Le Conseil d'Etat valide l'obligation du port du masque à l'école élémentaire (une analyse d'A. Legrand
Paru dans Scolaire le dimanche 06 décembre 2020.
Le contentieux sur les mesures inspirées par la nécessité de ralentir la progression de la pandémie du covid 19 continue de fleurir. Le juge des référés du Conseil d’Etat a en particulier examiné, dans une ordonnance rendue le 23 novembre 2020, deux demandes de référé-liberté concernant en particulier des dispositions s’appliquant à l’espace scolaire et figurant dans le décret du 29 octobre 2020 qui prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie.
Ces deux recours, présenté l’un par 10 requérants, l’autre par 8, visaient pour l’essentiel les mesures d’hygiène et de protection mises en place dans les écoles et, en particulier, l’obligation faite aux élèves âgés de 6 à 11 ans de porter des masques. Il était reproché à cette dernière obligation de porter une atteinte grave et illégale à la liberté d'aller et venir, au droit à la vie privée, à la protection de la santé, au droit à l'intégrité physique et à l'intérêt supérieur des enfants. Elle ne se fondait, selon les requérants, sur aucune donnée scientifique. Il n'existe, disaient-ils, aucune preuve de l'existence de foyers de contamination en nombre significatif à l'école élémentaire ; l’obligation violerait les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé qui exigent pour les enfants une différenciation territoriale, un encadrement par des adultes et la prise en compte des incidences du port du masque sur leur développement psychosocial et elle mettrait finalement en danger la santé et les processus d’apprentissage. Au total, la mesure ne serait ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée. Ce contentieux confronte le juge à des questions tout à fait originales, même par rapport aux autres recours intentés contre les mesures covid. Leur caractère pointu et technique l’amène à s’appuyer beaucoup sur des avis d’experts et à se référer, comme il l’avait fait par exemple dans le contentieux récent concernant les décisions Buzyn élargissant le champ de la vaccination obligatoire, au "présent état de la connaissance scientifique".
Après avoir rappelé la gravité de l’épidémie et les mesures prises par le gouvernement pour y faire face, puis constaté qu’aux termes du code de la santé publique, le Premier ministre était bien compétent pour prendre les mesures contestées, le juge des référés commence par rejeter l’argument selon lequel le gouvernement se serait fondé sur des données manifestement erronées pour prendre ses décisions et rappelle sur ce point les indicateurs utilisés pour le suivi de l’épidémie, au rang desquels figure "une stratégie de dépistage massif" reposant presque exclusivement sur un prélèvement naso-pharyngé. Et, s’appuyant notamment sur un avis de la société française de microbiologie, il conclut que cette technique, efficace, est celle de référence et que, "dans l’état de l’instruction", il n’y a pas lieu de considérer que les assertions des requérants sur le caractère manifestement erroné des données soient fondées.
Rappelant l’amplification des chiffres de contamination et le caractère particulièrement dangereux de la situation sanitaire, en particulier dans plusieurs métropoles, le juge admet que les enfants âgés de 0 à 8 ans constituent la tranche de la population la moins susceptible de développer une forme grave de l’infection. : il rappelle que le nombre de fermetures d’écoles et de classes reste très modeste et que, comme l’a montré l’expérience du premier confinement, les bénéfices éducatifs et sociaux apportées par l'école sont très supérieurs aux risques d'une éventuelle contamination de l'enfant en milieu scolaire. Mais il souligne aussi la difficulté de garantir le respect des gestes barrières par les jeunes élèves et le fait que, compte tenu du caractère léger et asymptomatique de l’infection, celle-ci peut passer inaperçue ou ne pas être diagnostiquée, alors que, lorsqu'ils présentent des symptômes, les enfants excrètent la même quantité de virus que les adultes et sont donc tout autant contaminants. C’est ce qui explique qu’après certaines hésitations, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) ait fini par recommander le port à l’école, dès l’âge de 6 ans, d'un masque grand public adapté, "en respectant les difficultés spécifiques, notamment comportementales".
Le juge, se référant au même avis, énumère ces difficultés spécifiques, avant de rappeler les termes de celui émis par l’OMS et l’UNICEF le 14 septembre 2020 à propos du masque en milieu scolaire. Ce dernier, s’il souligne en conclusion que "tout doit être mis en œuvre pour que le port du masque n'entrave pas l'apprentissage", rappelle que, "pour les enfants âgés de 6 à 11 ans, la décision concernant le port du masque doit reposer sur une approche fondée sur les risques qui tienne compte des aspects suivants : / (...) - la capacité des enfants à respecter le port approprié du masque et la disponibilité d'une supervision appropriée par des adultes ; / - l'impact potentiel du port du masque sur l'apprentissage et le développement psychosocial ; / - toutes considérations et tous ajustements spécifiques supplémentaires concernant des contextes particuliers tels que les activités sportives ou les enfants handicapés ou souffrant d'affections préexistantes".
Le juge reconnait que la difficulté du contrôle du respect des barrières sanitaires exige une formation des professeurs et des autres personnels en la matière, mais il constate que cette formation existe et il ajoute, au milieu d’autres arguments, que le protocole sanitaire mis en place prévoit l’existence "d'autres mesures barrières, dont le lavage des mains, la limitation du brassage des élèves, le nettoyage des surfaces et l'aération des salles de classe, toutes susceptibles de renforcer l'efficacité du masque, qui ne saurait s'apprécier individuellement des autres mesures prises".
Les deux requêtes faisaient enfin état de risques majeurs que créerait le port du masque pour la santé de l'enfant, notamment en termes de toxicité, d'altération du système respiratoire et d'anxiété. Là encore, s’appuyant sur des avis d’experts, le juge rappelle que, pour le HCSP, même si le port du masque peut entraîner en particulier des lésions cutanées irritatives, "il n'existe pas de vraie contre-indication au port du masque chez l'enfant de plus de trois ans. Le comité estime que le risque d'hypercapnie induite par le port prolongé d'un masque semble sans retentissement respiratoire ou neurologique et que si, chez des enfants ayant une pathologie respiratoire sévère, l'augmentation du travail respiratoire à travers le masque peut entraîner une gêne, leur état de santé les expose aux formes graves de Covid-19 et le port du masque est une des mesures essentielles pour les protéger". Certes, les requérants s'appuient, pour étayer les risques allégués pour la santé de l'enfant, sur des articles et tribunes parus dans la presse ainsi que des études, dont certaines ont été publiées dans des revues scientifiques reconnues. Comme il l’avait fait dans l’affaire lors de l’augmentation des vaccinations obligatoires, le juge accepte, en face d’avis scientifiques divergents, d’en privilégier un en motivant son choix. En l’espèce, c’est celui du HCSP qui est retenu dans la mesure, souligne le juge, où, "conformément aux compétences que lui confie l'article L. 1411-4 du code de la santé publique et selon une démarche collégiale, (le comité) a procédé à une analyse globale, au vu notamment d'une revue de la littérature scientifique, et en premier lieu des études relatives au port du masque chez l'enfant". Le juge estime, au vu de cet avis comme des échanges tenus à l'audience, que le risque pour la santé des enfants n'est pas établi. Il précise simplement qu’il appartiendra aux enseignants comme aux parents de s'assurer que le masque porté par l'enfant n'entraîne pas d'irritation ou de lésion.
Restait alors un dernier arguments : les requérants soutenaient que le masque est susceptible de favoriser les troubles de l'apprentissage. Pour le juge, cette circonstance ne porte pas une atteinte disproportionnée à l'intérêt de l'enfant dans la mesure où des précautions sont prises. Certaines activités sont dispensées du port du masque, telles les activités physiques et sportives. Des mesures ont été prises à l'attention des élèves pour lesquels l'obligation du port du masque constitue un obstacle réel aux apprentissages. Les enseignants dont les élèves sont atteints de surdité ont été équipés de masques intégrant un dispositif transparent permettant de conserver la visibilité de la bouche des personnes qui le portent. Les enfants en situation de handicap munis d'un certificat médical justifiant d'une dérogation à l'obligation du port du masque en sont dispensés.
Au total, conclut-il, l'obligation faite aux enfants de 6 à 10 ans de porter le masque à l'école et dans les lieux de loisirs périscolaire ne porte ni une atteinte excessive aux droit garantis par les conventions internationales invoquées, ni une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales des enfants. Les requêtes sont donc rejetées.
André Legrand