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Jeunes aidants : une action expérimentale de sensibilisation auprès des personnels de l'Éducation nationale

Paru dans Scolaire le mardi 16 mars 2021.

"Message simple" pour les enseignants sous forme de vidéo "motion design" de 5 minutes, réunions de sensibilisation organisées par corps professionnels et en distanciel pour les infirmiers, les CPE, assistantes sociales, psychologues de l'Éducation nationale : c'est sous cette double modalité que vont démarrer les actions de sensibilisation des personnels de l'Éducation nationale au repérage des jeunes aidants, âgés de 8 à 25 ans, qui apportent des soins, de l'aide et/ou du soutien à un proche vulnérable, malade ou porteur d'un handicap. Cette action de sensibilisation pour faciliter le repérage de ces jeunes, sera expérimentale dans un premier temps.

L'opération s'appuie sur les études et les analyses d'une équipe scientifique qui s'est formée en 2017 à l'initiative d'Aurélie Untas et de Géraldine Dorard, du laboratoire de psychopathologie et processus de santé (LPPS, université de Paris) autour du projet JAID pour développer la recherche sur les jeunes aidants, jusque là inexistante en France, et permettre de les identifier, de caractériser leurs difficultés, d'étudier la vulnérabilité et les facteurs protecteurs associés à l’aidance.

Ce sont des psychologues, formés par ces chercheuses, qui interviendront auprès de ces personnels. L'action concernera au départ quatre départements dans deux régions : Essonne et Val-de-Marne en Île-de-France et Haute-Garonne et Ariège en Occitanie, territoires où est implantée l'association nationale française partenaire de l'équipe de recherche, Jeunes aidants ensemble (JADE), qui a initié depuis 2014 les dispositifs "cinéma-répit", des séjours mis en œuvre sur deux semaines au cours des vacances d'automne et de février, en résidence et en toute gratuité, pour permettre à ces jeunes de souffler, d'échanger entre eux mais aussi de s'exprimer sur leur situation, notamment au travers d'une production artistique. L'expérimentation avait été validée par le Plan gouvernemental dédié aux aidants ("Agir pour les aidants - Stratégie de mobilisation et de soutien 2020-2022") qui intégrait pour la première fois, fin 2019, des mesures issues d'un travail et d'échanges avec les aidants eux-mêmes et les associations qui les représentent.

Une première étape pour montrer "qu'ils existent", leurs difficultés et donner des pistes pour les accompagner

Il faut que ces professionnels "sachent les difficultés que rencontrent les jeunes aidants, les points de vigilance qu'il faut avoir à l'école, les signes sur lesquels être attentifs et pour lesquels il faut aller creuser...", résume Aurélie Untas, qui souligne la difficulté à "identifier ces signes". Ces actions de sensibilisation constituent en ce sens "une première étape pour qu'ils sachent qu'ils existent et les aides dont ils ont besoin", alors que leurs études montrent que ce public, et le terme même de jeune aidant, est largement méconnu, comme les répercussions négatives sur leur vie : au niveau de la santé physique (problèmes de fatigue, musculaires, blessures en aidant..., somatisation qui se traduit par des maux de ventre, de tête...), au niveau de la santé mentale (niveaux d'anxiété, de stress, de détresse psychologique plus importants qui peuvent parfois entraîner davantage de troubles du comportement ou à risque) et au niveau social, car ces jeunes se soustraient à toute vie sociale pour s'occuper de leur proche. Mais ils ont aussi plus de risques de rencontrer des difficultés à l'école, pour suivre le rythme, se concentrer du fait de la fatigue, faire les devoirs par manque de temps, ils peuvent manquer l'école..., ce qui peut mener à l'échec scolaire, voire au décrochage. Ces élèves peuvent même être confrontés à du harcèlement du fait de leur situation.

Dans une "Revue de la littérature sur les jeunes aidants : qui sont-ils et comment les aider ?" publiée en juillet 2020, la chercheuse, avec Géraldine Dorard et Eléonore Jarrige, écrit, à l'aune des travaux internationaux qui ont fait l'objet de leur analyse, que les jeunes aidants "effectuent régulièrement des tâches significatives de soins et assument un niveau de responsabilité qui est habituellement celui d’un adulte". Ils consacreraient en moyenne plus de 6 heures par semaine aux tâches domestiques (courses, repas, linge...) et de soins (toilette, habillement, préparer le pilulier, assurer le suivi médical...), tandis que les trois-quarts des autres jeunes y consacreraient moins de deux heures par semaine. Et cette aide pourrait même aller jusqu'à 26h par semaine.

17 % de jeunes aidants identifiés sur près de 3000 lycéens

Pour les enseignants, pris d'abord par leur tâche d'enseignement, l'action consistera en "un message simple : c'est quoi un jeune aidant, quelles sont les difficultés qu'ils ont et les répercussions à l'école, comment ils peuvent les repérer", détaille la chercheuse. Pour les autres, des séquences de 2 heures permettront de leur transmettre ce même type d'information, les textes les concernant et de donner "un temps de réflexion". Outre faire en sorte qu'ils comprennent ce qu'est la jeune aidance, il s'agit de leur donner "des pistes pour les identifier mais aussi des pistes pour des actions qu'ils peuvent mettre en place en fonction de leurs compétences" (orientation pour un accompagnement social, médico-social et sanitaire). Une sensibilisation qui va un peu plus loin car "ces professionnels sont davantage susceptibles d'être dans un échange avec les jeunes sur des choses liées à des difficultés personnelles et familiales et vont être à même d'aller creuser et d'y répondre", précise encore la chercheuse. En complément, ces personnels auront aussi un contact (téléphone et mail) s'ils ont besoin ensuite d'informations et de conseils ponctuels.

La principale étude que l'équipe JAID a menée sur les jeunes aidants portait sur des lycéens. Baptisée ADOCARE, cette étude identifie pas moins de 17 % de jeunes aidants dans cette tranche d'âge. Une proportion soulignée via des résultats préliminaires qui concernaient 1500 jeunes publiés dans les Cahiers du CCAH de juin 2019, et confirmée ce mois de mars 2021 par l'étude élargie à près de 3000 lycéens et dont l'analyse a fait l'objet d'une thèse achevée ce mois de mars 2021 (la littérature internationale évalue leur proportion entre 2 et 8 % mais ces écarts s'expliquent en partie par la prise en compte, dans les travaux internationaux, d'enfants plus jeunes, jusqu'à 7-8 ans, sachant que les plus jeunes aussi "ont moins de chances d'être sollicités", souligne Aurélie Untas). L'ensemble des résultats confirme aussi des observations faites par la littérature internationale : une proportion plus importante de filles, ils sont plus nombreux en milieux familiaux moins favorisés ou dans des familles nombreuses, ils ont une moins bonne santé mentale et qualité de vie.

Estimer la prévalence des jeunes aidants de 11 à 18 ans à l'échelle d'une commune

Les chercheuses ont démarré en début d'année également une étude en collège, car l'ensemble des travaux menés à l'international "montrent que l'aide démarre en moyenne entre 12 et 15 ans". Étude doublée d'une autre menée dans le lycée de la même ville, afin de pouvoir évaluer la prévalence des jeunes aidants entre 11 et 18 ans à l'échelle d'une commune (Épinay-sous-Sénart, dans l'Essonne, 12 000 habitants). L'objectif visé par l'équipe JAID est de s'adresser progressivement à toutes les tranches d'âge, jusqu'au primaire, en adaptant "les méthodologies" à des enfants qui ont "une attention différente, à qui il faut s'adresser différemment", souligne Aurélie Untas.

L'équipe a aussi mené plusieurs études sur les professionnels. Elle a d'abord sondé une trentaine de personnels de l'EN, de manière qualitative (EDU-CARE), étude qui confirme que "quasiment personne ne connaît le terme". Mais parce que "certains en avaient rencontrés et certains avaient essayé d'en aider", l'étude a aussi permis d'identifier des freins relevés par ces derniers. Les chercheuses contribuent aussi à une étude sur les professionnels de santé amenés à être en contact avec les familles de ces jeunes et développent d'autres travaux, une étude sur les étudiants (18-25 ans) et une évaluation des dispositifs cinéma-répit.

Selon l'association JADE, il seraient au minimum entre 300 000 et 500 000 jeunes aidants en France.

Camille Pons

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