Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Phénomènes de bandes et rixes : "Avant on était les enfants de nos parents, aujourd’hui, on est les enfants de la société" (Gilbert Berlioz, sociologue)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Justice le mercredi 03 mars 2021.

La question de la violence des adolescents, des rixes et des bandes fait "la une". Sociologue, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes, Gilbert Berlioz travaille depuis plus de 20 ans sur l’élaboration, le management et l’évaluation des politiques sociales. Il s’intéresse particulièrement aux processus de socialisation des jeunes et aux dispositifs qui leurs sont dédiés. Une grande partie de ses travaux portent sur l'articulation des politiques de prévention avec les autres politiques publiques : éducation, insertion, délinquance, exclusion.

ToutEduc : Phénomènes de bandes, rixes entre jeunes de plus en plus jeunes, le phare de l’actualité est à nouveau braqué sur les violences en banlieue. Est-ce un phénomène récurrent ou s’exprime-t-il différemment aujourd’hui ?

Gilbert Berlioz : Ce n’est pas en soi un phénomène nouveau. Les rivalités entre bandes de jeunes existent depuis que le monde est monde, mais le phénomène a muté. On a à la fois quelque chose qui tient de "la guerre des boutons" et de la modernité sauvage, genre "Scarface". C’est-à-dire qu’on a des problématiques d’identité de groupe à groupe qui sont anciennes et des modalités de confrontation qui nous surprennent par leur sauvagerie. On est dans une société violente et on s’étonne que les enfants soient accoutumés à la violence. Quand on voit les images que la plupart des enfants enfants absorbent du matin jusqu’au soir, il est quand même surprenant qu’on soit étonné !

ToutEduc : Vous faites allusion aux jeux vidéo….

Gilbert Berlioz : Entre autres. Ça nous revient en boomerang. Il y a une relation des jeunes à la réalité qui a changé, une virtualité qui s’est installée. Il y a aussi les réseaux sociaux qui permettent d’acheminer l’information aux enfants avec une très grande rapidité mais qui leur offre aussi un espace de socialisation en dehors du contrôle parental. Et ça c’est nouveau. Ils ont une vie secrète, intime, personnelle sur les réseaux sociaux à laquelle les parents n’ont pas accès.

ToutEduc : Les parents sont-ils à incriminer ?

Gilbert Berlioz : Tomber à bras raccourcis sur les familles est un peu facile. Je ne m’associe pas à ce discours. Les parents, font souvent tout ce qu’ils peuvent. Et dire que ce sont souvent des familles monoparentales et qu’elles sont donc défaillantes, est une double peine. Je pense que beaucoup de parents sont dépassés par l’éducation des enfants avec des situations sociales plus ou moins aidantes. Car avant, on était les enfants de nos parents, aujourd’hui, on est les enfants de la société. Il y a une partie de la socialisation des enfants qui échappe aux parents. Et c’est là où l’éducation nationale et tous les éducateurs ont un rôle à jouer. Pour se socialiser aujourd’hui les enfants disposent d’espaces où il n’y a pas assez d’adultes. Ils y sont parfois en situation de risque.

ToutEduc : Alors, que peut-on faire ?

Gilbert Berlioz : En premier lieu renforcer la cohésion entre les adultes. J’ai animé une recherche-action sur Paris il y a deux ans dans le 11e avec un réseau de professionnels autour du collège Alain Fournier pour savoir comment anticiper les phénomènes de rixes. On a bien vu qu’une des clés de la réussite, c’est l’échange d’informations qui repose sur la confiance que les adultes ont entre eux. On ne peut pas se contenter de dire la faute revient aux familles, parce que les familles à leur tour disent c’est la faute à l’école et l’école dit c’est la faute à la police qui elle-même fait porter la responsabilité à la justice. C’est une pente sur laquelle il ne faut pas se laisser glisser !

ToutEduc : Quelles sont les structures où les adultes peuvent se retrouver sur ce sujet ? 

Gilbert Berlioz : Les structures de coordination locale sur ces phénomènes, ce sont les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Ils sont obligatoires dans toutes les communes de plus de 10 000 habitants ou celles qui ont un quartier prioritaire en politique de la ville. Mais ils sont plus ou moins bien animés. Ça demande de l’ingénierie, de la volonté, de l’engagement, ça prend du temps et aujourd’hui on est dans une société qui aime mieux guérir que prévenir. A certains endroits, ces conseils locaux ont pris un angle uniquement sécuritaire en investissant moins dans la prévention éducative. De plus, ce qui est absolument frappant dans la séquence qu’on vient de vivre, ce sont les déclarations du ministre de l’intérieur qui s’inscrivent dans un état napoléonien complètement décalé de la réalité. Ceux qui "tiennent la maison" aujourd’hui, ce sont autant les élus locaux que l’Etat central et ses administrations.

ToutEduc : Il a affirmé que la majorité des bandes étaient parisiennes…

Gilbert Berlioz : Je ne veux pas polémiquer sur les chiffres, mais c’est très surprenant. J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent les marseillais par exemple. La décentralisation a bien eu lieu dans les années 1980 mais on voit dans une période comme celle-ci que la mentalité du pouvoir central a peu évolué et que les moyens ne suivent pas. La machine à poser des problèmes tourne plus vite que la machine à apporter des solutions. Il faut redonner des moyens aux communes et aux conseils départementaux. Les budgets ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux surtout si on veut travailler dans la durée et ne pas seulement agir par à-coups sous l’effet des crises.

ToutEduc : Face à la culture de la violence, quel peut être le rôle des enseignants ?

Gilbert Berlioz : Le problème des enseignants, c’est qu’ils sont souvent à la fois du coté de la solution et du problème. Il y a beaucoup de tensions qui se cristallisent autour de l’école, autour de la relation enseignant-enseigné, autour de la norme sociale que représente l’école. Mais les enseignants sont ceux qui passent le plus de temps avec les enfants et qui peuvent envoyer des messages. Là, encore, c’est très disparate. On voit des établissements scolaires très partie prenante sur ces sujets et d’autres moins en fonction surtout des chefs d’établissement. Il faut à la fois mobiliser la communauté éducative en interne et inscrire le collège dans son environnement. Et ils ne sont pas toujours formés pour cela. Mais je constate que rien ne peut se faire durablement sur le terrain sans l’éducation nationale.

Propos recueillis par Colette Pâris, relus par Gilbert Berlioz

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →