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"Le système tient, mais les incertitudes sont partout" (Catherine Nave-Bekhti, SGEN-CFDT, interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le dimanche 27 septembre 2020.

"Ils ont cassé l'embrayage, la défiance est généralisée et même ce qui pourrait être intéressant est mal reçu." Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du SGEN-CFDT, porte un jugement sévère sur la gestion ministérielle à l'occasion d'un tour d'horizon de la situation de l'Education nationale avec ToutEduc.

ToutEduc : La rentrée est placée sous le signe de la Covid. Quelle en est pour vous la manifestation principale ?

Catherine Nave-Bekhti : Le système scolaire tient, mais dans une énorme tension. Les personnels ont été manifestement heureux de retrouver les élèves et l'objectif politique du ministère, "tout le monde à l'école", est partagé, mais les incertitudes sont partout. Le nombre des décrocheurs est manifestement sous estimé. Le temps scolaire pourrait devenir rare si l’épidémie devait obliger à réduire le nombre d’enfants accueillis en même temps dans les salles de classe. Les locaux nous permettront-ils d'accueillir tous les élèves ? Les enseignants sont dans l'urgence pour nouer avec leurs élèves des relations solides, susceptibles de perdurer en cas de retour au distanciel. On engrange tout ce qu'on peut... Cette incertitude sur la suite de l’année scolaire aggrave une fatigue professionnelle déjà forte.

ToutEduc : Comment jugez-vous la gestion de cette rentrée ?

Catherine Nave-Bekhti : Tout n'est pas anticipé, on attend d'être au pied du mur pour avoir des consignes adaptées aux avis les plus récents du Haut Conseil de Santé publique. Cela accroît la tension subie par les agents. Le nombre de réunions que nous avons au ministère est hallucinant, mais toutes nos mises en garde ne sont pas entendues, ou pas assez vite, les décisions sont annoncées à la population sans informer préalablement les personnels qui auront à les mettre en œuvre, ni les syndicats représentatifs. L’an dernier par exemple, alors qu’il n’était pas possible d’accueillir tous les élèves sur le temps scolaire du fait des consignes de distanciation, c’est au détour d’une audition parlementaire que tout le monde a découvert le dispositif 2S2C. Le meilleur moyen d’inquiéter tout le monde : enseignants qui ont eu l’impression que leur travail était externalisé, collectivités qui se voient transférer une mission sans savoir comment ni avec quels financements. 

ToutEduc : Le dispositif a peu fonctionné ...

Catherine Nave-Bekhti : Ca n'a marché que là où les PEDT sont solides, souvent dans des communes restées à 4,5 jours, à rebours du décret de juin 2017 sur les rythmes scolaires voulu par le ministre. On assiste d'ailleurs ainsi à des mouvements de va et vient. Le ministre avait, de fait, renoncé à la politique de cycles en rétablissant des "repères annuels" dans les programmes du 1er degré, et là, pour permettre "d'absorber le choc" du confinement, il renvoie les enseignants à la logique des cycles dans la circulaire de rentrée... Au lycée, les TPE (travaux personnels encadrés) ont disparu avec la réforme, mais le "grand oral" devait en être "le prolongement"...

ToutEduc : Vous semblez dire que la crise sanitaire provoque un assouplissement du système.

Catherine Nave-Bekhti : Sur le papier, peut-être, mais dans la réalité quotidienne, c’est bien plus compliqué. Il nous semble que nous assistons d'ailleurs à des dérèglements du système administratif. Par exemple, en ce qui concerne le télétravail. Alors que dans bien des rectorats et DSDEN, les locaux ne permettent pas le respect de la "distanciation sociale", le travail à distance, pour lequel la DGRH du ministère était réticente en 2016 lors des discussions sur la mise en place du télétravail, n’est quasiment plus possible depuis la fin du confinement. Nous demandons des discussions et des accords dans chaque académie pour le mettre en place, ainsi que l’aménagement des horaires. L’expérience du travail à distance pendant le confinement montre qu’il faut aussi former à l’encadrement du télétravail. Trop d’agents ont été confrontés à un contrôle infantilisant de leur activité, des chefs de service exigeant un compte-rendu quotidien des tâches accomplies dans la journée. Les personnels des services déconcentrés n’avaient que rarement la possibilité d’accéder aux applications et aux dossier de gestion à distance (parce que les réticences au télétravail en 2016 n’ont pas poussé à prévoir l’équipement adéquat). Du retard a donc été pris, et en demandant ensuite aux personnels de "rattraper le temps perdu" sans tenir compte de tout ce qu'il leur a fallu faire en plus des tâches ordinaires, on place ces collègues sous une pression énorme. De toutes façons, c'est intenable. Depuis plusieurs années, même avant 2017, les gouvernements se flattent, dans les documents budgétaires, d’un ministère de l’Education nationale qui compte le moins d'agents gestionnaires par rapport au nombre des agents en gestion. En réalité, c’est une fragilité. Si aujourd’hui le ministre le reconnaît, l’amélioration des conditions de travail de ces agents n’est pas encore en vue. Par ailleurs, la crise sanitaire renforce les besoins logistiques à tous les niveaux… notre administration n’est plus équipée pour assurer cette mission face à l’ampleur des commandes et des acheminements de masques, de gel hydroalcoolique à assurer auprès de toutes les écoles, tous les établissements et tous les services. Les fonctions qu’on appelle souvent support sont essentielles au bon fonctionnement du système éducatif, et sont aujourd’hui très éprouvées, les personnels épuisés.

ToutEduc : Parmi les sujets en discussion, le "Grenelle des professeurs".

Catherine Nave-Bekhti : Oui, et nous manquons d'informations. On parle de 400 M€ pour démarrer la revalorisation des enseignants en 2021, mais quid des autres corps ? Une programmation pluriannuelle pour revaloriser tous les personnels semble acquise, mais nous ne connaissons pas encore les enveloppes prévues.

ToutEduc : Autre sujet, l'absorption de Jeunesse & Sports.

Catherine Nave-Bekhti : C'est effectivement un sujet d'inquiétude. On craint que le périmètre du ministère des Sports se réduise au haut-niveau, que le reste s'inscrive dans une logique Education nationale, et que le sport pour tous soit oublié. Et en ce qui concerne les politiques jeunesse, elles sont par définition interministérielles et elles peinent à trouver leur place dans la culture "Education nationale". Lors de la mise en place des PEDT, nos militantes et militants conseillers d’éducation populaire et de jeunesse témoignaient que souvent, c’était l'IEN qui manquait autour de la table. Le secrétariat général du ministère et la direction des ressources humaines font en sorte que l'intégration des agents dans les rectorats se passent le mieux possible du point de vue matériel, mais pour le moment la réflexion sur les missions, sur le fonctionnement réel des futurs services n’a pas été menée. Les préfets vont-ils laisser aux recteurs la main sur la surveillance des associations et les possibles radicalisations ? Ce n’est pas envisageable selon nous, mais l’articulation entre les recteurs et préfets ne va pas être simple au quotidien pour les agents. Actuellement, les personnels sont au bout du rouleau, le transfert à l’Education nationale au 1er janvier 2021 vient d’être confirmé après deux années de tergiversation et d’incertitude.

ToutEduc : Un peu comme les personnels de l'ONISEP ?

Catherine Nave-Bekhti : Là encore, c'est un sujet d'inquiétude. D’après certains de nos militants qui travaillent dans le champ de l’orientation dans l’enseignement scolaire et dans l’enseignement supérieur, l'Onisep pourrait bien ne pas être en mesure de sortir ses brochures cette année. Certains recteurs ont une politique très rigide, un seul CIO par département, alors que pourtant personne ne sait ce qu'est devenu le "rapport Charvet" sur l'orientation, et les régions ne s'emparent pas toutes du sujet avec le même dynamisme. On est très loin de ce qui était prévu avec la réforme du lycée, qui n’était pas inintéressante dans l’intention initiale (mais la réalisation a été ratée, d’où notre vote négatif en CSE), mais qui suppose un réel accès à l'information et l'accompagnement par des professionnels. Or on est en train de sortir les PsyEN de ce domaine, et l’accompagnement tel qu’il est prévu actuellement n’est pas suffisant.

ToutEduc : La Santé est également un sujet de préoccupation.

Catherine Nave-Bekhti : Oui, elle manque de moyens, qu'il s'agisse de la prévention pour les personnels ou de la médecine scolaire. De nombreux postes de médecins sont vacants du fait des salaires qui ne sont vraiment pas attractifs, mais aussi de la perte de sens du métier. Que faire quand on est seul.e pour tout un département ? quand on est laissé.e systématiquement de côté en pleine épidémie ? Que partout on voit la tentation de faire à la place du médecin ? Nous sommes également préoccupés de la situation des services sociaux, sous dotés.

ToutEduc : Qu'avez-vous comme informations sur la réforme de l'éducation prioritaire ?

Catherine Nave-Bekhti : Bien peu de choses. Le ministre parle parfois d'éducation prioritaire, parfois de lutte contre les inégalités, sans qu'on sache où il penche. La réactivation des "cordées de la réussite" apparaît comme l'arbre qui cache la forêt. Même si l'arbre peut être intéressant, il ne doit pas faire oublier le reste, pour lequel nous sommes dans le flou. Quant aux fonds sociaux, le ministère voudrait en récupérer une partie au prétexte qu'ils sont sous-utilisés. Mais il n'y a aucun outil de pilotage national ni aucune incitation à la solidarité entre établissements, qui permettrait qu'un lycée qui connaît moins de situations de détresse que prévu puisse aider un collège qui est assailli de demandes. Par ailleurs, ATD Quart Monde s'inquiète avec nous et avec plusieurs chercheurs de la tendance à orienter les élèves en situation sociale difficile et les mineurs non accompagnés vers les structures destinées aux élèves handicapés. Nous en avons parlé au ministre qui s'est dit "intéressé", mais nous attendons la suite.

ToutEduc : Comment se porte le Sgen-CFDT ?

Catherine Nave-Bekhti : Nous connaissons une belle dynamique en termes d'adhésions, + 4 à 5 % par an  et nous comptons plus de 23 000 adhérentes et adhérents. Nous voyons arriver des jeunes, aussi bien parmi les militants que les simples adhérents. Tous les syndicats de la fédération se sont mobilisés pour trouver, dans la mesure du possible, des réponses aux questions très concrètes  que se posent nos collègues sur le terrain en lien avec l’épidémie, quand, pour prendre un exemple, un recteur attend la circulaire "Education nationale" pour appliquer la circulaire du Premier ministre sur les jours de carence et les ASA (autorisations spéciales d’absence, qui permettent pour les absences pour cas de force majeure d'éviter un congé maladie et donc un jour de carence, ndlr). C'est du syndicalisme de base, nécessaire, et une activité forte pour nos militants.

ToutEduc : Quelles conséquences tirez-vous, pour vous mêmes, de la période de confinement ?

Catherine Nave-Bekhti : Nous avons reporté d'un an notre congrès qui aura lieu en mai 2021 au lieu de mai 2020 Nous allons sans doute faire davantage de réunions en visio, nous nous sommes aperçus que certains avaient du mal à se déplacer, mais qu'ils n'en avaient pas moins des choses à dire. Et puis, nous avons appris qu'il fallait se mettre des limites. En télétravail, il n'y en a plus. Il faut aussi savoir se reposer. 

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par C. Nave-Bekhti

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