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Ne pas dévoyer la laïcité au motif de lutter contre le terrorisme (une tribune de Jacky Simon)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le dimanche 06 décembre 2020.

Jacky Simon, inspecteur général honoraire et premier médiateur de l’Education nationale, adresse cette tribune à ToutEduc, que nous publions bien volontiers. Selon la formule traditionnelle, ses opinions n'engagent que leur auteur.

"Comment ne pas être inquiet à la lecture de points de vue appelant à une laïcité combattante en réponse au terrorisme le plus odieux ? Pense-t-on sérieusement faire taire les fanatiques en leur assénant nos vérités qu’ils méconnaissent et méprisent ? Faire référence à une laïcité ouverte , fermée , souple ….. a autant de sens que le stationnement toléré par rapport à l’interdit ou l’autorisé, c’est-à-dire aucun. La laïcité est définie par des textes juridiques, appliqués ou non.

La France n’est pas un pays laïque. C’est l’Etat qui est laïque en application de la loi de 1905 qui a instauré la séparation de toutes les églises et de l’Etat, principe qu’il faut préserver des surenchères. Un point d’équilibre a été atteint et protège ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas (qui mécroient, selon le Coran). La liberté de conscience et son exercice, outre dans loi de 1905, sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : "Toute personne a droit … de manifester sa religion individuellement ou collectivement , en public ou en privé." Vouloir cantonner la religion dans la sphère intime est un contre sens juridique et serait considéré comme une grave atteinte à la liberté d’expression.

Ce point d’équilibre n’a pas été atteint sans un effort de part et d’autre. Les enseignants comme toujours ont été au premier plan pour expliquer et convaincre souvent à rebours des influences familiales. Convaincus que l’école est une contre société devant lutter contre les attitudes contraires aux principes républicains et à la raison, ils sont plus que jamais en premier ligne pour s’opposer à la primauté de la religion sur la loi de la République. Ils s’adressent à des enfants mais c’est aussi par leur intermédiaire qu’on peut toucher les parents autant que par des mesures de nature coercitive.

Mais s’ils doivent être soutenus par les pouvoirs publics, ils sont des représentants de l’Etat éducateur et ils doivent agir avec délicatesse, distance, et discernement vis à vis d’interlocuteurs qui ne sont pas comme la majorité des Français "allergiques au fait religieux" (William Marx in le Monde du 4 novembre 2020).

L’école a de tout temps accueilli des êtres en devenir donc fragiles et malléables qu’il faut traiter avec précaution. Jules Ferry avait cela en tête lorsqu’il écrivait en 1883 sa Lettre aux instituteurs : "Demandez vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire (….). Demandez vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrez dire. Si oui, abstenez vous."

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Son texte visait l’enseignement de la morale et voulait mettre de côté toute allusion directe ou indirecte à ce qui pourrait choquer des convictions religieuses ou philosophiques. On ne dira jamais assez que la laïcité n’est en aucune façon une religion de substitution. Elle est un outil de la liberté du citoyen accompli ou en devenir.

Cet appel à la modération de mon point de vue trouve un point d’application dans l’affaire des caricatures. Est- il nécessaire à la présentation de la liberté d’expression en milieu scolaire de faire allusion à cette question particulièrement inflammable ? Laissons à mon avis les médias jouer leur rôle, avec leur éthique, sans que cette question soit brandie comme un porte drapeau de la spécificité française difficilement compréhensible, y compris par les anglo-saxons. Faisons-le de préférence dans la langue des interlocuteurs que l’on souhaite convaincre et ne laissons à personne d’autres le soin de traduire (trahir?) nos propos et explications comme le suggère G Kepel. Prenons en compte la charge explosive des réseaux sociaux qui parcourent le monde entier…

D’aucuns m’accuseront de lâcheté en la matière. Alors, J. Ferry était-il lui aussi un lâche ? Je ne pense pas que c’est être un lâche que de mesurer les conséquences de ses actes, fussent-ils incontestables. Mais soyons clairs. Cette attitude prudente ne saurait trouver sa place dans l’enseignement des disciplines qui sont fondées, non sur des opinions mais sur l’état de la science à un moment donné.

Je sais que de nombreux professeurs d’histoire ou de sciences naturelles par exemple sont confrontés à des contestation d’élèves importées de l’extérieur, notamment de leurs parents imbibés de théories inacceptables pour un être de raison. Je pense que ces professeurs doivent être soutenus sans faille par leur hiérarchie et ne pas hésiter, après avoir essayé de convaincre, à proposer d’exclure les élèves concernés. Cet dernière extrémité, contraire à la vocation de notre école qui se doit d’accueillir est le prix à payer contre l’islamisme, le fondamentalisme et tous les fanatismes à propos desquels toute tergiversation, même bien intentionnée est une faiblesse coupable qui ne peut qu’encourager l’intolérable.

Mais ce n’est pas suffisant et il faut aider à dépasser une situation dans laquelle les religions ont parfois tendance à considérer qu’elles ne peuvent être réduites à une opinion.

Faisons un grand pas en avant et donnons sa chance à la fraternité. Il faut être comme le dit l’Ancien Testament, "gardien de son frère".

Le rôle de l’Etat sera toujours primordial mais appelons aussi à une réaction claire et déterminée de toutes les religions de notre pays, réunies, affirmant leur attachement aux valeurs de la République surplombant la société française.

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