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L'enseignement agricole, confronté à l'obligation de se redéfinir, conservera-t-il ses spécificités ? (Formation Emploi, CEREQ)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 23 décembre 2020.

L'enseignement agricole est confronté à deux défis majeurs, la redéfinition de ses missions et les transformations des public qu'il accueille. Pourtant, les recherches sur cette partie intégrante du système scolaire français, qui "forme près de 130 000 élèves, plus de 35 000 étudiants et autant d’apprentis", constituent "un angle mort des travaux en sciences sociales dans le domaine éducatif", constatent Joachim Benet Rivière et Gilles Moreau dans l'introduction au dossier de la revue "Formation Emploi" (Cereq) consacré à l'enseignement agricole.

L'un de ces défis tient aux nouvelles orientations, agro-écologiques, des politiques agricoles, et donc des référentiels de formation qui sont "orientés vers une approche plus diversifiée des méthodes de production". Or cette approche "se trouve en contradiction avec une large partie des modèles développés par les professionnels dans les exploitations agricoles" accueillant les élèves en stage et les apprentis, lesquels "peuvent se retrouver en contradiction avec les modalités de production mises en œuvre par leurs parents" et peuvent, de ce fait, "construire un rapport négatif à l’égard de ces enseignements". L’appréciation du discours environnemental semble d'ailleurs dépendre des origines sociales des élèves, "ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole apparaissent plus réceptifs aux pratiques allant dans le sens d’une réduction des intrants chimiques".

Ce n'est pas le seul. L’enseignement agricole compte 367 "maisons familiales rurales", 211 lycées agricoles privés et 216 lycées agricoles publics. "La plupart de ces établissements sont affiliés à des fédérations nationales : la Fédération pour la promotion de l’enseignement agricole public (APREFA), l’Union nationale des maisons familiales rurales d’éducation et d’orientation (UNMFREO), le Conseil national de l’enseignement agricole privé (CNEAP), l’Union nationale rurale d’éducation et de promotion (UNREP) et la Fédération des écoles supérieures d’ingénieurs en agriculture (FESIA)", qui constituent autant de "familles", une expression "qui témoigne des frontières non poreuses entre elles" et donc d'un clivage "entre des institutions aux origines diverses", à la fois "complémentaires et concurrentes" et "préparant à des destins socioprofessionnels relativement éloignés les uns des autres".

Cet enseignement est également confronté à "la question des inégalités de genre". Il lui est demandé "d’agir pour faire évoluer les modèles (qu'il a) contribué à ériger au cours de leur histoire : les scolarités féminines (...) ont en effet longtemps été cantonnées dans des voies spécifiques." La loi d’orientation agricole de 1960 a d'ailleurs favorisé "le transfert d’une partie des enfants d’agriculteurs vers des secteurs professionnels non agricoles, et notamment les emplois de services pour les filles (...). L’essor des formations spécialisées dans le sanitaire et le social accompagne et organise progressivement cette 'fuite' des femmes hors de l’agriculture." Les années 1990 sont marquées "par l’essor des formations des services aux personnes" dont le développement "a été le principal moteur de la croissance des effectifs féminins". La décennie 2010 voit ce mouvement de féminisation de l’enseignement agricole "facilité par deux mécanismes parallèles : d’une part, un élargissement du secteur de la production agricole à de nouveaux champs de connaissances – que l’on pourrait qualifier de 'nouveaux savoirs verts' (le cheval, les animaux de compagnie) – conduisant à des emplois salariés ; d’autre part, le développement de filières du tertiaire (...) conduisant à des emplois dans le secteur du soin et de l’aide aux personnes dépendantes".

"À la rentrée 2019, ce secteur des métiers de services accueille 42 % des effectifs d’élèves (dont 82 % sont des filles), alors que le secteur de la production agricole, davantage investi par les garçons (32 % de filles), n’accueille plus désormais que 36 % des jeunes formés en niveaux 3 et 4 (CAP et baccalauréat technologique ou professionnel, ndlr)."

En effet, autre difficulté, "dans un contexte marqué par le déclin des formes familiales d’exploitation", les établissements "sont confrontés à des difficultés de recrutement dans les formations au métier d’agriculteur" et la part des enfants d’agriculteurs passe de 34,3 % en 1990 à 17,3 % en 2002, ils sont marginalisés et les filles, "plus nombreuses dans les établissements", doivent jouer "un rôle de médiation sociale". "Les enseignants tentent de leur assigner ce rôle pour qu’elles contribuent à pacifier les relations plus ou moins difficiles entre les différents groupes de garçons séparés en deux selon leur origine agricole ou non."

L'enseignement agricole est encore confronté à une double évolution de son modèle scolaire. "Bien qu’isolées des autres institutions scolaires sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, les institutions de formation agricole restent perméables aux politiques d’ensemble menées en matière d’éducation" et "le baccalauréat s’est ainsi imposé comme le diplôme de référence de l’enseignement agricole, au détriment notamment du brevet de technicien et du brevet professionnel agricole". Or, traditionnellement, les MFR "dispensent un enseignement en alternance qui a une visée uniquement pratique" tandis que les grandes écoles "délivrent un savoir scientifique pour les futurs professeurs agricoles et les fonctionnaires de niveau élevé" et que les lycées agricoles se trouvent "à mi-chemin entre la pratique et la science de l’agriculture". Cette opposition de point de vue perdure et va de pair "avec une différenciation des publics selon leur degré d’éloignement ou de proximité à la culture scolaire (...). Alors que les diplômes préparés sont pourtant identiques, les élèves en difficulté scolaire se concentrent davantage dans les MFR."

Le dossier de la revue publiée par le CEREQ témoigne donc des différentes facettes de l'actuelle redéfinition de l’enseignement agricole à laquelle "ses spécificités historiques, diversité des établissements, internat, enseignement socio-culturel, innovations pédagogiques et volonté de proposer de nouveaux modèles de production, peuvent peut-être lui permettre d’y répondre autrement (que les établissements de l'Education nationale, ndlr), même si son public a bien des caractéristiques communes avec les établissements non agricoles".

"L'enseignement agricole, un chantier d'avenir" Formation Emploi, n° 151, Novembre 2020, 163 p.(ici)

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