Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Lecture : lorsqu'ils ont le choix, les enseignants abandonnent la méthode d'Agir pour l'école (P. Devin, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le dimanche 10 mai 2020.

Laurent Cros qui a créé la méthode d'apprentissage de la lecture d'Agir pour l'école a quitté la direction de l'association du même nom après avoir constaté que les résultats n'étaient pas à la hauteur de ses attentes, du fait des enseignants qui, à 80 % ne se conformeraient pas aux prescriptions de la méthode (voir ToutEduc ici). Le secrétaire général du SNPI, le syndicat FSU des inspecteurs de l'Éducation nationale, a dénoncé à plusieurs reprises l'action d'APE (voir ToutEduc ici).

ToutEduc : Comment comprenez-vous le départ de Laurent Cros ?

Paul Devin : La promesse d’Agir pour l’Ecole, maintes fois répétée par Laurent Cros, était de nous administrer la preuve scientifique de la supériorité de sa méthode… Les résultats publiés (par Laurent Ecalle et Annie Magnan, ici) présentent des écarts plutôt faibles et ne sont pas capables de renseigner sur les effets à long terme sur la compétence de lecteur.

Laurent Cros nous explique que la faiblesse des résultats ne met pas en doute la qualité de sa méthode mais provient de la résistance des enseignants à la mettre en œuvre … La réalité est que beaucoup d’enseignants découvrent que la méthode est loin d’assurer les résultats annoncés, qu’elle crée beaucoup de problèmes d’apprentissage notamment pour les élèves en difficulté ! Et dans ce cas, ils ont grandement raison de ne pas continuer à se conformer aux consignes de la méthode.

C’est quand même extraordinaire que Laurent Cros puisse conclure que le mieux serait de confier l’apprentissage de la lecture aux parents parce que, eux, serait plus fidèles à sa méthode !

ToutEduc : Comment voyez-vous l’avenir des actions Agir pour l’Ecole dans les classes ?

Paul Devin : J’espère qu’il n’y aura pas d’avenir pour ces actions qui sont incapables de résoudre les enjeux réels de l’apprentissage de la lecture. Car ces enjeux dépassent largement les seules compétences de déchiffrage, si nécessaires soient-elles.

L’avenir d’Agir pour l’Ecole dépendra beaucoup de l’attitude du ministère et de son administration déconcentrée. Si l’association continue à être soutenue au point que certaines équipes enseignantes aient pu déjà exprimer leur sentiment de se voir imposer la méthode, elle perdurera peut-être, au forceps, comme dans certains départements où les inspecteurs d'académie assurent que les équipes pédagogiques qui l'avaient adoptée étaient volontaires, mais où les enseignants font part de tensions très fortes avec les représentants de l'association.

ToutEduc : Savez-vous dans combien d'écoles la méthode est utilisée ?

Paul Devin : Non. L'administration refuse de communiquer sur le sujet, et nous avons essayé, avec le SNUIPP, de faire remonter les informations du terrain, mais nous n'avons que des éléments partiels. Ce qui nous revient, c'est que les enseignants sont de plus en plus déçus, fâchés même, l'association leur envoie des "formateurs" qui ne sont pas vraiment des spécialistes de la lecture, qui ne répondent pas à leurs questions. Et la méthode n'en est pas vraiment une, quand un enfant est en difficulté, elle ne propose rien pour sortir de l'impasse, sinon de recommencer indéfiniment l'exercice. Dans certains départements où la pression institutionnelle était au départ très forte et s'est relâchée depuis, leur nombre décroît. Nous constatons que lorsque son usage reste au seul choix des enseignants, elle disparaît progressivement, tant elle pose de problèmes aux enseignants tout en s’avérant incapable de produire les effets annoncés.

ToutEduc : Dès lors, le problème reste entier. Un nombre significatif d'enfants arrivent au collège sans être à l'aise avec la lecture. Comment faire ?

Paul Devin : L’essentiel pour améliorer l’apprentissage de la lecture c’est la formation des enseignants. Mais pas une formation qui se réduit à une méthode de type syllabique et à l’accompagnement de la mise en place des réformes ministérielles… Non, au contraire, une formation de développement des compétences professionnelles qui permettra aux enseignants d’enseigner la lecture dans l’ensemble de ses perspectives. Certes, la maîtrise du code est indispensable et il faut former les enseignants à bien l’enseigner mais cela ne peut être suffisant. La formation doit aussi développer les compétences didactiques qui permettent de travailler tous les éléments de la compréhension des textes lus… pas seulement le lexique mais tous les éléments de morphosyntaxe et d’organisation textuelle. Et puis, il faut que tout cela permette aux élèves de s’approprier les pratiques de l’écrit, qu’elles deviennent pour eux des moyens usuels pour s’exprimer, découvrir et comprendre le monde, communiquer, s’approprier la culture commune.

Une telle ambition demande une formation intellectuelle au service de compétences didactiques et pédagogiques qui ne peuvent être confondues avec l’application d’une méthode.

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →