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Protection de l'Enfance : plus de 10 ans après la publication de son rapport de 2009, la Cour des Comptes déplore que trop de ses recommandations n'aient pas été mises en œuvre

Paru dans Petite enfance, Justice le jeudi 03 décembre 2020.

La Cour des Comptes a publié, ce lundi 30 novembre 2020, un rapport de plus de 230 pages sur la Protection de l'enfance, dont il juge, et c'est le titre retenu pour ce rapport, la "politique inadaptée au temps de l'enfant". Plus de dix ans après la publication de son rapport public thématique de 2009, la Cour constate que près des trois quarts des recommandations n'ont toujours pas été mises en oeuvre, ou très partiellement, et que les ambitions du législateur, renouvelées par la loi de 2016, "tardent à se concrétiser", alors que la Cour juge les deux dernières lois de 2007 et 2016 "riches en innovations favorisant le pilotage de la politique et une meilleure prise en charge des enfants". Les écueils constatés concernent tout autant le pilotage, l'animation et la qualité de la prise en charge des enfants, la Cour pointant un temps de la protection de l'enfance "en décalage avec les besoins des enfants" (alors que "les progrès des neurosciences montrent que les besoins de l'enfant doivent être pris en compte très rapidement pour permettre son développement dans les meilleures conditions"), un "pilotage défaillant", "une réactivité des acteurs locaux insuffisante", des liens insuffisants avec d'autres politiques comme la santé, l'éducation ou l'insertion professionnelle, et un État qui n'assure pas son rôle qui vise à garantir l'égalité de traitement des enfants protégés sur le territoire, constat étant qu'il existe de fortes disparités de prise en charge entre les territoires, aussi bien concernant le nombre que le type de mesures prises. À titre d'exemples, le taux de mesures dans la population de moins de 21 ans varie de 1 à 4 % selon les départements, la part des mineurs et jeunes majeurs confiés à l'ASE, pris en charge en famille d’accueil, varie au 31 décembre 2016, de 17,9 à 87,2 % et la part des accueils en établissement varie de 12,8 à 70,6 %. Des "faiblesses récurrentes" qui amènent la Cour à faire 10 recommandations, dont celles de supprimer au niveau national le récent Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) qui s'est ajouté aux autres instances existantes et de renforcer ou préciser le rôle des autres, comme la DGCS, ou encore de faire se rapprocher les services judiciaires, à l'origine de la majorité des mesures de prise en charge (75 % des cas), du chef de file qu'est le Département.

Premier gros écueil, alors que le rapport de 2009 relevait déjà que le parcours des enfants protégés était souvent long et chaotique, ce constat reste valable aujourd'hui. En cause notamment une méthodologie retenue "guère satisfaisante" pour le projet pour l'enfant qui est "rarement concerté et pas toujours actualisé" et le non-respect des délais pour son élaboration (qui s'ajoute à un empilement d'autres délais, délai de traitement des informations préoccupantes, délais internes aux juridictions, délais d'exécution des décisions de justice, délai pour trouver une orientation durable suite à un accueil d'urgence, etc.).

Absence de réflexion sur le long terme

La Cour dénonce aussi l'absence de réflexion sur le long terme, et estime à ce titre que le raisonnement actuel "par mesures provisoires" prononcées vis-à-vis des parents afin de préserver la possibilité d'un retour en famille, "est contradictoire avec la recherche de continuité dans le parcours de l'enfant et peut être à l'origine de ruptures et d'insécurité préjudiciables pour le mineur". À l'heure actuelle, observe la Cour, le dispositif de protection s'organise sur des mesures de quelques mois à deux ans, toujours provisoires, une conception qu'elle juge "insécurisante". Elle observe à ce titre que le recours à des dispositifs tels que la délégation d'autorité parentale ou le délaissement, introduits par la loi de 2016, est insuffisant (celui-ci reste faible depuis 2016) et ne permet pas de faire évoluer le statut de l'enfant de manière adaptée. "Dans les faits, et bien que les outils existent, le devenir à long terme de l'enfant protégé est donc rarement pris en compte en France, où la priorité est celle du maintien des liens avec les parents 'à tout prix' ", regrette la Cour. Ce faible recours à ces outils juridiques peut également s'expliquer par le manque de formation des personnels du Département, alors qu'ils pourraient permettre un recours renforcé à l'adoption simple et d'envisager pour les enfants un projet plus stable.

La Cour recommande dès lors aux Départements de "renforcer le contenu du projet pour l'enfant en y intégrant l'évaluation des compétences parentales, un projet alternatif de moyen-long terme et l'examen du recours à la délégation d'autorité parentale". À l'étranger, des méthodologies d'évaluation des compétences parentales comme des besoins de l'enfant ont été développées et "permettent d'appréhender la question du devenir des mineurs à long terme", précise la Cour qui indique également qu' "au Québec, comme en Belgique et en Italie, les pouvoirs publics orientent la prise en charge familiale vers des actions d'aide intensive à la parentalité durant une durée limitée, ce qui contribue à l'évaluation de la capacité des parents à offrir un environnement adéquat au développement de l'enfant".

Toujours des déficiences de suivi après la majorité

Il conviendrait également, selon la Cour, "d'élargir le champ des accueils à la famille élargie (grands-parents, oncles, tantes etc.), voire chez des tiers dignes de confiance". L'Espagne et le Portugal sont par exemple attachés au maintien de l'enfant dans son milieu social et émotionnel d'origine – notamment le maintien dans l'école, et en Belgique, l'accueil intrafamilial concerne désormais deux tiers des enfants placés, alors qu'en France, "le recours aux tiers dignes de confiance (...) demeure marginal".

La Cour regrette aussi la prédominance d'une approche de court terme concernant l'avenir de ces enfants en termes de soins, la scolarité ou encore l'insertion professionnelle, sachant que la majorité représente un couperet compte tenu du caractère facultatif des contrats jeunes majeurs et invite à organiser un entretien systématique avant 16 ans, en favorisant les parcours de formation et d'insertion au-delà de 18 ans et en prolongeant si besoin la prise en charge des jeunes majeurs au-delà de 21 ans.

Mettre le préfet de département à la "manœuvre" pour permettre la complémentarité de toutes les politiques

Elle recommande aussi de désigner le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et coordonnateur des services de l'État pour permettre la complémentarité des politiques en termes de santé, d'accompagnement médicosocial, de scolarisation ou d'insertion sociale et professionnelle qui aujourd'hui "n'est pas assurée" faute de coordination au sein des services déconcentrés de l'État. Par ailleurs, les différents services de l'État, au premier rang desquels l'ARS (Agence régionale de la santé) et les services de l'Éducation nationale, doivent nommer en leur sein un référent protection de l'enfance.

Et au niveau local, la Cour recommande de "proposer une participation plus active au sein des instances départementales de coordination (cellule de recueil des informations préoccupantes et observatoire départemental de la protection de l'enfance)", alors qu'aujourd'hui "les acteurs judiciaires, qui sont le plus souvent à l'origine de la mesure de protection, ne disposent pas toujours des informations utiles à leur décision, qu'il s'agisse des éléments motivant la saisine de la justice ou de ceux concernant le dispositif de prise en charge".

Pour pallier l'insuffisance de réactivité des acteurs locaux, la Cour appelle les Départements, d'une part à aligner la durée des autorisations de places sur les échéances de l'évaluation externe (tous les sept ans) pour "sécuriser davantage la qualité de prise en charge des mineurs protégés" et, d'autre part, à renforcer le dispositif de contrôle des établissements et services concernés.

Toujours au niveau local, elle invite à accompagner la mutation du secteur associatif, principal opérateur dans la protection de l'enfance, pour "renforcer leurs capacités d'adaptation et d’innovation" alors qu' "ils sont fréquemment fragilisés par des questions de gouvernance".

Supprimer le Conseil national de la protection de l'enfance

Mêmes type de défaillances constatées au niveau national. Face à une organisation toujours "complexe" et qui fait intervenir de "multiples acteurs", la Cour appelle à supprimer le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), instance que l'on a encore ajoutée aux autres, au profit d'un mandat explicite du rôle de coordonnateur interministériel de la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale) et d'un renforcement du rôle de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) sur les missions d'animation de la recherche et des réseaux.

Elle invite aussi à confier à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) "la mission exclusive de production de données statistiques sur la protection de l'enfance" et à l'État l'évaluation par le biais d'études qualitatives et longitudinales sur le devenir des enfants protégés, alors qu'aujourd'hui ce devenir est "très mal connu", une situation qui "nuit à l'analyse de l'efficacité des politiques menées".

La dernière recommandation concerne spécifiquement les MNA (mineurs non accompagnés), pour lesquels la Cour déplore une "insuffisante anticipation" et "l'absence de suivi de la régularisation des conditions de séjour". Un "point noir dans la quasi-totalité des territoires" qu'elle invite les Départements à corriger en opérant "la consolidation de l'état-civil" de ces mineurs "pendant la période de leur prise en charge, sans attendre la demande de titre de séjour".

Le rapport intégral ici

Camille Pons

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