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Réouverture : l'école redécouvre ses invisibles, ses "premiers de corvée" (J-P Bellier, Nanterre)

Paru dans Scolaire le jeudi 14 mai 2020.

Jean-Pierre Bellier, nouvel adjoint à l'éducation de l’équipe municipale conduite par Patrick Jarry, maire renouvelé dès le premier tour des élections municipales de Nanterre (Hauts-de-Seine, 95 000 habitants), prépare la réouverture des 23 écoles élémentaires et des 26 écoles maternelles de la ville. Il accompagne depuis plusieurs jours le maire dans les écoles de la ville et a participé à la rentrée d’une école élémentaire de la ville ce jeudi 14 mai. Il répond aux questions de ToutEduc.

ToutEduc : Comment s'est passé le retour à l'école ce matin ?

Jean-Pierre Bellier : Très bien ! Il concernait une école élémentaire d’un quartier réputé sensible qui accueillait des enfants de CP, CE1 et CM2 ainsi que les enfants « prioritaires ». Les enfants de maternelle (GS et enfants de familles prioritaires) retrouveront quant à eux leur école lundi. Malgré un contexte de reprise inédit, je peux témoigner de l'engagement de tous les personnels, enseignants et communaux. Tous font le maximum pour que l'accueil des enfants, dont beaucoup semblaient anxieux, se passe le mieux possible, que l'école soit pour eux le lieu qui va leur permettrait de s’engager dans un processus de résilience progressive.

ToutEduc : Vous avez pu constater l'anxiété des élèves ?

Jean-Pierre Bellier : Oui, comme on le constate partout ! Nombre d'enfants manifestent, chacun à leur façon, des signes d’appréhension, de mal-être voire de malaise psychique… certains ont des comportements d’hésitation, des attitudes d'évitement, expriment une douleur au cou, à la tête, au ventre... Je pense à ce jeune garçon dont on m’a dit qu’il avait "oublié" son pique-nique et qui voulait retourner le chercher chez lui, comme si cela pouvait lui permettre de retarder ce moment. La directrice lui a expliqué que l’école et la mairie avaient prévu que cela pouvait arriver et que sa maîtresse pourrait lui donner un panier repas. Mais ce qui m’a le plus marqué, ce sont certains enfants plutôt mutiques, dans un état de quasi sidération, comme s’ils découvraient un environnement nouveau. Ils retrouvaient pourtant des lieux connus, mais leur esprit semblait encore ailleurs. J'ajoute que nous sommes en période de ramadan, et même si les enfants de familles musulmanes pratiquantes enfants n'observent pas le jeûne, leurs parents se couchent plus tard, eux aussi, et ils sont parfois plus fatigués.

ToutEduc : Le Conseil scientifique recommande de faire parler les enfants de ce qu'ils ont vécu…

Jean-Pierre Bellier : de toute évidence ! Mais pas d’emblée ni de façon insistante voire inquisitrice. Il faut que les adultes résistent à la tentation de l’interrogatoire, qu’ils entendent certains silences même s’ils sont assourdissants ! Les enfants ont d’abord besoin de se poser, de ressentir qu’ils réintègrent un espace sécurisant dans un climat neutre et bienveillant. La découverte de règles nouvelles, de lieux réaménagés, de procédures inconnues, tout cela est générateur d’anxiété. Ce n’est qu’ensuite, quand la confiance les gagne, souvent très vite, que leur expression se libère et qu’il devient important de leur donner l’espace et leur proposer des interlocuteurs compétents. Ils ne pourront vraiment parler de ce qui les préoccupe que lorsqu'ils auront retrouvé leurs marques. Rien ne serait pire que de les accueillir sur un mode « sois spontané mon petit, dis-nous tout » ! Fort heureusement, dans les écoles où je me suis rendu depuis lundi, des psychologues de l’éducation nationale sont présents pour accompagner les équipes enseignantes dans cette première étape de la reprise.

ToutEduc : Et vont-ils respecter les gestes barrière ?

Jean-Pierre Bellier : Le premier jour, oui. Après, c’est moins sûr et les adultes devront renforcer leur vigilance ! Chassez le naturel, il revient au galop ! Passé le temps de réappropriation des lieux et des règles, nos enfants redeviendront des élèves et ils chercheront à renouer avec ce qui structure leur vie d’élève : les interactions sociales. Leur permettre d’interagir à distance, tel est le défi de l’école pour les semaines ou les mois à venir…

ToutEduc : Avez-vous pu ouvrir les 23 écoles élémentaires de Nanterre ?

Jean-Pierre Bellier : Oui, les enfants de soignants ou dont les parents exercent des fonctions indispensables, les enfants handicapés, prioritaires sont accueillis tous les jours, et pour les autres, un jour sur deux. Mais avant de calculer combien nous pouvions en accueillir, il a fallu voir combien l’éducation nationale avait d'enseignants disponibles et pour la ville combien de personnels communaux… Pour faire coïncider les deux, la ville a demandé à certains de ses agents de changer provisoirement de lieu de travail… Les personnels les plus sollicités, comme depuis le début de cette crise sanitaire, ce sont nos "premiers de corvée".

ToutEduc : Plus que les enseignants ?

Jean-Pierre Bellier : Oui. Les enseignants ont certes la partie organisationnelle et pédagogique du protocole de reprise à faire respecter. Je ne dis pas que c'est facile psychologiquement, pédagogiquement, mais ces contraintes sont de nature différente que celles qui s’imposent aux personnels communaux ! Pour ces derniers, à la cantine, dans les salles de classe, dans les toilettes, il faut bien repérer tous les points auxquels ils doivent être attentifs, tous les objets à désinfecter, les poignées de porte, le matériel scolaire etc. Les circonstances mettent en évidence l'importance de tous ces gestes imperceptibles la plupart du temps, qui peuvent sembler anodins, évidents mais qui sont si nécessaires à la vie de l'école. Il faut aussi voir que ce sont souvent des personnes de premier niveau de qualification, bénéficiant de niveaux modestes de rémunération, qui plus est de santé parfois fragile... Or les tâches qu'ils vont avoir à assurer, entretien, nettoyage, désinfection par exemple, les exposent davantage au contact du virus. Leur action est déterminante dans la lutte contre cette épidémie, ne l’oublions pas, même s’ils bénéficient d’une sensibilisation au protocole sanitaire.

ToutEduc : Vous parliez, au début de notre entretien, de leur engagement...

Jean-Pierre Bellier : Tout à fait, j’admire de la même façon celui des agents territoriaux que celui des enseignants. Mais je ne peux me passer d’analyser la nature du lien de subordination qui lie chacun d’eux à leur employeur ! Pour les enseignants, sous l’autorité de leur hiérarchie, il consiste à permettre à leurs élèves de renouer avec la scolarité. Mission difficile mais avec un donneur d’ordre unique. Pour les agents communaux, la relation à l'employeur est particulièrement complexe, qui plus est dans la période que nous traversons : il leur faut trouver un juste équilibre entre les exigences de leur autorité hiérarchique et les demandes de l’autorité fonctionnelle qui les emploie. S’il n'y a que rarement conflit entre les deux, si l’objectif de service rendu à la population est le même, la différence de niveaux d’exigence à leur endroit peut être source de préoccupation. Et la maison éducation nationale a parfois tendance à négliger la part non négligeable de service rendu au quotidien des enfants par tous ces « invisibles» qui veillent à bas bruit au bon fonctionnement de l’école… un bel objet d’étude pour un futur inspecteur général honoraire (lui-même, ndlr) !

Propos recueillis par P. Bouchard et relus par J-P Bellier

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