EPLEI : l'IGESR recommande de multiplier les implantations et une stratégie académique de recrutement pour viser la mixité sociale, ainsi qu'une aide au recrutement de personnels spécifiques
Paru dans Scolaire le jeudi 06 août 2020.
Multiplier les implantations et définir une stratégie académique de recrutement en l'intégrant parfaitement au plan de développement des langues vivantes pour essayer de viser la mixité sociale, modifier des textes réglementaires pour les personnels de direction, désigner un personnel académique pour accompagner le recrutement de personnels spécifiques et de qualité... : telles sont quelques-unes des recommandations de l'IGESR (Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche) pour que les nouveaux EPLEI (établissements publics locaux d'enseignement international), créés par la loi "pour une école de la confiance" de juillet 2019, "atteignent leurs objectifs, notamment en matière d'équité sociale et d'ouverture internationale des territoires dans lesquels ils sont implantés". Ces recommandations s'appuient sur le travail de quatre inspecteurs qui ont visité, dans les 6 mois qui ont suivi la promulgation de la loi, les 4 établissements existants (ou en cours d'habilitation), les 3 écoles européennes de France (Strasbourg, Lille et Paris La Défense) et l'école internationale Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que quelques lycées à sections internationales. Ces inspecteurs ont dressé un premier bilan du dispositif, qui a entre autres spécificités de regrouper au sein d'une entité administrative unique des classes du premier et second degrés, de dispenser des enseignements en langue française et en langue étrangère préparant au bac européen, ou au bac international ou aux bacs binationaux et d'être sous la gouvernance unique du chef d'établissement. Leur rapport, intitulé "La mise en oeuvre des établissements publics locaux d'enseignement international", a été remis au ministre en mai dernier et publié le 27 juillet 2020.
En effet, alors que s'ouvre la perspective de transformation d'autres EPLE en EPLEI, la mission s'est d'abord penchée sur "les modalités de recrutement des élèves tant d'un point de vue des compétences linguistiques que de la mixité sociale". Or, pour l'instant, cette mixité sociale n'est pas au rendez-vous, voire "très relative pour ne pas dire inexistante" dans les lycées où le recrutement est encadré par des accords internationaux qui limitent de facto la diversité des publics.
Actuellement peu de boursiers et des élèves majoritairement en "position sociale élevée"
Ainsi, au regard des 4 établissements existants mais aussi de ceux qui ont l'ambition de se transformer en EPLEI, la mission observe, qu'à l'exception de la cité scolaire de Paris Honoré de Balzac, "tous les autres établissements se caractérisent par un taux de position sociale relativement plus élevé que celui de leur département". Pour calculer ces taux, la mission s'est appuyée sur l'indice de position sociale, indicateur construit à partir de la profession des parents et basé sur des analyses sociologiques fines. Plus cet indicateur est élevé, "plus l'élève se situe dans une position favorable aux apprentissages". Alors que l'indice de l'établissement Honoré de Balzac se situe à 114,8 au lycée contre 129,3 pour le département, ceux des établissements qui affichent le moins de mixité sociale, les établissements de PACA et de Strasbourg ont des indices respectifs de 142,3 contre 114,6 pour le département et de 136,1 contre 104,8.
Le taux de boursiers confirme cette tendance d'absence de mixité sociale. Et, "comme pour l'indice de position sociale, seule la cité scolaire Honoré de Balzac a un taux de boursiers supérieur à celui de son département et au taux national", note encore la mission. Dans cet établissement, la proportion de boursiers au lycée est de 28,5 %, alors qu'ils ne sont respectivement que 12,3 et 6,8 % dans ceux de PACA et Strasbourg. Dernier établissement encadré par une réglementation propre liée aux écoles européennes qui "limite très fortement la diversité du public scolaire". En effet, ce sont les enfants des personnels des institutions et agences communautaires qui sont prioritaires, priorité qui a aboutie à pas moins de 1343 refus d'admissions entre 2016 à 2018.
Limiter à 1/3 les élèves préparant les diplômes nationaux peut avoir des effets négatifs sur la mixité recherchée
Au-delà de stratégies de recrutements qui peuvent être différentes selon les établissements et de la situation du territoire qui peut impacter sur cette mixité sociale, l'IGESR note aussi que "la limitation au tiers des effectifs totaux de la proportion d'élèves préparant les diplômes nationaux peut avoir des effets contraires à ceux recherchés en termes de mixité sociale". Un écueil pour des lycées qui auraient vocation à se transformer en EPLEI, comme celui justement d'Honoré de Balzac ou celui de Ferney-Voltaire qui affiche également un taux de mixité sociale intéressant, et devront transformer les modalités de recrutement et leur offre de formation pour se conformer au décret, alors que la mission note justement que Ferney-Voltaire offre un parcours classique à 60 % des élèves.
Pour les inspecteurs, la mixité ne peut être assurée sans une politique académique en la matière. Celle-ci recommande que les recteurs élaborent des modalités de recrutement qui "garantissent la mixité sociale, en conformité avec les critères retenus au niveau académique pour l'ensemble des établissements" mais aussi en l'intégrant parfaitement dans le plan de développement des langues vivantes et en veillant à introduire l'enseignement en langue "le plus précocement possible", via par exemple un dispositif de classe EMILE (enseignement d'une matière intégrée à une langue étrangère).
Enfin, la mixité sociale passe aussi par une nécessaire implantation dans d'autres académies. Car, écrivent les inspecteurs, "il faut savoir qu'en deça justement d'une certaine masse critique des EPLEI, la mixité sociale est ou un leurre ou un frein, sauf dans des écosystèmes particuliers". À ce titre, la mission recommande notamment de "favoriser la mise en réseau nationale des EPLEI pour mutualiser les stratégies de création et aider à la levée des freins par les bonnes pratiques qui pourront être repérées".
De nécessaires évolutions réglementaires
Des évolutions juridiques risquent aussi d'être nécessaires. La mission cite notamment, alors qu'il y a désormais un seul chef d'établissement qui exerce à la fois les fonctions de directeur d'école et de principal, l'invitation de la DGRH (direction générale des ressources humaines), non pas à mettre en place un adjoint de direction, poste que pourrait occuper les directeurs d'école actuels (dont le maintien "n'est pas en soi problématique"), mais à créer deux postes de personnel de direction, "l'un profilé premier degré, l'autre second degré" de façon à garantir, via un seul statut unique, une égalité de traitement.
Le rassemblement du premier et second degrés "interroge" aussi les académies sur la façon de prendre en compte ce type d'établissement dans les dotations en emplois. Alors qu'habituellement seuls les effectifs du secondaire sont pris en compte dans les barèmes académiques, les acteurs de ces nouvelles entités militent pour la prise en compte de la totalité des effectifs et espèrent en ce sens des créations d'emplois. Mais les besoins ne sont pas les mêmes, les missions non plus, ni les décomptes horaires des personnels enseignants des écoles européennes...
Enfin, les inspecteurs relèvent les difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités parties prenantes de ce nouveau format, comme celles des cadres d'emploi puisque le modèle suppose de ne retenir qu'une collectivité de rattachement. C'est ce pour quoi la région PACA, désignée collectivité de rattachement pour l'école internationale PACA, a choisi de créer le cadre d'emploi d'ATSEM. Mais la création doit donner lieu à un vote en assemblée, puis à une présentation de la convention devant les assemblées des autres collectivités partenaires, consultations des instances qui "retarde d'autant la mise en oeuvre effective", regrette la mission. Sur tous les points dits "sensibles", la mission invite à "élaborer un vademecum des bonnes pratiques en lien avec les académies pour guider les établissements".
Un personnel académique au suivi des recrutements de personnels spécifiques
Enfin, pour répondre aux besoins remontés par ces EPLEI de recruter des personnels à profil "spécifique", comme les "teacher assistant" (maîtres accompagnants dans le primaire) ou des personnes chargées du suivi des dossiers d'orientation qui sont bien souvent des conseillers d'étude plurilingue, le mission invite à modifier aussi les dispositions réglementaires. À ce jour, les recrutements possibles sur fonds propres "ne diffèrent pas des EPLE" (AESH, AED et personnes recrutées sous contrat d'accompagnement dans l'emploi, contrat relatif aux activités d'adultes-relais ou contrat emploi d'avenir professeur), ils ne peuvent l'être que sur des missions à caractère éducatif, pédagogique ou social, et non sur des fonctions administratives.
Pour accompagner ces recrutements qui "peinent", l'IGESR recommande d'identifier au niveau académique une personne dédiée et de lui confier les relations avec tous les services de ressources humaines compétents pour notamment accompagner les personnes recrutées sous contrats, notamment des professeurs locuteurs natifs, dans la procédure de recrutement alors que "des candidats de qualité ont abandonné le poste proposé, faute de pouvoir réunir tous les documents nécessaires en temps et en heure". Un personnel dédié permettrait aussi de faire connaître des statuts peu connus et donc d'autres possibilités de recrutement, comme celui de professeur associé qui autorise de meilleures rémunérations.
Le rapport "La mise en oeuvre des établissements publics locaux d'enseignement international (EPLEI)" ici
Camille Pons