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La complexité contentieuse d’une procédure de fermeture d’une école musulmane (A. Legrand)

Paru dans Scolaire le lundi 12 avril 2021.

Dans le cadre législatif actuel (donc avant le vote de la loi "principes de la République"), les règles régissant le contrôle que l’Etat exerce sur les établissements privés qui ne sont pas liés à lui par contrat sont fixées par l’article L. 442-2 du code de l’éducation. Parmi les objets qui définissent les limites de ce contrôle, le code mentionne celui de "l’instruction obligatoire" et vise à ce titre à la vérification du respect, par l’enseignement dispensé, des "normes minimales de connaissances requises par l’article L. 131-1-1".

Comme le prévoient les textes, un contrôle de ce type avait été réalisé en 2014 sur un établissement privé hors contrat de Toulouse, le groupe scolaire privé Al Badr, l’année suivant son ouverture. Il avait été entre autres constaté que des élèves de collège fréquentaient l’établissement, alors qu’aucune déclaration ne signalait cette présence et cela avait amené le DASDEN à adresser au directeur de l’établissement, dans un premier temps, une lettre lui signalant les carences des enseignements obligatoires dispensés. Un second contrôle, effectué un an après, permit de constater la persistance de la situation, confirmée par un troisième contrôle en 2016. Respectant la procédure prescrite par le texte précité, le DASDEN a alors adressé une mise en demeure aux parents d’élèves d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement. Rappelons que le fait de ne pas inscrire leurs enfants de façon régulière dans une école en dépit d’une telle mise en demeure constitue une infraction pénale passible de six mois d’emprisonnement (art. L. 227-17-1 du code pénal).

L’association gestionnaire et le directeur de l’établissement ont attaqué cette décision devant le TA de Toulouse, qui a rejeté leur demande en juillet 2017 : décision contredite en juillet 2019 par la CAA de Bordeaux, qui a annulé la décision du TA et les décisions du DASDEN. Entretemps, l’administration pénale ayant avisé le procureur de la République de faits susceptibles de constituer des sanctions pénales, l’association avait été condamnée par le tribunal correctionnel de Toulouse à une amende assortie d’une interdiction définitive d’exercer une activité d’enseignement dans le cadre d’un établissement scolaire privé hors contrat. Le même tribunal avait aussi condamné le directeur à quatre mois d’emprisonnement et à une interdiction définitive d’enseigner et de diriger un établissement scolaire.

Dans un arrêt du 20 décembre 2018, la Cour d’appel de Toulouse a cependant censuré ces décisions du tribunal correctionnel. Elle a en premier lieu saisi la Cour de cassation d’une demande de transmission d’une QPC déposée par les deux requérants à propos de l’article L. 227-17-1 du Code pénal, celui qui concerne précisément l’infraction commise par les responsables d’une école privée ne se conformant pas aux instructions d’une mise en demeure de l’autorité académique. Le Conseil a reconnu la constitutionnalité de l’article, en l’assortissant de deux réserves d’interprétation et, en particulier la nécessité que la mise en demeure concernée "expose de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires pour que l’enseignement dispensé soit mis en conformité avec l’objet de l’instruction obligatoire". Sur cette base, la Cour d’appel a estimé que la lettre adressée par le DASEN au directeur de l’établissement à l’issue du deuxième contrôle ne constituait pas une mise en demeure régulière en raison de l’imprécision de ses termes. Elle a donc annulé l’arrêt du Tribunal correctionnel et relaxé les inculpés en les renvoyant des fins de la poursuite.

C’est sur ce même argument que la CAA de Bordeaux s’est fondée pour annuler le jugement du TA de Toulouse et les décisions du DASEN de la Haute Garonne. Mais elle se trouve à son tour contredites par le Conseil d’Etat qui, dans le présent arrêt du 2 avril 2021, annule son arrêt. Le juge suprême rappelle le principe de large autonomie résultant de la jurisprudence constante qui régit les relations entre le juge administratif et le juge pénal : "l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose à l’administration et au juge administratif qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenus et qui sont le support nécessaire d’un dispositif de jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative."

Surtout, ajoute le Conseil d’Etat, il y a deux procédures différentes. Lorsque le directeur d’une école privée sous contrat refuse d’améliorer la situation de son école à la suite de la mise en demeure de l’administration consécutive à un contrôle, celle-ci avise d’une part le procureur de la République des faits susceptibles de constituer des infractions pénales, d’une part, et elle met les parents d’élèves en demeure d’inscrire leurs enfants dans une autre école, de l’autre. Et ces procédures sont indépendantes : comme le note le juge, "la légalité de cette mise en demeure adressée aux parents des élèves n’est ni conditionnée à l’engagement ultérieur par le procureur de la République de poursuites pénales sur le fondement des dispositions de l’article L. 227-17-1, ni fondée sur la seule circonstance que le non-respect par le directeur de l’établissement des obligations imposées par la mise en demeure qui lui avait été antérieurement adressée, serait constitutif d’une infraction pénale".

En l’espèce, seule la mise en demeure en direction des parents était contestée devant le juge administratif. Le juge conclut donc, "qu’en se fondant exclusivement, pour annuler la mise en demeure adressée aux parents des élèves, sur l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 20 décembre 2018 renvoyant des fins de la poursuite M. C. et l’association 'Les enfants de demain', respectivement directeur et gérant de l’établissement, au motif que l’infraction réprimée par l’article L. 227-17-1 n’était pas caractérisée, la cour a commis une erreur de droit". Et il annule l’arrêt de la CAA de Bordeaux et il lui renvoie l’affaire pour examen.

La décision n° 434919 du 2 avril 2021 ici

André Legrand

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