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Confinement : une "étrange parenthèse" pour les services sociaux de l'Education nationale qui sont pourtant "bien là" (Isabelle Couderc, interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 15 mai 2020.

"On fait partie des métiers oubliés", estime Isabelle Couderc, présidente de l'ACTESSEN (Association nationale des conseillers techniques de service social de l’éducation nationale). "Pourtant, le service social est bien là, au quotidien, dans les collèges, les lycées et, parfois, dans le 1er degré, pour intervenir d’un établissement à l’autre. Il existe aussi auprès des personnels. Les étudiants en bénéficient également. Mais, même si tout le monde parle de social, particulièrement en ce moment, et même si le ministre nous adresse des messages positifs en vidéo, dans nombreux protocoles et publications nationales, nos missions ainsi que notre expertise ne sont pas reconnues en tant que telles, ou sont peu connues."

ToutEduc :  Pour quelle raison, à votre avis ?

Isabelle Couderc :  Nous faisons sans doute un travail discret... de terrain. Puis, nous ne sommes pas assez nombreux pour répondre à la multitudes de demandes. Par exemple, dans le 1er degré, les collègues sont uniquement présents dans certaines écoles de REP+ et, bien souvent, c’est surtout pour faire du conseil technique et pas de l’accompagnement. Dans le 2nd degré, les assistants sociaux partagent leur activité entre plusieurs établissements... Leurs interventions permettent de pacifier les situations familiales et les relations parents-enfants. Ce travail quotidien, de médiation, est quasiment invisible. La guidance familiale évite le recours à d'autres services de protection de l'enfance, parfois traumatisant pour les familles. Il contribue à l'apaisement des conflits, et au maintien de l'élève dans sa scolarité. Mais il est difficile à quantifier car ne génère pas d’écrit. C’est la plus-value du service et elle ne se voit pas ! Pour le service social des personnels, c’est la même chose. Nous accompagnons, entre autres, les personnels en congé, durant parfois plusieurs années, pour les aider à remonter la pente, à reprendre confiance en eux et les aider, ensuite, dans la reprise de leur activité professionnelle. Encore une fois, cela ne se voit pas.

ToutEduc : Vous dites, par ailleurs, que le confinement à bousculé vos modes de travail et les modalités de vos accompagnements. Comment vous vous êtes organisés ?

Isabelle Couderc : Mes propos sont le reflet des échanges que j’ai eus avec de nombreux collègues. Ensemble, donc, durant cette période, (ASS, IEN, directeurs/trices d’écoles, principaux de collèges, proviseurs, CPE, personnels de santé, enseignants et partenaires), nous avons dû inventer, créer et renforcer nos liens professionnels. Une véritable dynamique collective s’est enclenchée : échanges réguliers entre nous tous, dans le respect de nos missions réciproques, notamment sur les informations autour des orientations poursuivies et leurs mises en place. Nous devions pouvoir compter les uns sur les autres, pour permettre la continuité de l’accompagnement social au service des élèves et de leurs familles. Le lien social devait perdurer, en cette période d’isolement. Les conseillères techniques ont accompagné les ASS, en lien avec les nouvelles modalités d’exercices, ce qui a permis d’expérimenter de nouveaux outils. Lors des visioconférences, que les ASS étaient amenées à utiliser et/ou des entretiens téléphoniques individuels, une CTSS (Conseillère technique de service social, ndlr) m'a précisé qu’elle a beaucoup interrogé la posture professionnelle, l’éthique et la déontologie, dans ce nouveau cadre d’intervention. La qualité des relations, sans le face à face, la confidentialité dans les échanges avec les personnes accompagnées, ont été des éléments sur lesquels il a fallu être vigilants, surtout dans des situations où nous ne connaissions pas les élèves repérés par les équipes des établissements. Les assistants sociaux disent que le contact et le travail en continu avec les CPE, les infirmiers, les chefs d’établissement et, bien sûr, avec leurs collègues, ont été bénéfiques pour l’accompagnement des élèves et de leur famille mais, également, à titre personnel, pour mieux vivre le confinement. Ces nouvelles conditions de travail, qui étaient très insolites pour nos métiers où le contact direct, tant avec les élèves qu’avec les personnels, est primordial, nous ont obligés à innover, à créer de nouvelles façon de communiquer.

ToutEduc : Pour les ASS, sans vouloir titiller leur sensibilité, un sentiment d'inutilité et d'impuissance a dû les traverser, non ?

Isabelle Couderc :  Les sentiments sont divers. L’inutilité, dont vous parlez, s’est quelquefois emparé de certains pendant quelques jours. Une collègue, prise entre le besoin de se préserver et l’appel de la réalité des établissements, me dit qu’elle avait parfois été bien en difficulté face à son écran. Une autre collègue, elle, dit qu’elle a eu, souvent, un sentiment d’impuissance et/ou d'inutilité face à l'exaspération et au désarroi de parents, notamment pour faire travailler leurs enfants. Elle les a rassurés et soutenus dans cette période difficile, leur a donné des conseils mais, surtout, elle a gardé le contact téléphonique plusieurs fois par semaine, même pendant les vacances, pour certains. Ils lui disaient que ça les aidait. Elle s'est sentie un peu démunie aussi quand, au contraire, elle n'arrivait pas à les joindre ou joindre les jeunes qui "décrochaient".

ToutEduc : Elles ou ils restent quand même dans une pratique professionnelle...

Isabelle Couderc : Selon les témoignages recueillis auprès de mes collègues, un des points qui ressort est le fait que chacun doit réinventer sa pratique, au moins pour un temps, cela s’impose. Cette étrange parenthèse ne sera que ce que l’on aura bien voulu qu’elle soit. La subir ou en profiter pour évoluer. Le travail entre les professionnels sociaux a pris une autre tournure. Nous ne sommes pas du genre à travailler dans notre coin mais, plus que jamais, nous avons besoin de partager avec les collègues ASS, les collègues éducateurs exerçant les mesures, nos partenaires du conseil départemental au-delà bien sûr des équipes éducatives… Nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous sommes donc amenés à opérer un décalage, créer une nouvelle façon d’accompagner. Plus que jamais, nous faisons appel à notre créativité, loin des protocoles, de tout ce qui est déjà connu et rassurant, il faut bien le reconnaître. On se demande, cependant : Quelle doit être la bonne façon d’agir dans ce contexte pour respecter le cadre du secret professionnel qui est la base de la relation de confiance avec les personnes que nous accompagnons ? Comment faire sans toutes les informations dont on ne dispose pas à domicile et qui ne sont pas suffisamment complètes pour assurer des suivis aussi qualitatifs (manque historique de la situation, recueil de données) ? Il faut donc s'adapter pour ne pas laisser paraître les difficultés à des familles déjà inquiètes et sous pression face à la situation.

ToutEduc : Faudrait-il des collaborations et des partenariats nouveaux ?

Isabelle Couderc : On a pu constater une réelle dynamique. CPE, infirmière, psychologue et nous-mêmes nous nous unissons dans ce temps suspendu. Une collègue me dit : "Nous avons appris à mieux nous connaître et sommes désormais bien plus soudés. Entre expérimentations, défis et idées saugrenues, il nous parait nécessaire d’apporter du rythme au quotidien des élèves. Mais un espace aussi. Que vivent-ils ? Nous n’en savons que peu. Les CPE doivent proposer des discussions afin de nous permettre de garder le contact avec eux. L’équipe psycho-médico-sociale, les CPE et les élèves, d’une même classe, peuvent échanger entre eux. Les élèves, les plus jeunes, sont les plus réceptifs. Cet échange permet une continuité, non pas pédagogique cette fois-ci, mais humaine. Les professeurs principaux, eux aussi, doivent jouer le jeu et alimenter les échanges. Les stratégies de communication, que nous pourrions mettre en place, seraient nécessaires pour un travail de collaboration encore amélioré avec les équipes. Par exemple, une collègue a été sollicitée par une enseignante de Segpa qui a orienté des familles qu'elle sentait en difficulté. Une fois le contact pris, cela a débouché sur des demandes d'aide financières ou du prêt de matériel informatique par le collège concerné.

ToutEduc : L'accompagnement des élèves et des familles prévaut donc...

Isabelle Couderc : plus que jamais. Le confinement a produit de la dégradation des situations financières et économiques des familles. Les difficultés liées à l’alcoolisme, à la violence... sont toujours présentes et ne sont pas l’apanage des familles précaires. N'oublions pas que la communication passe, pour 80 %, par du non-verbal et que la pratique de l'écoute active est primordiale dans l’entretien psycho-social qui est un des socles de notre pratique d’assistant social. "La reprise du chemin de l’école, comme dit encore une collègue, sera encore une occasion pour entretenir les graines déjà semées de ces incontournables qui me semblent tant faire défaut de nos jours : se respecter, respecter nos proches, nos camarades de classe ou de travail. Respecter l’autre, celui qui me soigne ou me soignera, celui qui me nourrit, celui de qui j’apprends ce que je ne sais pas, celui que je ne connais pas, celui qui n’est pas encore né et tous ces Autres".

ToutEduc :Sinon, pour la reprise, pouvez-vous nous parler de vos axes de travail ?

Isabelle Couderc : Nos axes de travail pour la reprise sont clairs. Les assistants sociaux, en poste dans les établissements scolaires, restent pleinement mobilisés pour assurer l’accompagnement social de l’ensemble des élèves. Sans oublier les familles. Ils poursuivront le travail au côté des équipes éducatives. La prise en charge est nécessaire, et la vigilance est de mise, envers les élèves, déjà connus, qui vivent des situations des plus précaires, les "perdus de vue", en s’appuyant sur le réseau partenarial, la liaison avec les équipes des établissements, en donnant des conseils pour la prise en compte des répercussions sociale de la crise sanitaire qui sont catastrophique dans certaines zones comme en REP+, sans oublier les zones rurales. Nous conseillerons également et informerons les familles, dans tous les domaines qui sont les nôtres : la scolarité, la protection de l’enfance, les difficultés administratives, l’orientation… Nous orienterons les élèves qui en auront besoin et leur famille vers les dispositifs de secours afin de favoriser le recours aux droits, y compris les nouveaux droits sociaux générés par les effets de la pandémie. Nous nous emploierons à sensibiliser les établissements scolaires au repérage des situations d’élèves les plus fragilisés par des événements liés au confinement. C’est essentiel. La mise en œuvre de la cellule d’écoute, s’il y a lieu, en lien avec un événement traumatisant, se fera en collaboration avec les Infirmières EN, médecins EN, et psy EN.

ToutEduc :D'autres modalités sont-elles possibles ?

Isabelle Couderc : Oui. Elles peuvent être différentes d’un endroit à l’autre et je ne connais pas toutes les organisations mais, dans un premier temps, ce sera sans doute un équilibre entre télétravail et rencontre avec les équipes et les élèves dans le cadre des mesures sanitaire prescrites. Comme nous sommes des personnels itinérants et que les collègues interviennent dans beaucoup d’établissements, il faut limiter les interactions multiples. Mais le constat est fait que l’on a réussi à relever ce défi pendant le confinement et que l’on a réussi à gérer des situations complexes malgré des conditions de travail difficiles et contraignantes. Nous avons été très mobilisés durant cette période de confinement et nous continuerons. Le service social en faveur des personnels est lui aussi très mobilisé dans l’écoute des personnels (mise en place, en ce moment par exemple, de cellules d’écoute dans les académies où les AS du personnel sont très souvent impliqués avec d’autres ). On continue d’accompagner les personnels dans la résolution de leurs difficultés personnelles ou professionnelles. Dans nos missions, nous contribuons à l’amélioration du bien-être et des conditions de vie au travail. Et bien sûr, nous sommes là également, si une personne a des difficultés d’accès au droit, des difficultés économiques etc… Les personnels (en grande partie, ce sont les enseignants qui nous sollicitent), sont comme toute la population et peuvent avoir vécu des situations personnelles difficiles dans le cadre du confinement tout comme professionnelles. En ce moment, l’inquiétude, par rapport à la reprise, est très souvent citée dans les appels que nous recevons. En somme, nos services fonctionnent encore et les réunions habituelles ont très vite été remises en place en visioconférences. Mais l’élément manquant est et restera les liens humains en face à face, qui permet une écoute attentive. Nous avons hâte de retrouver nos marques mais, peut-être, que cette période sera riche d’enseignement. En tout cas, nous aurons montré combien les services sociaux sont capables d’adaptation, combien ils contribuent au vivre ensemble, à protéger les plus fragiles, à rendre visibles les invisibles ou les oubliés.

Propos recueillis par R. Aït-Oufella, relus par Isabelle Couderc.

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