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Formation des enseignants : les enseignants ne semblent pas préparés à être confrontés au "choc de la réalité" (étude comparative France-Québec, Morgane Le Gouellec)

Paru dans Scolaire le lundi 23 novembre 2020.

Qu'ils soient québécois ou français, quels que soient le contexte, le contenu ou la durée de leur formation initiale, les enseignants, à leur entrée dans le métier, "se retrouvent face à un choc de la réalité que la formation initiale ne leur a pas permis d'anticiper", même quand ils jugent avant le début de leur carrière pour les premiers, au regard de leur formation initiale, être compétents, voire très compétents pour exercer leur métier. Tel est l'un des résultats d'une analyse comparative réalisée par une doctorante de l'Université de Paris (CRIFPE, Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante), en co-tutelle de thèse avec l'université de Montréal (CERLIS, Centre de recherche sur les liens sociaux). Morgane Le Gouellec a effectué ce premier travail dans le cadre d'une thèse qu'elle a commencée il y a un an, sur la base d'un corpus constitué de 26 travaux de recherche et enquêtes menés dans ces deux pays.

Ces documents lui ont permis de collecter des données sur le ressenti des enseignants en formation ou débutants (entre de 5 à 7 ans de carrière) dans ces deux pays confrontés à plusieurs réformes de la formation des enseignants depuis le début des années 1990. Elle présentait ces premiers résultats, mercredi 18 novembre 2020, à l'occasion du séminaire interdisciplinaire,"Formation des enseignants et lutte contre les inégalités scolaires (FELIS) : des politiques aux pratiques", organisé par les laboratoires RECIFES (Recherche en éducation compétences interactions formations éthique), de l'université d'Artois, et CIREL (Centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille). Cette évaluation, qui porte sur le rapport qu'ont les enseignants à la formation et ce qu'ils en pensent, lui semble "fondamentale" car, même si ces réformes ont "le même but", elles se sont traduites dans ces deux pays par des contenus et des organisations différentes.

Du sentiment de compétence pendant la formation au sentiment d'incompétence en début de carrière pour les Québécois

"Comment une formation qui s'inscrit dans un mouvement de professionnalisation de l'enseignement ne répond pas à ça ?" interroge la chercheuse alors qu'effectivement ces deux pays ont été marqués par plusieurs réformes de la formation des enseignants depuis le début des années 1990. Réformes inscrites dans "une démarche de professionnalisation, largement répandue dans les pays occidentaux", mais qui ont été bien moins nombreuses au Québec qu'en France. Au Québec, la formation a été marquée par deux temps forts : en 1994, lorsque le Gouvernement a notamment voulu renforcer le contrôle de la formation, que la formation initiale a été portée à 4 ans avec 700 heures de stages minimum contre 200 heures auparavant, articulée autour de 50 domaines et qui se conclut par un brevet d'enseignement délivré suite à l'évaluation de la formation et non conditionnée par un concours comme en France ; en 2001, lorsqu'a été implanté un référentiel de compétences de la formation enseignante commun au primaire et au secondaire. En revanche, en France, ce sont 6 grandes réformes qui ont marqué la profession : l'institution des IUFM en 1990, suivie de l'intégration de ces derniers aux universités en 2005, la création d'un référentiel en 2006, la réforme de la masterisation en 2009, la première rentrée en 2013 des ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l'éducation) qui remplacent les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres), et la modification, en 2019, de ces derniers en INSPE (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation), notamment de leur gouvernance puisque le Gouvernement renforce son poids dans ces derniers.

Si la chercheuse estime qu'il était "compliqué" de comparer les formations car les contenus sont différents, en revanche "comparer le ressenti par rapport à la préparation au métier semblait plus réaliste". Et de cette étude ressort un constat important : en France comme au Québec, cette évaluation de leur formation par les enseignants s'avère "différente selon la période à laquelle ils sont interrogés". Néanmoins, les deux pays se distinguent sur un aspect explique-t-elle : même si cette étude comparative montre que c'est "l'insertion professionnelle [qui] modifie le regard porté sur le formation initiale" dès lors que les enseignants "se confrontent au travail réel", ce regard est néanmoins plus accentué au Québec, alors qu'ils sont globalement plus satisfaits que les Français quand on les interroge durant leur formation.

Des conditions plus précaires au Québec expliqueraient la dégradation de la perception des enseignants de ce pays à l'entrée dans le métier

Les éloges envers la formation initiale ne résisteraient pas à l'insertion professionnelle, poursuit la chercheuse, alors même que les enseignants de ces pays pensent à la fin de la formation, au vu d'une enquête menée à 10 ans d'intervalle, que leur "niveau de compétence est satisfaisant", sentiment qui concerne 10 ans après 85 % des enseignants dont certains disent même être "très compétents". "Ce sentiment aurait tendance à baisser entre la fin de la formation et le début de carrière, créant même un sentiment d'incompétence pédagogique", observe encore la chercheuse qui indique qu'ils ne sont plus que 40 % en début de carrière à la juger "positivement", contre 25 % à la juger "négativement" et 35 % à se déclarer "mitigés", des niveaux "très différents" de ce qui est apprécié durant la formation.

La chercheuse propose certaines explications à ce ressenti plus fort au Québec. Ainsi, les enseignants québécois ont des stages durant les 4 ans de leur formation, dont 4 mois en dernière année avec beaucoup de responsabilités, mais qu'ils "sont toujours accompagnés par un enseignant" et se sentent "donc à l'aise". En revanche, les conditions d'insertion sont "différentes" au regard de ce qui se passe en France puisque ces derniers ont "un statut précaire", parce qu'ils "doivent aller chercher leur travail", contrairement à ce qui se passe en France, et qu'ils enseignent, du coup pour beaucoup, d'autres disciplines que celles pour lesquelles on les a formés. Si elle n'a pas d'explication sur les avis moins "dégradés" des Français à leur entrée dans leur métier, la sortie "plus rapide via le stage" expliquerait peut-être qu'ils "sortent plus vite de cette phase de remise en question". Ces derniers s'avèrent en effet moins critiques au fur et à mesure de l'avancée de leur carrière, "se rendant compte de certains apports dont ils n'avaient pas vu l'utilité durant leur formation", observe-t-elle.

Les Français évoquent un manque de préparation à l'aspect relationnel

En revanche, c'est pendant la formation que les Français sont de leur côté "très critiques" vis à vis de celle-ci, notamment parce qu'elle est très courte - 2 ans -, et en particulier parce qu'une seule année est consacrée à la pratique, l'autre étant consacrée à la préparation du concours. La chercheuse avance quelques explications possibles à ces écarts. Les québécois ont une formation plus longue - 4 ans - et l'inscription dans le métier est plus progressive, au travers de stages chaque année.

Le "manque de préparation à l'aspect travail relationnel", par exemple pour mettre en place des approches avec des groupes différenciés, compte parmi les principales critiques émises en France. Au Québec, les enseignants sont de leur côté "moins critiques sur les aspects théoriques de la formation", et "se sentent assez bien préparés pour aborder des groupes à besoins particuliers, pour évaluer, etc." mais ils reprochent néanmoins "le manque de lien avec la pratique" concernant le module de psycho-pédagogie qu'ils doivent suivre.

D'autres différences d'appréciation qui relèvent de la différence de formation des enseignants en France

Si la doctorante souligne que les inégalités, thème du séminaire, sont "très peu mises en lien dans ces enquêtes sur la formation des enseignants", une autre chercheuse observe que certaines insatisfactions qui ressortent dans beaucoup d'enquêtes, par exemple autour de la gestion des difficultés d'apprentissage des élèves ou de l'hétérogénéité de ces derniers, peuvent néanmoins être interprétées comme un indicateur du fait que la formation initiale "ne prépare pas à ces différences sociales".

Morgane Le Gouellec a mené son analyse comparative en s'appuyant sur 10 études québécoises et 16 études françaises, dont les enquêtes annuelles menées par la SNUIPP depuis 2015 (ce qui explique le surnombre côté Français). Elle souligne que ce corpus de documents apporte des réponses sur cette question mais que celles-ci "n'ont pas été réalisées pour apporter des éléments de réponses précisément à cette question" et que cette perception des enseignants est "rarement au centre de recherches". Elle précise également qu'au-delà de tendances générales, les appréciations peuvent être différentes en France selon les types de formations, qui relèvent aujourd'hui de mêmes établissements mais divergent dans leurs contenus entre le premier et le second degrés, et ont des volumes différents en fonction des disciplines (ce qui n'existe pas au Québec). Par exemple, au moment de la mise en place des IUFM, celle-ci a relevé que les professeurs des écoles avaient jugé la formation du point de vue des contenus plutôt "utile", alors que c'était "moins le cas pour le secondaire", même si les savoirs disciplinaires et la didactique étaient jugés "satisfaisants". En revanche, plus de la moitié de ceux formés pour le premier degré jugeaient la formation depuis la création des ESPE "insatisfaisante" concernant les connaissances des disciplines à enseigner, tendance qui "ne s'améliore pas" au vu de la dernière enquête de 2018.

Camille Pons

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