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"Il y a de la vanité à parler du numérique en général" (CNESCO)

Paru dans Scolaire le jeudi 15 octobre 2020.

Pour "sortir des débats stériles" et des "affirmations abruptes" à propos du numérique à l’école, du type "pour ou contre", le Cnesco publie les résultats d’une enquête menée depuis deux ans par une équipe pluridisciplinaire placée sous la direction d'André Tricot (psychologie, U. de Toulouse). "Après l’épreuve du confinement et de l’enseignement à distance, mieux saisir les valeurs ajoutées réelles du numérique est devenu central", commente Nathalie Mons, titulaire de la chaire "Evaluation des politiques publiques" au CNAM. Il s'agit d'avoir une vision "beaucoup plus fine" des usages, des équipements, des compétences des jeunes et de leurs familles.

Si, contrairement à d’autres pays, comme le Danemark, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, l’utilisation intensive du numérique n’est pas développée en France, "une dynamique est à l’œuvre". Le pourcentage d'enseignants de collège indiquant qu'ils font utiliser fréquemment les TIC par leurs élèves est passé de moins de 25 % à plus de 35 % entre 2013 et 2018. L’enquête du Cnesco démontre qu’en mathématiques, 75% des professeurs de collège interrogés et 78% en lycée déclarent que leurs élèves utilisent un outil numérique en classe, chaque semaine ou une ou deux fois par mois, calculatrice non comprise. En français, 8 enseignants sur 10 déclarent faire utiliser un outil numérique aux élèves de collège au moins une fois par mois.

Le bilan de l’équipement informatique est "contrasté". Convenable au collège et au lycée, il est insuffisant en primaire et inégal selon les territoires. En effet, en moyenne les collèges disposent d’un poste pour 4,5 élèves (de 2 à 9 selon les territoires), les lycées d'enseignement général et technologique d'un poste pour 3,4 élèves et en voie professionnelle, d'un poste pour 2,4 élèves. Ce qui place la France au-dessus de la moyenne européenne. En primaire, les inégalités d’équipement informatique entre les écoles sont très importantes. Les 20% des élèves scolarisés dans les écoles les mieux équipées disposent d’un poste pour 3,7 élèves et les 20% dans les écoles les moins favorisées, d'un poste pour 33 élèves !

Les écoles les mieux dotées se trouvent à Paris intra-muros, dans les Alpes et dans les départements de la "diagonale du vide" qui ont bénéficié des grands plans d'équipement des territoires ruraux (voir ToutEduc ici). C'est ainsi qu'on ne compte que deux écoles "sous-équipées" dans le Cantal, quatre en Lozère. En revanche les écoles de grandes métropoles comme Marseille, Lyon et Strasbourg, qui n'ont pas bénéficié de grands plans, qui peuvent avoir eu des problèmes de financement ou par manque de volonté politique sont sous-dotées. Ce n'est pourtant pas le cas de Rennes ou de Nantes ni des arrondissements du Nord-Est parisien qui bénéficient en outre de bonnes connexions. Certains départements, la Seine-Saint-Denis et l'Outre-mer notamment sont largement sous dotées.

Le lien entre l’équipement et la connexion n’est pas toujours évident. Ainsi, les écoles rurales qui bénéficient d’un bon équipement informatique sont peu nombreuses à avoir accès au réseau internet et 85% des élèves scolarisés en Outre-mer n’ont pas accès à la fibre dans leur école. Autre difficulté : en France, le parc d’ordinateurs portables dans les établissements demeure faible contrairement à d’autres pays comme l’Australie ou les Etats-Unis où la quasi-totalité des équipements sont portables. Le Cnesco constate que les plans massifs d'équipement ont eu "des résultats limités", et qu'il faut "rompre avec cette logique", "partir des besoins des équipes" et avoir des "politiques systémiques" qui jouent "sur tous les leviers".

Parmi ceux-ci figure la formation des enseignants qui se sentent peu experts. Au cours de l’année scolaire 2017-2018, seules 4% de l’ensemble des journées de formation des enseignants du premier degré étaient consacrées au numérique (11% dans le second degré). Les usages qu'ils en font sont très variables selon les disciplines et, au sein des disciplines, selon le type d'activité. Si les logiciels de traitement de texte sont souvent utilisés en français, c'est beaucoup moins le cas, et cela a surpris les chercheurs, des exerciseurs (logiciels générateurs d'exercices, de questionnaires, QCM, quizz, ou tests). Du côté des parents, les inégalités d’équipement et de compétence sont flagrantes. En moyenne, 24% des ménages français n’avaient pas d’ordinateur à leur domicile en 2019, mais c'était le cas de 36% des ménages à faible revenu (8% parmi les ménages les plus aisés). Les téléphones dont elles disposent sont loin d'être tous des "smartphones".

Quant aux effets du numérique sur les apprentissages, ils ne sont pas mécaniques. Ils sont "plutôt positifs" (de l'ordre de 0,3 ou 0,4 écart-type) quand il s'agit d'apprendre à distance ou de "produire un texte seul ou à plusieurs". Le numérique n'est d'ailleurs pas synonyme d'innovation, mais il permet parfois des pratiques nouvelles, par exemple l'écriture simultanée par 15 élèves d'un même document. Les effets sont limités ou ne sont pas attestés en termes de motivation, et ils sont "plutôt négatifs" lorsqu'il s'agit de "prendre des notes" ou de "découvrir des concepts abstraits". En règle générale, l'introduction du numérique se double d'une élévation des exigences, d'autant qu'il suppose des élèves plus engagés, plus motivés, ce qui a un effet négatif sur les plus faibles. Mais cette mesure par "fonctions pédagogiques" n'est pas encore assez fine. Pour l'apprentissage des langues vivantes, l'utilisation de lecteurs MP3 est très bénéfique pour 80 % des élèves qui peuvent, à leur rythme, arrêter, revenir en arrière pour réécouter un passage mal compris, mais ils mettent en difficulté les 20% qui le sont déjà et qui peinent à réguler eux-mêmes leurs apprentissages. Pour eux, mieux vaut qu'un enseignant décide quand faire une pause, quand reprendre... Et pour ce qui est de l'intelligence artificielle, on ne sait pas encore quels effets son introduction aura sur les enseignants et les élèves.

Le Cnesco recommande de réintroduire la certification numérique des enseignants, et de développer leurs compétences lors de leur formation initiale, mais aussi en formation continue, et ceci de manière continue, de penser la formation des élèves non seulement en capacité à raisonner en informatique, mais aussi à la prise en main des outils numériques, car ils sont en réalité loin d'être des "digital natives", de passer d'une logique d'assistance aux familles, on fait à leur place, à une logique de formation et d'équipement, et, plus globalement, de changer de logique, de penser en termes "d'éco-systèmes favorables".

Le site du Cnesco (le dossier sera en ligne demain 16 octobre) ici

Colette Pâris et Pascal Bouchard

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