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Assassinat d'un enseignant : "il est important de voir ses émotions reconnues" (L. Chazelas, Association française des psychologues de l’Education nationale)

Paru dans Scolaire le dimanche 01 novembre 2020.

ToutEduc remet "à la Une" les trois interviews de psychologues et psychiatre, spécialistes de l'enfance et de l'adolescence, qui peuvent les aider lorsqu'ils retrouveront leurs élèves et devront envisager avec eux l'assassinat de Samuel Paty.

Notre système scolaire vient de subir un traumatisme. La réponse est évidemment politique et pédagogique, elle est aussi psychologique. Or les psychologues de l'Education nationale ont été très peu sollicités. ToutEduc leur donne la parole, "en clair", remplisssant ainsi une mission de service public, en commençant par Laurent Chazelas, président de l'AFPEN (l'Association française des psychologues de l’Education nationale)

Laurent Chazelas : C'est vraiment un dur métier d'être enseignant aujourd'hui et beaucoup sont épuisés, ils ont connu le confinement, le déconfinement, ils portent un masque toute la journée, et maintenant cet attentat. Ils sont en situation de fragilité et il faut vraiment les accompagner. Robert Badinter a parlé d'eux récemment comme des "héros tranquilles", on voit bien aujourd'hui que c'est l'Ecole qui, en première ligne, fait la République. Quel poids sur leurs épaules !

ToutEduc : N'y a-t-il pas justement un risque à trop insister sur la dimension héroïque de l'enseignement ?

Laurent Chazelas : Bien sûr. Quand on voit tout ce que Samuel Paty avait mis en place, on peut être tenté de s'identifier à cet enseignant modèle et à cette victime. Il faut que les enseignants entendent qu'on ne leur demande pas d'en faire tant. Il ne faut pas non plus qu'ils soient dans le déni. "On n'a pas peur", dit le ministre. Mais il est normal d'avoir peur, et il est important de voir ses émotions reconnues pour pouvoir les dépasser, d'où l'importance de se retrouver, d'échanger...

ToutEduc : Et c'est là que le psychologue de l'Education nationale intervient...

Laurent Chazelas : ... à la place qu'on veut bien lui laisser. On réduit trop souvent son rôle aux bilans pour les enfants en difficulté d'apprentissage ou en souffrance psychique, mais c'est un (une) professionnel.le qui accompagne les équipes, collectivement ou individuellement, les élèves, les familles. La MGEN est en train de mettre en place des cellules d'écoute et personne ne nous a rien demandé ! Personnellement, j'ai la chance de dépendre d'une inspectrice de circonscription qui m'a proposé d'élaborer des recommandations aux enseignants pour la rentrée...

ToutEduc : Et que conseillez-vous ?

Laurent Chazelas : De prendre le temps d'écouter ce que les élèves ont à dire, de leur demander ce qu'ils savent, où ils étaient, ce qu'ils ont ressenti, de corriger lorsqu'ils se trompent sur les faits, mais d'en rester au factuel, sans en rajouter. Si il y a une minute de silence, il faut qu'elle soit précédée de ce temps qui permettra aux enfants ou aux jeunes de se saisir de cet évènement, de donner du sens à l'hommage qui sera rendu à cet enseignant, car sans ce temps pour expliquer, il pourrait y avoir des débordements.

ToutEduc : Et si, malgré toutes les précautions prises, un enseignant se trouve face à un élève qui dit "bien fait" ?

Laurent Chazelas : Il faut d'abord se dire qu'à l'impossible nul n'est tenu, qu'il n'y a pas de réponse simple, uniforme à ce type de situation. On peut d'ailleurs avoir une réflexion en amont, certains enseignants sont trop fragiles, trop bouleversés par cet acte criminel pour affronter ces émotions, c'est au collectif, au groupe, de les préserver, de se répartir les tâches. Mon premier conseil aux enseignants, c'est "prenez soin de vous, faites des choses qui vous font plaisir". Quand c'est une figure d'autorité qui est attaquée, tout l'édifice est fragilisé, cela vaut pour les adultes comme pour les enfants et les jeunes, l'école pour eux doit être un lieu où ils se sentent en sécurité.

Les enseignants peuvent aussi penser qu'ils sont porteurs des valeurs de la République, et au-delà même, des valeurs qui fondent l'humanité, et qu'ils n'en sont pas les auteurs, ils sont les messagers de valeurs qui ne se négocient pas.

ToutEduc : L'institution peut-elle attendre de vous que vous interveniez lorsque des "signaux faibles" sont perçus, pour prévenir des catastrophes à venir ?

Laurent Chazelas : Il arrive effectivement et ceci dès la maternelle, qu'un enseignant se rende compte qu'un enfant décroche, soit en souffrance, ou qu'une famille dérive, se situe du côté de l'excessivité. Le PsyEN peut susciter un travail pluridisciplinaire mais avec la famille. Un homme politique, Richard Ferrand, a cru bon de demander aux parents de "foutre la paix" aux enseignants. Bien sûr qu'ils ne doivent pas agresser les personnels, mais le principe de co-éducation est inscrit dans la loi...

ToutEduc : Mais a-t-il les moyens d'agir ?

Laurent Chazelas : C'est là que les inégalités sociales sont flagrantes. Si certaines familles peuvent bénéficier d'un secteur libéral moins encombré, d'autres, qui n'en ont pas les moyens, sont adressées au CMP ou au CMPP, avec des listes d'attente de deux ans ! Il faudrait au minimum qu'un psychologue figure parmi les conseillers du recteur, pour organiser les relations avec le secteur médico-social, dans la mesure des moyens disponibles...

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par L. Chazelas et libres de droits

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