Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Réforme de la justice pénale des mineurs : des mesures insuffisantes pour garantir la primauté de l'éducatif et une procédure encadrée par des acteurs spécialisés (Défenseure des Droits)

Paru dans Justice le mercredi 16 décembre 2020.

Modification insuffisante du code pour garantir que tout mineur de moins de 13 ans soit, sans exception possible, considéré comme non responsable pénalement, mesures insuffisantes pour garantir chaque fois la primauté de l'éducatif, alors que celui-ci est "indispensable" pour des "êtres humains en construction", tout comme pour garantir la présence systématique d'acteurs spécialisés dans la justice des mineurs dans toutes les procédures : l'avis de la Défenseure des Droits relatif au projet de loi ratifiant l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est plutôt à charge. Il a été publié le 1er décembre 2020, peu de temps avant que l'Assemblée nationale adopte en première lecture, vendredi 11 décembre dernier, ce projet de nouveau code de la justice pénale, qui avait déjà été ciblé par plus de 400 amendements et fait l'objet de critiques par ailleurs (lire ici).

La première grande critique de Claire Hédon concerne en effet l'âge de la responsabilité pénale, parce qu'il n'est pas clairement arrêté. En effet, la rédaction actuelle introduit la possibilité de considérer des mineurs de moins de 13 ans quand même responsables pénalement, puisqu'elle stipule qu'ils sont juste "présumés ne pas être capables de discernement". Or, observe la Défenseure des Droits, cette notion de discernement n'est pas définie par le code et rend toujours possible, comme dans le cadre du régime applicable aujourd'hui, que "des enfants de 7-8 ans [puissent] toujours faire l'objet de poursuites pénales, comme cela peut arriver actuellement".

Un message "ambivalent" qui "n'affirme pas pleinement la primauté de l'objectif éducatif"

La Défenseure des Droits fait par ailleurs des critiques concernant plusieurs dispositions qui entourent ou peuvent indirectement affecter la qualité des mesures éducatives. Celle-ci regrette d'abord que, malgré l'affirmation de la primauté de l'éducatif dans l'article préliminaire du code, cet objectif soit "immédiatement tempéré" dans la rédaction de l'article L. 11-2, "par ceux de lutte contre la récidive et de protection de l'intérêt des victimes". Claire Hédon regrette ainsi, même si "ces objectifs sont légitimes", l'ambivalence du message qui "n'affirme pas pleinement la primauté de l'objectif éducatif".

Une autre grosse critique porte sur l'une des principales modifications introduites par le code de la justice pénale des mineurs, la suppression de la phase d'instruction conduite par le juge des enfants et l'introduction du mécanisme de césure du procès pénal avec deux audiences distinctes qui se passent toutes deux devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants : l'une sur la culpabilité (tenue d'une première audience suivie d'une période de 'mise à l'épreuve éducative' pour une durée de 6 mois, renouvelable une fois pour 3 mois), et l'autre sur la sanction. Si cette disposition poursuit l'objectif "légitime" de réduire les délais de jugement notamment en faveur des victimes, Claire Hédon identifie néanmoins deux écueils possibles. En cas d' "audiencement trop rapide" (ça pourrait être possible pour le premier jugement entre 10 jours et 3 mois dans le cas d'une saisine du juge des enfants sans défèrement), le mineur pourrait dès lors être convoqué "sans avoir, s'il n'est pas déjà suivi, bénéficié au préalable d'une mesure éducative", et sans pouvoir "préparer sa comparution dans les meilleures conditions" et pour "faire valoir sa réflexion sur les faits commis".

Un "écueil majeur" qui doit être corrigé en renvoyant l'audience sur la culpabilité au-delà des 3 mois, auquel s'ajoutent "des risques pour le travail éducatif mené avec le mineur" puisque la procédure de césure limite la durée la mesure éducative à 9 mois maximum. Pour la Défenseure des Droits, il faut, "afin d'adapter le traitement judiciaire aux besoins de chaque mineur, et de garantir que son intérêt supérieur prime sur toute autre considération d'organisation", d'une part au moins que le juge des enfants puisse proroger ce temps, d'autre part faire en sorte que la période de mise à l'épreuve éducative ne débute qu'au jour où la mesure commence effectivement à être exercée et non au jour où elle est prononcée.

Seul le tribunal des enfants doit pouvoir prononcer une peine

Pour garantir cette primauté de l'éducatif, la Défenseure des droits considère également que seul le tribunal pour enfants doit être compétent pour prononcer une peine, même d'intérêt général, et elle se déclare à ce titre "fermement opposée" à ce que le juge des enfants puisse le faire seul en chambre du conseil, dernière possibilité introduite dans ce nouveau code pour les 16 ans et plus.

Enfin, le maintien pendant 3 ans de l'inscription au casier judiciaire des condamnations, déclarations de culpabilité et décisions prononçant des mesures éducatives, et l'empêchement de leur effacement pas seulement en cas de nouvelle condamnation ou d'exécution de composition pénale, mais également en cas d'une nouvelle mesure éducative, constituent également selon elle des "dispositions très exigeantes" qui "ne reflètent pas l'objectif éducatif assigné à la justice des mineurs, pourtant rappelé par le texte du gouvernement". Outre recommander que la durée de l'inscription au bulletin n°1 soit diminuée, il conviendrait aussi, selon elle, que le prononcé d'une mesure éducative ne soit pas de nature à empêcher l'effacement des mentions.

Pour des "êtres humains en construction", une justice spécialisée "indispensable"

Enfin, la Défenseure des Droits regrette les marges potentielles laissées à l'institution pour faire exception, dans la procédure, à la présence d'acteurs spécialisés dans le domaine de l'enfance, alors que la "justice spécialisée" est "indispensable" pour les mineurs. Même si elle salue des dispositions qui visent à privilégier une "juridiction spécialisée" ou "des procédures appropriées", elle les juge insuffisantes à divers niveaux. Il aurait d'abord "été pertinent de prévoir, à l'instar du juge d'instruction, que, dans les ressorts où il existe plusieurs juges des libertés et de la détention et plusieurs présidents de cour d'assises, l'un d'entre eux au moins soit spécialisé dans les affaires impliquant des mineurs", écrit ainsi la Défenseure des Droits. Celle-ci regrette aussi l'absence de spécialisation des magistrats du tribunal de police et "déplore" qu'à ce titre les magistrats du parquet spécialement désignés pour traiter des affaires concernant les mineurs ne soient pas en charge des contraventions des quatre premières classes pour ce public en lieu et place des premiers. Enfin, elle critique la possibilité, ouverte par la rédaction d'une mention "sauf impossibilité", de pouvoir potentiellement recourir en cour d'assises des mineurs à deux assesseurs qui pourraient ne pas être des juges des enfants.

Le code de la justice pénale des mineurs, voté vendredi 11 décembre par l'Assemblée nationale et qui s'inscrit dans la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024, doit entrer en vigueur le 31 mars 2021 et remplacer l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante.

L'avis de la Défenseure des Droits ici

Camille Pons

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →