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Laïcité : les enfants davantage sensibles à l'invisibilité du religieux qu'à la liberté d'expression (The Conversation)

Paru dans Scolaire le mardi 05 janvier 2021.

 Qu’en est-il vraiment des connaissances des enfants sur la laïcité ? C’est l’objet de l’article intitulé "Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?" publié le 3 janvier par le media en ligne The Conversation (ici)

Selon son auteur, Charles Mercier (Université de Bordeaux), une enquête menée à Bordeaux au printemps 2017 "montre que les écoliers sont loin d’être muets sur la laïcité". Sur les 160 élèves de CM1 et de CM2 qui y ont participé, 81 % ont été capables de répondre à une partie au moins du questionnaire, alors même qu’il avait été convenu avec les enseignants que la notion ne serait pas abordée en classe avant l’enquête.

Prenant appui sur cette enquête, Charles Mercier met en avant le fait que, alors qu’on pourrait le supposer spontanément, ce ne sont pas les élèves issus d’établissements favorisés et homogènes sur le plan culturel qui ont obtenu le meilleur score : "les classes des écoles en situation de mixité sociale et ethnique étaient sur la première marche du podium, comme si la diversité de l’environnement scolaire fournissait des ressources pour écrire sur la laïcité."

Et si, affirme l’auteur de l’article, "les élèves de l’école privilégiée ont davantage réussi à formuler une définition experte du concept, ceux des autres écoles ont fourni des exemples plus nombreux, plus concrets et davantage ancrés dans un vécu personnel".

Si l’on s’intéresse aux contenus attribués à la laïcité, poursuit l’universitaire, il est frappant de constater que les jeunes enquêtés conçoivent la laïcité comme une source d’interdictions davantage que comme un dispositif qui garantit des droits. "On n’a pas le droit" est l’expression qui revient le plus souvent sous leur plume.

Ignorant la distinction opérée par la loi du 15 mars 2004 (ici) entre signes religieux discrets et signes ostensibles, souligne l’auteur, très majoritairement les élèves s’appliquent à eux-mêmes, dans le cadre scolaire et parfois même dans l’ensemble de l’espace public, l’impératif de neutralité: "on n’a pas le droit de montrer des signes qui pourraient faire penser les gens qu’on a une religion." Car ils pensent que la laïcité implique l’absence de tout accessoire religieux dans l’enceinte de l’école. 

Les enfants sont unanimes à considérer que toute propagande est à proscrire : "pour moi, la laïcité est l’interdiction de dire que sa religion est la meilleure et que les autres sont nuls." Mais, précise Charles Mercier, ils sont partagés sur l’idée qu’on puisse converser, sans prosélytisme, de religion à l’école. Un quart des élèves répond négativement, un autre quart positivement tandis que la moitié restante "élabore une casuistique fine" en fonction des lieux ("on peut pas trop en parler dans la cour, mais en classe on peut"), des personnes ("tu peux parler de ta religion à tes amis ou à des gens à qui tu peux faire confiance") ou encore des circonstances : "des fois oui, des fois non parce que ça peut blesser des personnes mais des fois oui pour mieux connaître la personne."

Et même si certains élèves associent la laïcité à une liberté, c’est la liberté de conscience qui est convoquée et non la liberté d’expression : "pour moi, la laïcité, c’est de pouvoir croire ou ne pas croire en un dieu spécial mais de ne pas le montrer."

Parmi les 59 % des élèves qui ont répondu à la dernière question du formulaire qui leur demandait d’évaluer la laïcité, près de 90 % ont porté une appréciation positive ou plutôt positive, 8 % une appréciation négative ou plutôt négative et 2 % n’ont pas exprimé de jugement de valeur. L’adhésion s’exprime par des formules souvent enthousiastes.

D’après l’universitaire, on peut expliquer ces résultats par le conformisme des enfants qui cherchent à s’affilier et à ne pas commettre d’impairs par rapport aux préférences qu’ils ont pu repérer chez les adultes. La laïcité étant un des mots clés de l’école, ils savent qu’il s’agit d’un item auquel ils peuvent et doivent accorder leur confiance.

Il insiste sur une caractéristique, à savoir que les élèves qui ont défini la laïcité comme l’absence de toute trace de religion à l’école mettent en avant ses effets positifs pour la paix civile, déclinant à l’échelle de la cour de récréation les arguments qui circulent dans le monde des adultes pour vanter les mérites de l’invisibilité des convictions : "on ne se tape pas, on ne dit pas de gros mots et on ne se moque pas de la religion de quelqu’un, je pense que c’est génial."

Mais il insiste également sur une autre dimension : la conception stricte de la laïcité semble correspondre à l’appétence enfantine pour l’ordre, les règles et les cadres rassurants. Néanmoins, il faut relever que pour la minorité qui a porté une appréciation négative tout en manifestant sa loyauté, cette laïcité neutralisante est peu utile : "Je pense que ça ne sert pas à grand-chose mais je respecte quand même ça et je me fiche que mes amis soient juifs ou catholiques."

Quelles conclusions en tire le rédacteur de l’article ? Que les résultats de cette enquête exploratoire suggèrent qu’arrivés en fin d’école élémentaire, les élèves, même quand ils n’ont pas eu de cours spécifique sur la laïcité, ont acquis des représentations sur la notion par confrontation aux normes et par imprégnation des mots qu’elle génère dans leur environnement scolaire, mais sans doute aussi familial et médiatique.

Les enfants apparaissent particulièrement perméables aux discours qui, depuis le début des années 2000, renégocient le sens du mot, le corrélant non plus à la liberté d’expression en matière de foi, mais à l’encadrement de la visibilité du religieux dans l’espace public.

L’idée d’une formation renforcée et systématisée des élèves, mais aussi des enseignants, qui souvent sont contraints à "bricoler" individuellement un discours légitimant ce qu’ils pensent être interdit à l’école, lui paraît dès lors pertinente. Elle permettrait de confronter les représentations issues des "nouveaux vocabulaires de la laïcité" au cadre juridique d’un dispositif plus libéral et inclusif qu’il n’y paraît.

 

Arnold Bac

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