseignants, démunis face aux problèmes d'autorité, peuvent éprouver un soulagement quand l'élève perturbateur est porté absent.

ToutEduc: Le climat de l'établissement jouerait sur l'absentéisme...

Maryse Esterle: Nous avons identifié une absence de lieux de sociabilité dans les établissements: Très rares sont ceux qui ont organisé des maisons du lycéen ou des foyers socio-éducatifs. Les jeunes n'ont par exemple souvent ni lieu pour manger à 11 heures, ni fontaines à eau à leur disposition, alors même que dans toute salle des professeurs on trouvera des gâteaux et une cafetière, qui créent en outre des conditions favorables à une vie sociale. Les collèges et lycées ne sont pas des lieux de vie accueillants pour certains adolescents qui cherchent ailleurs des lieux de convivialité et trouvent l’extérieur de l’école bien plus attractif et apaisant que l’intérieur. Nous considérons qu'un temps trop important est consacré par les établissements à la gestion administrative des absences, au dépend d'un travail plus profond porté sur le relationnel entre élèves, et entre élèves et adultes.

ToutEduc: Vos travaux ont-ils donné lieu à d'autres préconisations?

Maryse Esterle: Des préconisations, présentées dans la synthèse finale et discutées dans les établissements, remettent en cause certaines des "habitudes pratiques" des équipes éducatives. Nous nous élevons contre le recours à l'exclusion pour gérer les conflits et contre le refus systématique en classe des retardataires du matin. Elles insistent par ailleurs sur le travail d’équipe dans l’établissement et le contact avec des partenaires extérieurs, sur la transformation des établissements en lieux de vie se préoccupant des besoins physiologiques et de la sociabilité des élèves et des personnels scolaires.

Ces préconisations sont reçues de manière constructive, parce que nous invitons à sortir des logiques répressives, tout en laissant au personnel éducatif sa marge de manœuvre. 

Les rencontres avec les acteurs ont impulsé une dynamique de réflexion et de prise de recul dans les établissements et ont permis de mettre à jour certaines pratiques professionnelles qui gagneraient à être améliorées. Dans le prolongement de cette enquête, le rectorat nous a demandé d'établir des préconisations bien plus précises à destination des chefs d'établissements. Il s'agirait de proposer des orientations potentielles aux élèves en difficulté: une aide psychologique, une remise à niveau dans une discipline, ou un recours à la Mission générale d'insertion, une structure existante depuis longtemps, mais trop peu employée à notre sens.


 

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