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Apprentissage : l'ANAF alerte sur les pratiques abusives de certains CFA

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 26 janvier 2021.

Paiement de frais d'inscriptions demandés par des CFA à de futurs apprentis, très élevés, conditionnant parfois l'accès à l'accompagnement pour la recherche d'entreprise, ou indispensables pour réserver sa place dans la formation, signatures de contrats "ambigus", dont certains engagent les jeunes à payer l'intégralité des frais de formation, soit plusieurs milliers d'euros, après une certaine date si aucun employeur n'est trouvé, délais de rétractation de 14 jours, menaces de poursuite en cas d'abandon de formation... : dans un communiqué adressé à la presse le 23 janvier, l'ANAF (Association nationale des apprentis de France) dénonce des dérives, voire des pratiques illégales, de certains établissements pour le recrutement d'apprentis alors que leur formation est entièrement financée par l'employeur. Après avoir été alertée, en décembre dernier, par des apprentis sur des problématiques liées au règlement de frais de formation via l'outil d'accompagnement en ligne SOS Apprenti et parce que le sujet avait déjà été évoqué par d'anciens apprentis, l'ANAF a commencé, dès le début de l'année, à se pencher sur les pratiques de certains CFA. Grâce à l'obtention de certains contrats, des échanges avec des anciens apprentis sur le sujet, des appels type "client mystère" et le lancement d'un appel à témoignages via son outil de suivi, l'ANAF a pu dresser un premier état des lieux de pratiques qu'elle juge abusives, identifié des écoles responsables de ces pratiques et fait des propositions, parmi lesquelles celles de contrôler, lors de la certification Qualiopi, d'une part les pratiques des CFA sur les frais d'inscription, de scolarité et les contrats qui sont signés entre les CFA et les jeunes, d'autre part les moyens mis en œuvre par les CFA pour aider les futurs apprentis dans leur recherche d'entreprise. Le président de l'ANAF, Aurélien Cadiou, fait le point pour ToutEduc sur ces pratiques.

ToutEduc : Ces pratiques que vous dénoncez sont-elles nouvelles ?

Aurélien Cadiou : Le phénomène est assez ancien, nous avons toujours été alertés par des jeunes sur des pratiques abusives d'organismes de formation en matière de frais d'inscription, de scolarité, de frais en cas de rupture... Mais c'était plus fréquent dans le cadre de contrats de professionnalisation, or ils sont moins nombreux que les contrats d'apprentissage. Cette année nous avons été frappés car il y avait davantage d'alertes concernant les contrats d'apprentissage, surtout dans le supérieur, à bac+ 3 et +5. En faisant le lien avec l'alerte lancée par Élisabeth Borne qui évoquait en décembre de possibles abus de grandes écoles via la transformation de ceux qu'elles prenaient auparavant en contrats de professionnalisation en apprentis pour bénéficier de la prime de 500 euros [attribuée jusqu'à six mois de suite pour tout jeune n'ayant pas trouvé d'employeur pour sa formation, ndlr], nous nous sommes dit que cela pouvait alors toucher potentiellement 10 000 jeunes. Nous n'avons pas de chiffres concernant les apprentis concernés, mais nous avons déjà réussi à identifier des écoles, une dizaine, principalement des écoles dans les domaines du commerce, du management, de la communication, écoles qui ont un nom, font payer leur nom. Et si ces jeunes se sont engagés à payer les frais de scolarité s'ils ne trouvaient pas un employeur, nous craignons que cela leur coûte ensuite plusieurs milliers d'euros.

ToutEduc : Ces pratiques sont-elles liées à un contexte ?

Aurélien Cadiou : Je pense qu'il n'y a aucun lien avec la crise, car quand on épluche les contrats ce sont les mêmes qui utilisaient déjà ces procédés pour les contrats de professionnalisation. Ils ont juste ajouté une case apprenti. Selon nous, en revanche, ce phénomène est lié à la réforme Pénicaud "Liberté de choisir son avenir professionnel" qui a supprimé le contrôle des Régions pour la création des CFA. Or celles-ci freinaient les grandes écoles car les formations supérieures sont plus chères à financer et elles préféraient prioriser des formations de niveau bac et pré-bac. Nous pensons que dans les 16 % d'augmentation du nombre d'apprentis annoncés après la réforme, un certain nombre étaient des contrats de professionnalisation qui ont été changés dans ces écoles en contrats d'apprentissage !

ToutEduc : Vous dénoncez des pratiques "abusives" et promouvez à l'inverse des "bonnes pratiques", cela signifie-t-il que ces pratiques ne sont pas obligatoirement illégales ?

Aurélien Cadiou : Nous dénonçons en fait deux choses, des pratiques illégales et des pratiques abusives. Le paiement des frais d'inscription est illégal. Le jeune qui débute l'année dans un CFA avec une entreprise ne doit payer aucun frais d'inscription ou de scolarité, même en cas de rupture de contrat en cours d'année, c'est écrit noir sur blanc dans le Code du travail. La logique, même si elle n'est pas toujours "compréhensible" car on est dans le cadre de la formation initiale, c'est que c'est l'entreprise qui envoie l'apprenti en formation. À aucun moment ce dernier ne doit payer, sa formation étant prise en charge dans le cadre de l'enveloppe financée par la taxe d'apprentissage et si celle-ci ne couvre pas tous les frais, l'établissement peut surfacturer le dépassement, mais seulement à l'entreprise.

La deuxième bonne pratique que nous mettons en avant, un jeune qui postule dans un CFA doit bénéficier d'une aide à la recherche d'entreprise de qualité entièrement gratuite, est également inscrite dans le Code du travail. Un jeune qui se rapproche d'un CFA doit se faire accompagner, et ce, même s'il n'est pas encore inscrit, c'est écrit noir sur blanc dans les missions données aux centres de formation. Et là aussi, nous constatons des abus quand des établissements ne font rien tant que vous n'avez pas payé de frais d'inscription. Et les jeunes peuvent également être piégés ensuite par des clauses, comme celles qui les engagent à payer la scolarité même s'ils ne trouvent pas d'employeur.

ToutEduc : Si les autres pratiques que vous dénoncez ne sont pas "illégales", en quoi sont-elles abusives ?

Aurélien Cadiou : Nous observons des ambigüités dans les contrats. Si ce n'est pas obligatoire, les CFA ont la possibilité de proposer au jeune le statut de stagiaire de la formation professionnelle s'il ne trouve pas d'employeur, ce qui lui permettrait de ne pas s'acquitter de frais de scolarité non plus. Or certains contrats les obligent à passer sous statut d'étudiant et à payer le reste de la scolarité. On ne sait pas si c'est illégal, mais c'est abusif ! Et encore plus si les établissements réclament les frais pour les mois qui ont précédé [parmi les propositions de l'ANAF figure d'ailleurs l'obligation, lorsqu’un jeune qui souhaite faire de l’apprentissage débute une formation sans employeur, de l’intégrer comme stagiaire de la formation professionnelle, et ainsi de ne lui demander aucun frais, ndlr]. En fait, la grosse problématique tourne autour des dossiers d'inscription qui sont peu clairs, flous, pour que le jeune ne comprenne pas ce qu'il va payer. Dans certains cas, par exemple, on ne sait pas si ce sera un contrat d'apprentissage ou un contrat de professionnalisation - ce dernier va coûter plus cher à l'entreprise et le jeune aura davantage de charges et moins d'aides car ne relèvera plus de la formation initiale -. Les contrats qui sont signés à l'inscription font 4, 5 pages, avec plein de modalités, des clauses d'engagement, en cas de rétractation, des parents qui doivent se porter caution... alors qu'un contrat d'apprentissage a toujours été très clair, l'équivalent d'une page !

ToutEduc : Avez-vous eu des retours du ministère du Travail et de Matignon à qui vous dites avoir remis des propositions en décembre 2020 et demandé à ce qu’une régulation des pratiques des CFA soit mise en place ?

Aurélien Cadiou : À la mi-décembre nous avons échangé très rapidement, un quart d'heure, avec Carole Cohen, la conseillère apprentissage et formation professionnelle au cabinet de la ministre du Travail, puis fin décembre, pendant une heure, avec Florence Sautejeau, la conseillère travail et emploi au cabinet de Jean Castex. Cela fait plus d'un mois qu'on les a eus et on aimerait savoir si on a été suivis. Nous avons prévu de les relancer début février, en transmettant le dossier que nous avons monté avec les pratiques abusives identifiées et nos propositions. Et si nous n'avons pas de retour, nous ferons un courrier spécial à Élisabeth Borne. Et cette semaine nous avons rendez-vous avec la CGE (Conférence des grandes écoles). Elle nous avait sollicités après l'alerte lancée par la ministre. Nous avons réagi vite car nous ne voulons pas que ça se reproduise à la rentrée prochaine.

Propos recueillis par Camille Pons

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