Quel rôle joue l'école pour “les filles du coin“, une enquête en milieu rural de Yaëlle Amsellem-Mainguy
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 30 mars 2021.
“Neyla : Bah, bonne ambiance. Même les profs étaient cools. Enfin, en fait c'est différent, c'est vraiment.. Comme c'est petit, tout le monde se connaît, c'est...
Camille : C'est la colo de vacances en fait.
Neyla : Ouais, ouais, voilà.
Camille : Du CP jusqu'au CM2, c'était la colo.“
Ce verbatim sur le collège fait partie des multiples entretiens de jeunes femmes réalisés par Yaëlle Amsellem-Mainguy dans son ouvrage “Les filles du coin“. Des filles vivant “en campagne“, relevant de la “jeunesse rurale“, avec “avant tout des caractéristiques ouvrières et populaires“... Mais “que sait-on de ces femmes qui, originaires des milieux populaires, occupent souvent des emplois du bas de l'échelle alors que leur formation leur permettrait parfois de prétendre à mieux ?" C'est une des interrogations de l'auteure de cette étude sociologique, qui dans son chapitre trois, questionne l'identité, la vulnérabilité, la mobilité, ou encore les migrations de ces jeunes femmes dans leur parcours et leur construction sociale au travers de leur scolarité.
L'école, d'enseignement public pour la quasi-totalité, tient ainsi une place centrale dans ces villes ou villages de moins de 7000 habitants : “Haut lieu de sociabilisation et de sociabilité, l'école en milieu rural constitue un espace où se croisent tous les jeunes du même âge habitant dans le même village ou la même petite ville et ses alentours, regroupant ainsi les hameaux voisins et habitats isolés dans un environnement économique et social caractérisé par l'absence de lycée à proximité et par l'éloignement des lieux d'enseignement supérieur.“
Il en va ainsi de l'école primaire, où l'on fréquente de petits établissements, et où “les mêmes élèves se suiv(ai)ent d'une année sur l'autre, une situation propice à la construction de groupes d'amitié“. Un cadre privilégié propice à la création des premières bandes de copines, et dans lequel se dégage déjà des amitiés et inimitiés mettant en lumière l'importance réseau social vecteur de meilleure intégration et de meilleure protection.
“Pour mon frère, je crois qu'ils ne se sont pas posé la question (et mes parents l'ont envoyé au collège le plus proche, ndlr). Pour moi, c'était différent...déjà parce qu'ils avaient l'expérience de mon frère et du collège, mais aussi je crois... il faut le dire... parce que je suis une fille ! Ils avaient peur pour moi je crois (..) comme dans le collège y'a les garçons de Cz et de Kt (de villages voisins, ndlr) et que moi je viens d'une commune plus petite aussi.." Durant cette période se dévoilent les stratégies des parents pour aller dans des bons collèges : “Le fait d'être une fille est ainsi un argument avancé par certains -et en particulier les mères- dans le choix de l'établissement."
Le passage au collège constitue une étape importante dans le processus d'autonomie, à un âge où, à l'inverse, l'interconnaissance peut devenir violence avec un sentiment d'enfermement vécu par ces filles (rôle des rumeurs, de la mauvaise réputation ou d'une certaine marginalisation).
Au lycée, la très grande majorité des trajectoires observées met en évidence l'ensemble des coûts (financier, familial, amical, relatif au réseau..) liés à l'orientation scolaire dont doivent tenir compte les jeunes femmes issues des milieux populaires ruraux à 15 ou 17 ans. Pour l'auteure, les deux réformes Parcoursup et Bac 2021 “ont contribué à brouiller les cartes dans les lycées et sont venues alimenter le sentiment de relégation sociale et territoriale“. De plus, “la démocratisation du baccalauréat s'est accompagnée d'une complexification de l'orientation scolaire dont les enjeux et la compréhension échappent aux classes populaires et aux familles les plus éloignées du système scolaire, en difficulté d'information. “
L'internat ,“un truc à vivre qui peut devenir l'horreur“, le lycée agricole, l'importance du rôle de ces jeunes femmes à la maison... sont notamment les autres thématiques de cet ouvrage.
Les filles du coin, Yaëlle Amsellem-Mainguy, éditions Sciences Po, 264 p., 23 €